Un arrêt qui consacre la légitimité et les méthodes d’intervention de l’AVFT auprès des victimes

Les 12 avril et 7 mai 1990, Sylvie Cromer, alors secrétaire générale de l’AVFT, adresse une lettre au président d’une association de formation pour dénoncer le harcèlement sexuel de B. K., directeur d’une antenne départementale, à l’encontre de stagiaires.

La lettre du 12 avril indiquait :

« Selon les témoignages en notre possession, recueillis par les formatrices auprès des stagiaires personnellement concernées, voici comment Monsieur B. K. procède pour faire ces avances sexuelles (…) En tant qu’employeur, la responsabilité vous incombe de garantir aux stagiaires qui étudient dans vos centres ainsi qu’au personnel des conditions d’étude et de travail décentes et respectueuses de leur dignité ».

B. K. dépose une plainte contre Sylvie Cromer.
Le 24 janvier 1994, le Tribunal de police de Paris déclare Sylvie Cromer coupable(1) d’injures non publiques pour ce qui concerne la lettre du 12 avril 1990 et la relaxe pour la lettre du 7 mai 1990 au motif que pour cette deuxième lettre, elle disposait de témoignages écrits qui la rendaient de bonne foi et légitime à dénoncer les faits, lesquels témoignages faisaient défaut au moment de l’envoi de la première lettre.

La Cour d’appel de Paris, le 30 juin 1994, constate le caractère définitif de la relaxe pour la lettre du 7 mai 1990 et infirme le jugement relatif à la lettre du 12 avril 1990. Mme Cromer est donc relaxée pour les deux lettres.

Saisie par B. K., la chambre criminelle de la Cour de cassation annule l’arrêt de la Cour d’appel le 18 juillet 1995. L’affaire est donc renvoyée devant une nouvelle Cour d’appel qui rend le 16 février 1996 un arrêt relaxant Mme Cromer :

« (…) Constate que Mme Cromer Sylvie, qui n’a manifesté aucune intention coupable, intention de nuire, qui a agi conformément à l’objet de l’AVFT, était de bonne foi dans la rédaction de la lettre du 12 avril 1990 et dans l’envoi tant à l’employeur de B. K. qu’aux deux autorités Ministère du travail et Fonds d’Action Sociale, de tutelle ou subventionnant ».
Dit que ce faisant, elle n’a commis ni négligence ni imprudence pour avoir accompli les stricts devoirs de sa charge, aucune faute de nature à avoir constitué une imputation de harcèlements sexuels assimilable à une injure non publique (…) ».

Pour arriver à cette conclusion, les magistrats de la Cour d’appel de Versailles étudient en profondeur, sous l’intitulé « faits et procédures », le mode de fonctionnement de l’AVFT.

Pour la Cour d’appel de Versailles :
l’AVFT est légitime à enquêter 

« Considérant que le 16 janvier 1990, l’AVFT recevait un appel téléphonique d’une formatrice travaillant au sein , dénonçant le chantage sexuel exercé par le directeur du centre, B. K., à l’encontre des stagiaires ;
Que l’AVFT procédait à la vérification des faits portés sa connaissance et entretenait des contacts avec trois formatrices , Mmes A., M. et B., jusqu’en mars 1990 ; que les formatrices recueillaient les témoignages (anonymes) qu’elles transmettaient à l’AVFT ainsi que le témoignage d’une dame G., formatrice, qui venait d’être victime de faits de harcèlement sexuel, le 12 mars 1990.
Qu’après son enquête auprès de ces personnes, l’AVFT (…) écrivait la lettre litigieuse du 12 avril 1990 (…) ».

« Considérant que l’enquête de Mme Cromer, dans les limites de l’objet de l’association, a été sérieuse tout en étant discrète et conduite selon des moyens qui ne pouvaient être ceux de la procédure pénale exigés d’OPJ(2) ou d’un juge d’instruction ».

L’AVFT n’a pas besoin de témoignages écrits pour se forger une opinion… 

« Considérant qu’il importe peu que les témoignages aient fait l’objet d’un ou plusieurs écrits postérieurs au 12 avril 1990 dès lors que les faits référencés dans la lettre du 12 avril 1990 avaient une existence dont la rédactrice s’était assurée avant l’envoi aux deux autorités et à l’employeur de B. K.
Considérant qu’il importe peu que les témoignages soient la retranscription de confidences, dires, déclarations, (…) ».

« Considérant (…) que Mme Cromer a valablement tiré la conclusion que les diverses relations(3) étaient concordantes ; qu’elle n’avait pas, alors, à chercher si les relations devaient être faites par écrit (…) »

… Ni besoin d’attestations revêtant la forme légale pour croire les victimes

« Considérant (…) qu’au stade d’une recherche d’une information sérieuse, il ne saurait être reproché à Mme Cromer de n’avoir eu que des relations faites par des formatrices, conçues comme des confidences par les stagiaires, les attestations ou témoignages en ce stade de la « procédure » n’ayant pas à revêtir la forme de l’attestation ou du témoignage produits en justice ».

« Considérant (…) que Mme Cromer (…) n’avait pas, alors, à chercher si les relations devaient (…) revêtir les formes sacramentelles de documents destinés à être produits en justice ».

La saisine de l’employeur et des institutions pour des cas de violences sexuelles au travail est un devoir de l’AVFT

« Considérant que Mme Cromer a agi conformément aux buts de l’association (…) ; que l’objet de l’association était notamment de défendre et de soutenir les femmes agressées (…) que la défense et le soutien des femmes (…) se manifestent notamment, dès lors que la matérialité de l’agression est contrôlée, au moins(4) par la demande d’intervention de la hiérarchie de l’auteur des agressions ».

« Considérant (…) qu’elle a agi, le 12 avril 1990 de la manière la plus discrète, sobre, mais néanmoins efficace, pour que l’employeur soit informé et procède à une enquête ».
« Considérant (…) que Mme Cromer est justifiée pour avoir agi dans les strictes limites de ses devoirs et obligations de la seule manière appropriée, de bonne foi ».

L’enquête de l’AVFT ne saurait être contradictoire 

« Considérant (…) sur la critique de l’absence d’audition contradictoire de lui-même, par Mme Cromer, la partie civile n’indique pas sur quelle base Mme Cromer aurait eu qualité pour procéder à un tel acte contradictoire (…) ».

« Considérant (…) qu’il est établi (…) que Mme Cromer (…) n’avait aucune autorité ni compétence pour procéder à un interrogatoire « contradictoire ».

Cet arrêt est donc fondamental car il valide et conforte les procédés d’intervention élaborés par l’AVFT. La justice reconnaît la qualité et le bien-fondé du travail de l’association dans son soutien aux victimes, que les magistrat-e-s(5) rédacteur-trice-s de l’arrêt désignent, en faisant entorse à la règle d’accord de la langue française, sous l’expression « êtres humain E s ».

Marilyn Baldeck

Notes

1. Elle est condamnée à une amende de 30 francs et à un franc à titre de dommages et intérêts

2. Officiers de Police Judiciaire

3. Le fait de relater

4. C’est nous qui soulignons. Pour les magistrats, c’est donc le moins que l’AVFT puisse faire pour remplir sa mission.

5. Président : Monsieur Dubreuil. Conseiller-ère-s : Monsieur Limoujoux et Madame Delafollie.

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