La médiation pénale, une négation du droit des victimes de violences physiques ou sexuelles de recourir à la justice

La médiation pénale, une négation du droit des victimes de violences physiques ou sexuelles de recourir à la justice
Lorsqu’une personne victime de violences sexuelles dépose plainte, elle attend de la justice qu’elle enquête, qu’elle reconnaisse la gravité des agissements dénoncés et qu’elle sanctionne l’auteur des violences. Ce dépôt de plainte est une décision réfléchie, souvent prise après des mois, des années de violences ou parce que ces violences se sont subitement aggravées.

La réponse donnée par la justice à cette plainte est significative de l’importance accordée par la société à la lutte contre les violences masculines.
Parce que nous pensons que les violences sexuelles sont une atteinte inacceptable à la liberté individuelle de la personne qui en est victime, et qu’elles ont un impact pour toute la société, nous demandons à l’Etat de rendre justice, d’affirmer l’interdit des violences sexuelles, de se prononcer sur la culpabilité de l’auteur des violences et d’exiger une réparation.
Dès lors, nous nous opposons au recours à la médiation pénale.

La médiation pénale est inscrite dans le Code de procédure pénale


L’article 41-1 C. Proc. Pen.
dispose : « S’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l’action publique, directement ou par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire, d’un délégué ou d’un médiateur du procureur de la République : (…)
5º Faire procéder, avec l’accord des parties, à une mission de médiation entre l’auteur des faits et la victime
; (…)
La procédure prévue au présent article suspend la prescription de l’action publique. En cas de réussite de la médiation, le procureur de la République ou le médiateur du procureur de la République en dresse procès-verbal, qui est signé par lui-même et par les parties, et dont une copie leur est remise ; si l’auteur des faits s’est engagé à verser des dommages et intérêts à la victime, celle-ci peut, au vu de ce procès-verbal, en demander le recouvrement suivant la procédure d’injonction de payer, conformément aux règles prévues par le nouveau code de procédure civile.
En cas de non-exécution de la mesure en raison du comportement de l’auteur des faits, le procureur de la République, sauf élément nouveau, met en ?uvre une composition pénale ou engage des poursuites.
»

D’après ce texte, une mesure de médiation peut être prononcée s’il apparaît qu’elle est susceptible :

« d’assurer la réparation du dommage causé à la victime »

« de mettre fin au trouble résultant de l’infraction »

« ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits ».

Ces trois critères ne se cumulent pas ; le mot « ou » indiquant bien qu’un seul des objectifs énoncés suffit pour justifier le renvoi en médiation.
Le Code de procédure pénale ne pose en outre aucune limite quant à la nature de l’infraction pour permettre au procureur de renvoyer vers la médiation. Des plaintes pour violences physique ou sexuelle peuvent donc faire l’objet de médiation pénale.

Le texte prévoit par ailleurs que « les parties », c’est-à-dire l’auteur des faits et la victime, doivent donner leur accord, sans autre précision.

La médiation pénale est une procédure alternative aux poursuites pénales… 

Concrètement, les parties reçoivent une lettre du parquet les informant du renvoi de la plainte vers la médiation pénale. Puis celle d’un médiateur(1) qui les invite à se présenter pour un premier entretien(2) au cours duquel il présente le cadre de sa mission et s’assure de l’accord des « parties ».

Selon l’Etat, la médiation pénale est une « voie médiane entre le classement sans suite et la poursuite pénale, (elle) constitue une réponse judiciaire à des infractions comme les dégradations, les violences légères, les contentieux familiaux mineurs ou les contentieux de voisinage(3) ».

L’objectif de la médiation est bien d’apporter une réponse judiciaire autre que le classement sans suite (qui équivaut à un refus de traiter une plainte) ou le renvoi devant un tribunal pénal.
On note toutefois que cette présentation (sur un site internet officiel destiné à la vulgarisation du droit) n’énumère qu’un seul type d’infractions : des contraventions à l’exclusion des infractions plus graves. Or dans les faits, et comme le droit l’y autorise, la médiation pénale est aussi utilisée pour des infractions qualifiées de délits telles que les violences physiques ou sexuelles.

… qui peut présenter des avantages pour l’Etat

Les partisan-e-s de la médiation soulignent qu’elle « apporte une réponse au litige pénal de manière souple, rapide et simple, par la recherche de solutions amiables (4) ». Elle constituerait notamment une réponse à une critique souvent formulée sur la lenteur de la justice.

La médiation présente aussi l’avantage de contribuer au « désengorgement » des tribunaux. Au détriment des droits des victimes de violences.
En effet, une bonne partie des plaintes renvoyées vers la médiation aurait dû faire l’objet d’une audience pénale. Si l’on se réfère à « L’évaluation des pratiques de médiation pénale des associations de victimes en 2004(5) », « au moins 50% des 23 664 médiations pénales terminées au 31 décembre 2004 sont relatives à un contentieux relationnel . » Le rapport précise ensuite que « Le 1er contentieux envoyé en médiation pénale concerne les faits de violences », dont 24,10% de violences conjugales et 10,60% de violences familiales.

Enfin, elle est peu onéreuse et s’inscrit bien dans la politique de maîtrise des dépenses publiques ; l’article R-121-2 du C. Proc. Pen. fixe à 38,87 euros, le paiement d’une mission de médiation en application des dispositions de l’article 41-1, 5° C. Proc. Pen.

Cependant, les termes utilisés pour désigner les infractions à l’origine de la plainte pénale : « litige » qui renvoie à une contestation, ou « conflit » -souvent rencontré dans les textes sur la médiation(6)– qui signifie « une opposition de sentiments, d’opinions(7) » dévoilent les limites qui devraient être fixées à la médiation pénale.
Ils sont antinomiques avec la gravité des agissements dénoncés par les personnes victimes de violences sexuelles ou physiques. De même, qualifier de « contentieux relationnel » des violences conjugales révèle les fondements théoriques de cette approche, où les parties sont placées à équivalence et qu’il faut rapprocher… quand nous pensons qu’il faut poser la responsabilité de l’auteur des violences et sanctionner celui-ci.

…mais devrait être proscrite en cas de violences physiques ou sexuelles contre les personnes

Mme L dépose une plainte pour dénoncer les violences sexuelles commises par M. S. sur son lieu de travail. Pour toute réponse judiciaire, elle reçoit un avis à médiation.

Il est écrit que « la médiation a pour but de tenter de résoudre le conflit vous opposant à M…. ». Plus loin : « il s’agit de rechercher ensemble une solution à cette situation ».

Les violences sexuelles ou physiques sont des actes de domination et de contrôle de la victime.
Il ne s’agit donc pas d’un « conflit » dans lequel chacune des parties aurait une part de responsabilité. Ni même d’agissements qui, dans l’hypothèse rarissime où l’auteur des violences admet sa responsabilité, pourraient se régler par « une solution amiable ».
Les auteurs de violences sexuelles doivent répondre de leurs actes devant la justice.

En outre, les principes mêmes de fonctionnement de la médiation s’opposent à son recours en cas de violences. En effet, les parties sont supposées pouvoir consentir à la médiation et être en mesure de négocier un accord, ce qui implique qu’elles soient libres et en position d’égalité. Or, les personnes victimes de violences sont sous l’emprise et la domination de l’agresseur. Cette réalité est antinomique avec le postulat de la symétrie entre les parties.

Les actions menées par les associations féministes luttant contre les violences masculines à l’encontre des femmes.

Pour s’opposer au renvoi en médiation en cas de harcèlement sexuel :

Voir le communiqué de presse non à la médiation en cas de harcèlement sexuel du 17 décembre 2001

Pour s’opposer à la mise en place d’une médiation pour statuer sur l’exercice de l’autorité parentale conjointe, même en cas de violences exercées par un conjoint.

Voir la lettre du 11 février 2002 de l’AVFT à M. Jospin

Voir le texte « Des associations se mobilisent … » du 12 février 2002

Tant que le Code de procédure pénale ne fixera aucune limite au recours à la médiation, le législateur continuera de la prescrire, le procureur de renvoyer les plaintes vers les services de médiation et les victimes d’être choquées que les violences dénoncées n’aient pas été jugées suffisamment graves pour mériter la justice commune.

C. Le Magueresse

Notes

1. Ou d’un délégué au procureur

2. « Le médiateur ou le binôme de médiateurs reçoit individuellement chacune des parties convoquées.
Il présente le cadre et l’esprit de la médiation, et recueille leur consentement.
Le médiateur s’assure que chaque partie comprend les informations transmises.
Le médiateur est le garant du processus de médiation. Il est souhaitable que le médiateur fasse signer aux parties un engagement de principe de participation à la médiation, et d’acceptation de ses règles fondamentales.
Le temps des entretiens initiaux permet aux parties d’exprimer librement les éléments du conflit.
L’entretien initial individuel permet en outre au médiateur d’évaluer la pertinence à mettre les parties en présence une fois les adhésions recueillies.
Chacune des parties au conflit reçoit au cours de ces entretiens les mêmes informations :
Présentation de l’identité du médiateur (nom, membre d’une association habilitée, qualité s’il le souhaite de salarié ou bénévole)
– Information relative au mandat de médiation (origine du mandat et retour au parquet avec un rapport)
– Information générale quant à la place de la mesure de médiation dans la procédure
– Information du rôle du médiateur
– Information sur la possibilité d’être assisté par un avocat (…)
Au cours de ces entretiens initiaux, le médiateur doit respecter les principes éthiques. En cas de refus définitif de la médiation pénale, une confirmation écrite de cette décision par la partie concernée est souhaitable. Le médiateur prendra soin d’en informer l’autre partie ». In « Le cadre d’intervention en médiation pénale » « Guide de bonnes pratiques », www.inavem.org

3. http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F1739.xhtml Présentation de la médiation sur les pages internet de « Service-Public », le portail de l’administration française.

4. Voir par exemple le site de l’Association départementale d’aide aux victimes des Alpes de Haute Provence ; http://adav04.online.fr/index.php?pg=media

5. www.inavem.org

6. Voir par exemple, le site de la Documentation française : http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/justice-proximite/modes-alternatifs-reg

7. Le petit Larousse, édition 1993.

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