Réactions individuelles à la théma d’Arte sur les féministes

Judith Ezekiel
Le 8 décembre 2003

Dans le cadre de cette liste , il me semble que l’incident avec Arte, que l’émission passe ou non (l’émission réapparaît sur le site à nouveau ce soir est une bonne occasion de débattre de plusieurs questions de fond dont le rapport entre mouvements sociaux et médias. L’hostilité des médias envers le féminisme me semble, depuis deux siècles, assez constant. Pourtant, le médias ont fonctionné comme relais des idées du féminisme, certes, déformées à l’outrance. J’ai en tête un exemple (américain, mais qui résonne chez les historiennes du féminisme français) d’un article en 70 annonçant la naissance d’un nouveau mouvement : « Pour ceux qui en ont marre des mouvements perturbateurs, la nouvelle d’un mouvement de « libération des femmes » va être accueillie avec autant d’enthousiasme que si l’on apprennait que le café causait le cancer ». Malgré ce contenu quelque peu hostile, les groupes féministes ont été innondés de coups de téléphones le lendemain de femmes souhaitant y « adhérer ». Nous n’en sommes plus là (c’est à dire dans une période de première conscientisation et sans allié-e-s dans les médias), mais il est clair que nous sommes liées aux médias pour le bien et le mal. Si l’émission d’Arte ne passe pas, comme le disait Liliane Kandel, tout le monde va blamer l’ensemble des féministes (un bloc homogène, comme nous savons toutes). En effet, les souvenirs pénibles de Détectif et la loi antisexiste sont encore présents. J’aurais beaucoup d’autres commentaires à faire, mais plus de temps ce soir. En tout cas, j’attendrais de cette liste des réactions de chercheuses et théoriciennes militantes, c’est à dire par lesquelles nous mettons nos capacités et connaissance au service de l’avenir d’un mouvement qui améliore la vie des femmes et transforme les rapports sociaux des sexe. Il me semble que nous pouvons détourner cette affaire dans ce sens.

Cordialement,
Judith Ezekiel


Claude Roda-Daniel

Le 10 décembre 2003

Bonjour à toutes,
La soirée « théma » d’hier soir n’avait somme toute d’exceptionnel que le caractère ou plutôt le prix que nous attachons à l’ensemble des questions liées au féminisme en France. D’un strict point de vue formel rien que de très classique les journalistes décident des questions à poser, les personnes interrogées doivent répondre à défaut de quoi elles méprisent la liberté de la presse et finalement mène consciemment ou non une entreprise totalitaire. Pourquoi Antoinette Fouque devrait-elle répondre à une question sur Simone de Beauvoir mais tout simplement parce que Sophie Jeanneau en a décidé ainsi, pourquoi selon Sémira Bellil « Libération » donne la parole aux violeurs et non aux victimes mais tout simplement pour la même raison que la liberté de la presse est une des conditions de la démocratie et que tout autre conception ne saurait être que totalitaire et donc le féminisme à la française ou ce qu’il en reste (dixit SJ) est une entreprise totalitaire et le mauvais tour est joué ! J’invite chacune à remplacer lmot féminisme par un autre de son choix et cela marchera ! Cela s’appelle en termes marxistes l’idéologie dominante dont le but est de s’en prendre par tous les moyens à tout ce qui est de nature à contribuer à la marche vers l’utopie de libération humaine c’est à dire de la femme et de l’homme. L’opération d’hier soir que je ne banalise pas est une parmi d’autres j’y viens un peu plus dans le détail.
Le premier document sur les femmes et le jeunes de Corbeil était de qualité mais le débat qui s’en est suivi pose plusieurs problèmes: Madame Bombardier la douce voix de la droite québécoise jure que de pareils propos de jeunes sont impensables au Canada, qui la croira sur parole? Où vit-elle donc? Certainement pas dans ce Canada en pleine régression sociale mais peut-être n’a t-elle jamais entendu parler de la « marche des femmes » et nos amies de sisyphe pourraient lui faire parvenir utilement leur adresse internet. Sémira Bellil dit combien il y a une cassure entre l’image dominante du féminisme et la vie réelle des femmes pauvres victimes plusieurs fois: pas de droits réels, pas de liberté personnelle, pas d’avenir pour elles et leurs enfants dans l’immense majorité des cas et c’est le libéral-miterrando-lepénisme qui est responsable de cette situation comme arme idéologique du capitalisme français qu’il sert encore aujourd’hui. Quant à Alice Wacher elle commet un lapsus mais s’agit-il réellement d’un laps? Elle dit en effet « nous nous battons pour que les femmes aient les mêmes droits que les hommes y compris celui de porter un foulard » et là les neurones m’en tombent car il ne s’agit pas d’une débutante elle maîtrise sa parole et ce faisant en passant dans une amène innocence elle recycle l’oppression comme un droit comme un autre ! Deux phrases plus loin elles soutient les « NPNS » ce qui revient à dire qu’il existe un droit à porter où à ne pas porter des signes d’oppression selon la bonne volonté selon la libre appréciation de chacune! Mais depuis quand l’oppression s’accommode-t-elle de liberté de conscience individuelle? Cette façon de mettre sur un même plan de droit le choix de porter ou de ne pas porter légitime en dernier lieu-même si bien sûr je ne crois pas que ce soit le voeu de AW- l’oppression identitaire communautariste. C’est là le symtôme de l’idéologie dominante, idéologie pernicieuse et tenace qu’il faut savoir repérer partout où elle s’est glissée.
Le second document est par bien des aspects misérable: la forme promenade qui se veut branchée et légère donne le ton, l’inspiration générale, en quelque sorte c’est pour rire. Mais on ne rit plus dès lors que le journalisme d’injonction se fait mécaniquement décisif dans un éclairement dont la base auto revendiquée est je ne sais rien de vous ni je ne vous connaissais pas avant de faire l’émission. Mais bien sûr vous êtes pêle-mêle ringardes, lesbiennes (sans doute SJ a t-elle contrairement à nous toutes choisi souverainement son orientation sexuelle!), vindicatives et j’en passe. Quelques phrase saucissonnées de Gisèle Halimi viendront donner un alibi d’authenticité de scientificité à l’émission, ce qui au demeurant est en contradiction avec la présentation qui en est faite par Daniel Leconte le petit valet de service.
Toutefois une question doit retenir notre attention dont le dépôt de plaque sur la tombe de Simone de Beauvoir fournit une bonne illustration. Contrairement à ce que dit Mathilde Magnan ce n’est pas à coup d’images qu’on existe tout simplement parce que c’est aux enseignants de Vitry et d’aillleurs d’une façon générale à toute personne en position d’éducatrice qu’il revient de parler du meurtre de Sohane, de faire de l’éducation à la citoyenneté etc… et non pas aux plaques, et cela pendant et depuis des années: le point de vue de MM vient donc donner une base réelle à l’affirmation que le féminisme est une affaire de petites bourgeoises!
Pour parodier Diderot et pour ne pas rallonger je dis qu’il faut rendre le féminisme populaire c’est à dire lui donner une base sociale élargie impliquant nécessairement sa mise en relation avec le point de vue de classe ce qui ne conviendra certainement pas à tout le monde. Il me faudra sans doute y revenir.

Bien à toutes, Claude.

Eliane Viennot
Le 10 décembre 2003

Lettre ouverte aux responsables d’Arte, à propos de l’émission « Où sont passées les féministes ? »

Féministe depuis l’adolescence, militante depuis les années 70 (j’ai adhéré au MLAC en 1974), fondatrice d’une librairie-café de femmes en 1978, auteure de nombreux articles et livres consacrés à cette grande cause, présidente d’une association internationale dédiée à l’étude de l’histoire des femmes, je me suis installée hier soir devant ma télévision avec intérêt (vous comprenez pourquoi) et avec curiosité (les médias n’ont guère brillé, jusqu’ici, pour leur objectivité en la matière). Avec bienveillance, aussi, car Arte est plutôt connue pour son sérieux, quoi que je me souvienne d’une soirée du 8 mars très spirituellement consacrée aux hommes. Hélas, traiter ce sujet avec compétence ne paraît toujours pas possible, et votre chaîne s’est alignée sur la tradition des grands médias français, qui consiste depuis la fin de la décennie 1970 à proclamer que le féminisme est mort – sans avoir jamais pris la peine d’en parler quand il était vivant ni se demander pourquoi il faut répéter si souvent qu’il n’est plu
Rarement, pourtant, l’incompétence, la sottise, la flagornerie journalistique et la méchanceté ont été poussés aussi loin – je parle ici du débat et de l’apothéose filmique finale. Passe encore que vous n’ayez pas cru nécessaire de convier au débat une féministe française pour faire le pendant d’Alice Schwartzer et de Denise Bombardier, puisque l’auteure de L’Enfer des tournantes ne se reconnaît pas dans ce terme ; le féminisme n’a pas de nationalité, et ces deux femmes-là ne le représentaient pas plus mal que d’autres. Passe encore que, devant la rage de cette jeune femme et sa condamnation des féministes (accusées de n’avoir pas été à ses côtés dans son épreuve), Daniel Leconte n’ait pas eu l’esprit de lui rappeler que « les féministes » ne sont ni le GIGN ni l’Armée du salut, qu’elles font ce qu’elles peuvent là où elles sont, qu’il y en avait au moins une sur place (elle-même, car c’est ça une féministe : une femme qui estime que son malheur n’est pas une fatalité) ; et que d’ailleurs, si elle a pu porter plainte, c’est parce que d’autres féministes, avant elle, ont fait du viol un crime (la loi date de 1980) ; et aussi que, si elle a pu écrire un livre, c’est parce que d’autres féministes, avant elle, ont rendu possible la dénonciation publique de la misogynie (la première à le faire fut Christine de Pizan, à l’orée du XVe siècle, dans un contexte d’hostilité grandissante à l’égard des femmes qui ressemble d’ailleurs un peu au nôtre). Peut-être votre animateur était-il, lui aussi, embarqué dans l’émotion, et sans doute manquait-il cruellement d’informations – ce qui fait tout de même deux fautes professionnelles. J’espère que vous me pardonnerez si, ne pouvant remédier à la première, je me permets de vous fournir quelques éléments factuels concernant la seconde, pour le cas où l’occasion de réfléchir à cette question se représenterait.
Le pire, toutefois, a été atteint avec le dernier film. Comme c’était drôle de voir cette jeune personne occupée durant 20 minutes à montrer son minois et son corps sautillant, pour mieux faire ressortir les rides des vieilles dames interrogées ! à poser des questions supposées embarrassantes, mais pour une bonne part seulement désespérantes de sottise (ah, la guerre des sexes !), pour mieux déstabiliser lesdites vieilles dames, quitte à ricaner dans leur dos en voix-off, faute de bousculer quoi que ce soit durant l’entretien ! Quelle belle leçon de déontologie télévisuelle ! Et quel bel éclairage historique, philosophique apporté au sujet ! Pourrait-on savoir, en effet, ce qu’Antoinette Fouque et Elisabeth Badinter venaient faire dans une émission consacrée aux féministes ? La première ne s’est jamais définie comme telle et a passé une bonne partie de sa vie à combattre celles qui le faisaient (à partir de sa position de gourou d’un groupuscule-secte bien connu – sauf des journalistes d’Arte, apparemment). La seconde n’est plus féministe depuis au moins une quinzaine d’années, depuis X-Y notamment, où elle déclarait la lutte des femmes dépassée, et elle passe depuis lors une partie de son temps à dénigrer les féministes (qu’elle observe depuis son bureau de pédégère de Publicis – détail qui ne vous a pas semblé intéressant de préciser).

Imaginerait-on une émission intitulée « Où sont passés les gauchistes ? » et qui donnerait longuement la parole à Philippe de Villiers et à Jean-Marie Messier, sans préciser qu’ils n’en sont pas ? Si de nombeuses de personnes ou groupes qui se revendiquent féministes ont refusé de participer à cette émission, comme le laissait entendre le film (sans que leur nom soit cité, ce qui permet tous les amalgames), c’est peut-être qu’il y avait quelques raisons ?
Oui, je sais, le mouvement féministe, c’est compliqué. Mais la guerre d’Algérie aussi c’est compliqué. Et, que je sache, ça n’empêche pas des journalistes de se colleter régulièrement au sujet, et de s’informer, et d’essayer de faire comprendre la complexité de la chose. Et je ne crois pas avoir jamais vu une émission où l’on mélangeait les gens du FLN et ceux de l’OAS (tous convaincus, pourtant, d’agir pour le bien de l’Algérie), ni où l’on ricanait de leurs combats (faut-il rappeler que la misogynie fait chaque année des milliers de mortes de par le monde ?), ni où on les interrogeait avec autant de mépris, ni où l’on suggérait lourdement que, merde, izauraient pu se mettre d’accord, font chier les Algériens avec leurs querelles à la noix.
Que la réalisatrice ait succombé à la tentation de se mettre en valeur au dépens de son sujet et de ses interlocutrices est humain. Qu’elle se soit crue autorisée à faire l’impertinente du haut de ses jeunes années et de son ignorance est hélas devenu habituel à la télévision. Mais que les responsables d’Arte aient jugé bon de passer à l’antenne ce « documentaire », qu’ils (elles ?) n’aient vu ni la dérive auto-référencielle, ni le manque d’écoute et de respect des personnes interviewées, ni la bouillie infame servie en guise de nourriture, ni l’évident ratage de l’entreprise (vu que tant de personnes a priori concernées ont refusé d’y participer) est proprement désespérant.
Des féministes, il n’y en a peut-être pas toujours eu, mais il y en a en France depuis six siècle au moins, de tous les âges, de tous les sexes, de toutes les conditions. Il y en a dans nos belles provinces. Il y en a dans les écoles, dans les universités, dans les hôpitaux, dans les entreprises, dans les ministères, dans les associations, dans les partis et même dans les organes de presse ! Si on les cherche, on les trouve. Mais il est moins risqué de parier sur la prochaine émission annonçant leur disparition que sur une qui, enfin, se donnerait pour tâche de les écouter.
Eliane Viennot (La rédaction d’ARTE n’a jamais pris la peine de répondre à cette lettre).

Isabelle Giraud
Le 10 décembre 2003

Comment ne pas réagir en tant que citoyenne au reportage diffusé par Arte mardi soir ?
Tout d’abord, un mot sur l’une des invitées d’Arte hier soir, Denise Bombardier. Dans le magazine québécois La Gazette des femmes, publié par le Conseil du statut de la femme du gouvernement du Québec ( donc un organisme très officiel) vol. 24, n°6, mars-avril 2003, qui a consacré ce numéro au « procès du féminisme », Denise Bombardier est présentée comme une figure du ressac anti-féministe au Québec (p. 20). Dramatiquement, c’est elle qui hier soir s’est offusquée devant l’anti-féminisme français… en disant que « toute femme un peu intelligente au Québec se dit au minimum « féministe ». Il y a en fait deux problèmes à la base de ce reportage : le premier c’est que la France demeure un des rares pays du monde où être féministe n’est pas une attitude quotidienne normale des femmes mais une attitude militante d’avant-garde. On peut être humaniste et ne pas militer dans un groupe comme la Ligue des droits de l’Homme ou Amnestie International. Ne serait-on pas absolument ridicule si on disait : voilà, je suis choqué que les droits humains soient autant bafoués mais je ne suis pas humaniste ! C’est pourtant ce que peut faire Jeaneau et beaucoup de femmes qui ont réussi individuellement à percer dans des univers encore fortement masculinisés. C’est donc bien aux Français-es de déconstruire les stéréotypes « d’arrière-garde  » encore attachés au mot « féministe ». Etre féministe, c’est l’attitude la plus normale de toute femme qui signifie « je suis consciente qu’il faut encore se battre pour être libre quand on est déclarée de sexe féminin » ( même si individuellement je peux me sentir libre en tant q blanche, en tant que dirigeante d’une entreprise, en tant que journaliste etc. )
Le deuxième problème est le rapport difficile entre les médias et tout mouvement social. Le journaliste est à la recherche de personnes pouvant jouer le rôle de porte-parole. Jeaneau se fourvoie parce qu’elle cherche des personnes là où toute enquête sur un mouvement social commence par la recherche de groupes, d’associations, d’institutions. Du coup, elle confond féminisme et avant-gardisme féministe. Tout mouvement a besoin d’une avant-garde qui est là pour aller chercher de nouvelles problématiques. Les années 70 avaient leur avant-garde, ces féministes qu’elle visite comme des monuments historiques… Et c’est une chance pour le mouvement féministe français d’avoir encore aujourd’hui cette avant-garde, renouvelée depuis 1995 par ceux et celles qui se réclament du néo-féminisme et pas seulement active à Paris. Elle est faite de réseaux, de cyberféminisme, d’associations mixtes et de jeunes féministes, des personnes qui rendent petit à petit de nouvelles revendications plus légitimes ou qui développent au veau local des initiatives inédites, absolument nécessaires et totalement occultées par cette journaliste très « parisienne ». Mais il y a aussi tout un ensemble d’associations pour certaines fortement institutionnalisées qui représentent le féminisme français et qu’elle aurait dû rencontrer si elle avait fait correctement son travail : les Centres Nationaux d’Information sur les Droits des Femmes qui sont implantés sur tout le territoire et qui informent les femmes de leurs droits et leur fournissent du conseil juridique, le Planning familial, qui est aussi implanté sur toute la France pour recevoir, conseiller les femmes en matière de droits reproductifs, la Fédération Nationale Solidarité Femmes qui coordonne des centres d’accueil pour femmes victimes de violences et les écoute sur sa permanence téléphonique, l’AFVT qui défend les femmes victimes de violences au travail, le GAMS contre les mutilations sexuelles, la CADAC sur la défense des droits à l’avortement et la contraception, le réseau Rutpure qui connue par exemple à lutter pour l’égalité en politique ( Jeaneau n’est pas la seule à voir que la loi sur la parité n’est pas contraignante), les différents regroupements féministes dans les syndicats qui luttent contre les inégalités dans le monde du travail (que Jeaneau aurait quand même pu aller rencontrer les militantes de SUD-PTT, par exemple, avant de prétendre que personne ne s’occupe de ce sujet) les Collectifs national et locaux pour les droits des femmes qui regroupent beaucoup d’associations, de groupes dont des partis politiques de gauche et des individuelles, et qui organisent manifestations et rencontres, comme par exemple la Marche mondiale des femmes ( absente du reportage : une journaliste qui ne lit pas les journaux !) et la toute récente Assemblée européenne pour les Droits des Femmes, en avant première du Forum Social Européen, qui a réuni près de 3000 personnes le 12 novembre dernier. Enfin, soulignons que si Jeaneau est partie en Allemagne, elle aurait quand même dû faire aussi un détour par Bruxelles… où la Commission comme le Parlement travaillent très fort et financent les expériences féministes nationales à l’échelle européenne.
Je sais que ce tour d’horizon est rapide mais pour qui ne connaît pas le féminisme français, il y a de quoi s’interroger sur son existence-même devant la présentation qui nous a été proposée par Arte. Et bien qu’il faille condamner ce documentaire sans appel, il est tout de même possible de souligner que le reportage « Où sont passées les féministes ?  » montre combien la résistance rencontrée par les féministes françaises est grande : même Yvette Roudy, plusieurs fois députée, ancienne ministre des droits des femmes, déplore que les médias ne passent pas ses communiqués et ses interventions. Pour ma thèse j’ai recueilli également plusieurs témoignages de cette difficulté pour les féministes de percer le barrage opposé par les médias. Il y a donc aujourd’hui urgence de dénoncer l’exclusion qu’opposent les médias d’information aux femmes « les plus normales… » et de former des journalistes féministes, comme en Allemagne ou au Québec, qui ensuite dirigent les journaux grand public. Peut-être en créant un magazincomme « Emma » ou « La Gazette des femmes » ? Ensuite, ce reportage met en évidence les conséquences dramatiques de l’absence de l’histoire du féminisme dans les enseignements scolaires et universitaires : Madame Jeaneau a sûrement fait toutes ses études comme moi-même, qui suis à peine plus âgée qu’elle, sans même entendre parler des féministes de l’entre-deux guerres qui luttèrent pour le droit de vote. Alors, pensez que le féminisme contemporain est loin d’avoir droit de cité dans les enseignements généraux !
Enfin, et là je parle pour ma génération des héritières du féminisme des années 70, l’attitude attentiste envers nos aînées est absolument détestable. Les fondatrices de Ni Putes Ni soumises, même si elles ne se disent pas féministes, ont au moins compris qu’elles devaient prendre en main leur destin. Jeaneau n’a qu’à en faire de même, au lieu d’accuser des femmes épuisées par des luttes aussi difficiles de ne pas continuer à porter le flambeau partout et tout le temps. Attendre des autres femmes une solidarité qu’on n’est pas soi-même capable de développer, refuser l’idée qu’une libération est un processus et non une révolution immédiate et irréversible et juger les résultats des luttes sans piper mot des difficultés rencontrées pour avancer, voilà autant de manifestations d’individualisme ordinaire par lesquels il faudrait déjà commencer… »Cultivons notre jardin », disait Voltaire… Hier soir il y avait donc vraiment matière à s’inquiéter car je sais que beaucoup d’héritières du féminisme, malheureusementvont boire les commentaires mesquins en voix off de la journaliste et appuyer son agressivité. Alors j’ai repensé à cette réflexion de Rosemarie Brown, députée de Vancouver, en 1973 qui disait : « Si 50 pour cent des sièges du parlement sont occupés par des femmes convaincues que la notion masculine du pouvoir est la bonne, alors à la continuité de mon oppression s’ajoutera un sentiment de trahison » ( Toronto, 15 juin 1973). Nous sommes trahies, surtout nous, les féministes de l’âge de cette journaliste, qui fait semblant d’être reconnaissante envers nos aînées (cf. la fin du reportage où elle lance sa gerbe de fleurs) tout en renforçant la reproduction de la résistance aux féminismes en France.

Isabelle Giraud

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