Harcèlement sexuel : deuxième proposition de loi de L’AVFT

Paris, le 4 juin 1999

Présentée lors du colloque « Harcèlement sexuel : améliorons la loi »
Palais du Luxembourg – Paris
Tendant à compléter le chapitre II du code pénal «Des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne» et modifiant l’incrimination du harcèlement sexuel
Tendant à modifier le code du travail
Tendant à modifier la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires

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L’AVFT,

Vu la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dite « Convention CEDAW » de 1979, ratifiée par la France en 1983,

Vu la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes du 20 déc. 1993, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations-Unies,

Vu la Déclaration et le Programme d’action de Beijing,

Vu la résolution du Parlement Européen sur la nécessité d’une campagne de tolérance zéro à l’égard de la violence contre les femmes (A4-0250/97),

Rappelant que les violences à l’encontre des femmes recouvrent notamment : le sexisme, les discriminations sexistes, les violences physiques, le harcèlement sexuel, les agressions sexuelles, le viol, la prostitution, la pornographie, les mutilations génitales féminines,

Considérant que les violences à l’encontre des femmes traduisent et perpétuent l’inégalité entre les femmes et les hommes,

Considérant qu’elles sont, de ce fait, un obstacle fondamental à l’égal accès des femmes et des hommes aux pouvoirs politique, économique et social,

Demande à l’Etat Français et aux Parlementaires -conformément aux engagements qu’ils ont pris en signant les textes précités- de prendre toutes les mesures notamment législatives de nature à prévenir et à réprimer les violences contre les femmes.

EXPOSE DES MOTIFS

Considérant l’ampleur du harcèlement sexuel, la gravité de ses effets, les préjudices consécutifs en terme de santé mentale et physique, de déstabilisation dans le cadre de l’emploi,

Considérant que toute personne a le droit absolu au respect de son intégrité physique et psychique,

Considérant l’inadéquation de la loi actuelle, tant pénale que sociale, qui laisse impunies de nombreuses agressions,

Nous estimons nécessaire que les lois soient modifiées.

CONCERNANT L’INCRIMINATION DU DELIT DE HARCELEMENT SEXUEL

I. Dans la loi actuelle -article 222-33 code pénal-, n’est pas visé le harcèlement sexuel sous les formes suivantes :

A. Dans le cas d’un harcèlement sexuel individualisé, c’est-à-dire lorsqu’il vise une ou plusieurs personnes en particulier :

tous contacts physiques destinés à assouvir un fantasme d’ordre sexuel et/ou à provoquer le désir sexuel,

tout acte de nature sexuelle et notamment attouchements sexuels, masturbation, exhibition sexuelle dans un lieu privé,

tout propos à connotation sexuelle, sexiste et/ou homophobe, toutes remarques ou allusions blessantes sur l’aspect physique ou sur la vie privée.

B. Lorsque le harcèlement sexuel est environnemental, c’est-à-dire qu’il créé un climat d’intimidation, d’humiliation, d’hostilité, sans nécessairement viser une ou plusieurs personnes en particulier :

tout acte de nature sexuelle, sexiste ou homophobe, notamment affichage, communication, exposition de matériel pornographique ou sexuel,

tout propos à connotation sexuelle, sexiste ou homophobe,

C. Lorsque le harcèlement sexuel est le fait d’un auteur ne disposant pas d’une autorité fonctionnelle ou hiérarchique, notamment entre collègues, entre élèves, étudiant-es.

II. Dans la loi actuelle, n’est pas explicitement visé :

le harcèlement du fait de personnes en relation d’offre ou de demande de biens ou de services, notamment les clients ou les fournisseurs.

En conséquence :

A. La définition juridique du harcèlement :

visera donc tout harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe :

* indépendamment du lieu ou des circonstances où il s’exerce :

que ce soit dans les lieux publics ou sur les lieux de travail, dans les actes de la vie courante ou à l’occasion du travail.

* indépendamment du but poursuivi par son auteur

* indépendamment de la présence ou de l’absence – à priori – d’une atteinte physique et/ou psychiques de la personne : en effet, le harcèlement est une atteinte à la dignité de la personne, indépendamment de tout préjudice, et doit donc, en tant que tel être réprimé.

* qu’il soit constitué par un acte unique, ou par des actes répétés :

pour la qualification de harcèlement, une seule fois peut suffire : c’est le cas du harcèlement suite à un refus à une seule avance sexuelle : brimades personnelles et / ou professionnelles incessantes.

et visera toute personne exerçant un harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe :

* indépendamment de l’existence d’un rapport d’autorité.

B. Des circonstances aggravantes doivent être prévues dans les cas suivants :

a – quand la personne exerçant le harcèlement est en position de pouvoir par rapport à la personne harcelée : notamment, chef / subordonné-e, médecin / patient-e, psychanalyste / analysé-e, professeur / élève, fonctionnaire (police…) / usager-e, propriétaire / locataire, syndicaliste.

b – quand la personne harcelée a subi, du fait de son harcèlement, la perte de son emploi (licenciement, démission provoquée ou forcée), et/ou de l’avantage auquel elle pouvait prétendre et/ou de la perte de chance de poursuivre sa carière.

c – quand il y a pluralité d’auteurs.

d – quand l’auteur ou les auteurs profitent de l’état de vulnérabilité notamment économique de la victime ou de sa déficience physique ou psychique.

C. La charge de la preuve doit être allégée :

Il suffit pour cela d’intégrer dans le droit national la Directive européenne CE n°97-80 du Conseil du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe.

D. Les pénalités doivent refléter le prix que l’on attache aux atteintes aux droits de la personne :

Actuellement, le délit de harcèlement sexuel, atteinte aux droits de la personne, est puni d’une peine d’emprisonnement maximum d’un an et ou d’une amende de 100 000 francs. Le délit de vol, atteinte aux biens, l’est de 3 ans d’emprisonnement et ou de 300 000 francs d’amende.

PROPOSITION DE MODIFICATION DU CODE PENAL

Article 222-33 :

« Constitue un harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe, tout propos, acte ou comportement à connotation sexuelle, sexiste ou homophobe ou tout autre comportement fondé sur le sexe ou l’orientation sexuelle, lorsqu’il est considéré comme intempestif, abusif ou blessant pour la personne qui en fait l’objet.

Le harcèlement est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende. »

« L’infraction définie à l’article 222-33 est punie de 5 ans d’emprisonnement et ou de 500 000 francs d’amende :

lorsque la personne exerçant le harcèlement est en position de pouvoir par rapport à la personne harcelée : notamment chef/subordonné-e, médecin/patient-e, psychanalyste/analysé-e, professeur/élève, fonctionnaire (police…)/usager-e, propriétaire/locataire, syndicaliste.

lorsque la personne harcelée a subi, du fait de son harcèlement, la perte de son emploi (licenciement, démission provoquée ou forcée) et/ou de l’avantage auquel elle pouvait prétendre et/ou de la perte de chance.

lorsque qu’elle est commise par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.

lorsque l’auteur ou les auteuirs profitent de l’état de vulnérabilité notamment économique ou de sa déficience physique ou psychique.»

CONCERNANT LES DISPOSITIONS RELATIVES AU HARCELEMENT SEXUEL DU CODE DU TRAVAIL

Considérant les motifs précédemment exposés relativement à l’incrimination du délit de harcèlement sexuel

Considérant que toute personne a le droit absolu de travailler dans des conditions respectueuses de son intégrité morale, physique, et de sa dignité

Considérant le pouvoir de direction de l’employeur et son rôle privilégié concernant la sécurité des salarié-es,

I – La protection du – de la – salarié-e doit être étendue :

A. Au harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe tel que défini précédemment dans la proposition de modification du code pénal.

B. Afin que les conditions de travail soient également protégées, et non plus uniquement la carrière et le contrat de travail comme il est prévu dans les dispositions actuelles.

II – La responsabilité de l’employeur doit être affirmée :

A. L’article L122-48 ne prévoit aucune obligation de prévention a priori du harcèlement

En effet, il est seulement déclaré qu’il « appartient au chef d’entreprise de prendre toutes dispositions nécessaires en vu!e de prévenir les actes (de harcèlement) ».

B. L’article L122-48 n’impose aucune obligation de résultat : il n’impose pas à l’employeur de mettre fin au harcèlement. Seule est visée la prévention.

III – Le rôle du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail doit être affirmé :

L’article L236-2 ne prévoit qu’une faculté de proposition d’action de prévention en matière de harcèlement sexuel.

Or, une prévention ne peut être réelle et efficace que si elle s’effectue de manière obligatoire et a priori afin d’éviter la survenance du harcèlement.

PROPOSITION DE MODIFICATION DU CODE DU TRAVAIL

Article L 122-46

« Constitue un harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe, tout propos, acte ou comportement à connotation sexuelle, sexiste ou homophobe ou tout autre comportement fondé sur le sexe ou l’orientation sexuelle, lorsqu’il est considéré comme intempestif, abusif ou blessant pour la personne qui en fait l’objet.

Aucun salarié ne peut voir ses conditions de travail modifiées, ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir subi ou refusé de subir les faits de harcèlement tels que définis ci-dessus,

Aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié, ni ne peut voir ses conditions de travail modifiées, pour avoir témoigné des faits de harcèlement ou pour les avoir relatés.

Toute disposition ou acte contraire est nul de plein droit. »

Article L 123-1

« Nul ne peut prendre en considération le fait que la personne intéressée a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlements définis à l’article L 122-46, ou bien a témoigné de tels agissements ou les a relatés, pour modifier les conditions de travail, ou pour décider, notamment en matière d’embauche, de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation, de résiliation, de renouvellement de contrat de travail ou de sanctions disciplinaires. »

Article L 122-48

« Le chef d’entreprise doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes visés aux deux articles précédents et doit mettre un terme au harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe. »

Article L 236-2 6ème alinéa

« Le comité propose des actions de prévention en matière de harcèlement sexuel, sexiste et homophobe. »

CONCERNANT LES DISPOSITIONS RELATIVES AU HARCELEMENT SEXUEL DANS LE CODE ADMINISTRATIF

Considérant les motifs précédemment exposés relativement au délit de harcèlement sexuel et ceux exposés relativement au code du travail.

I – La protection du -de la- fonctionnaire contre le harcèlement doit être étendue :

A. Au harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe tel que défini précédemment

B. Afin que les conditions de travail soient protégées, et non plus seulement la carrière et le poste de travail comme il est prévu actuellement à l’article 6 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

II – La responsabilité de l’autorité administrative doit être posée

A. L’article 6 de la loi précitée ne prévoit en effet aucun devoir de prévention des agissements de harcèlement ni de protection de l’agent-e contre le harcèlement lui-même.

En effet, il est seulement fait interdiction à l’autorité administrative de sanctionner l’agent-e harcelé-e.

B. L’article 6 de la loi précitée ne prévoit aucun devoir de traitement du harcèlement.

PROPOSITION DE MODIFICATION DU CODE ADMINISTRATIF

Article 6 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983

« Constitue un harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe tout propos, comportement ou acte à connotation sexuelle, sexiste ou homophobe ou tout autre comportement fondé sur le sexe ou l’orientation sexuelle, lorsqu’il est considéré comme intempestif, abusif ou blessant pour la personne qui en fait l’objet.

Aucune mesure concernant notamment les conditions de travail, le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un-e fonctionnaire en prenant en considération :

1° Le fait qu’il-elle a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement tels que définis ci-dessus.

2° Ou bien le fait qu’il ou elle a témoigné de tels agissements ou les a relatés.

Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé aux agissements définis ci-dessus.

3° L’autorité hiérarchique doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes visés par l’article 6, 1° et 2°, et doit mettre un terme aux agissements de harcèlement tels que définis ci-dessus. »

EN OUTRE …

L’AVFT demande :

que les associations créées depuis plus de cinq ans au moment des faits, puissent assister les personnes victimes lors des procédures devant les Conseils de Prud’hommes.

la suppression de la possibilité pour l’agresseur de demander le huit clos (article 8 de la loi du 2 novembre 1992).

la modification des règles probatoires de façon à intégrer le droit communautaire afin que,

dès lors qu’une personne s’estime blessée par des faits de harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe, et/ou lésée par le non respect à son égard du principe de l’égalité de traitement

et

établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence du délit ou d’une discrimination directe ou indirecte,

il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu commission du délit de harcèlement sexuel, sexiste ou homophobe, ou violation du principe de l’égalité de traitement.

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