Lettre à Henriette Zoughebi au sujet de l’atelier-débat « L’égalité c’est pas sorcier » du 12 novembre 2009

Henriette Zoughebi
Conseil Régional d’Ile de France
33 rue Barbet de Jouy
75007 Paris

Paris, le 22 décembre 09

Chère Madame,

Je fais suite à votre demande de vous transmettre une version écrite de mon intervention lors de l’ «Atelier forum» «l’Egalité c’est pas sorcier», initié par le Parti Communiste, avec la participation de l’ensemble des «partis de gauche» à la Courneuve le 12 novembre dernier.

Vous trouverez donc ci-joint ledit texte.

Je profite de la présente pour prendre acte qu’à l’exception notable de votre propre invitation, en conclusion de la soirée, à ce que les «partis de gauche» se mobilisent sur cette question (en «votant des lois pour que les élus condamnés soient déchus de leur mandat»), et d’une pétition dont vous avez eu ensuite l’initiative, lancée le 25 novembre dernier, aucune des femmes(1) représentant les «partis de gauche» présentes le 12 novembre à la Courneveuve -à une soirée, faut-il le rappeler, organisée sur les droits des femmes et, notamment, la lutte contre les violences- n’a cru bon prendre le moindre engagement ni a minima reconnaître l’existence d’un tel scandale, ni en leur nom propre, ni au nom de leur parti politique d’appartenance.

Vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes salutations distinguées.

Marilyn Baldeck
Déléguée Générale

PJ : intervention à la Courneuve.

Intervention(2) dans le cadre de l’Atelier Forum «l’Egalité c’est pas sorcier», La Courneuve, cinéma l’Etoile
12 novembre 2009

Marilyn Baldeck, Déléguée générale de l’AVFT

Toutes les initiatives visant à promouvoir les droits des femmes sont à saluer, d’où qu’elles viennent.

L’AVFT, depuis près de 25 ans, lutte contre les violences sexistes et sexuelles commises au travail, principalement en intervenant aux côtés des victimes, notamment dans leurs procédures judiciaires, mais aussi en conseillant les employeurs désireux de mettre en place des poltiques de prévention et de traitement des plaintes au sein de leurs entreprises. L’AVFT est aussi un organisme de formation spécialisé sur ces violences et un centre de recherche sur les violences faites aux femmes.

Dans le temps qui m’est imparti, j’ai choisi de mettre en lumière une problématique concernant particulièrement les partis politiques et qui fait l’objet d’une campagne menée par l’AVFT depuis quatre ans et demi. Depuis de nombreuses années, l’AVFT est saisie par des victimes de violences sexuelles commises par des élus -surtout des maires, mais aussi un sénateur- de tous bords politiques et donc y compris élus des différents partis de «gauche». Récemment, l’AVFT et l’association Femmes Solidaires ont soutenu une victime d’agressions sexuelles commises par un sénateur-maire socialiste(3), et se sont constituées partie civile à ses côtés.

Actuellement, nous sommes à nouveau engagées aux côtés de victimes, agentes de mairie et administrées, d’un maire communiste, qui a été convoqué devant le Tribunal correctionnel d’Amiens le 17 décembre dernier pour répondre de plusieurs formes de violences sexuelles.

A ce jour, nous avons gagné toutes les procédures pénales pour des agressions sexuelles engagées contre ces élus.

Mais, même condamnés, les maires continuent à exercer notamment les fonctions de premier magistrat de la ville, de chef de la police municipale, chargée entre autre de «préserver la moralité», mais aussi d’employeur exerçant un pouvoir hiérarchique sur les agentes de mairie. Parmi ces maires condamnés, l’un d’entre eux est également un sénateur, qui continue à voter les lois, y compris celles relatives aux droits des femmes. Car en effet, la peine de déchéance des droits politiques des élus, quand elle est prononcée, ce qui est loin d’être systématique, ne vaut que pour le prochain scrutin.

Il est notable qu’aucun des partis politiques d’appartenance de ces élus ne les a sanctionnés en les excluant. Dans un seul cas – il s’agissait d’un élu UMP – le parti politique d’appartenance dudit élu n’a pas autorisé le renouvellement de son adhésion, ce qui ne peut bien entendu pas s’apparenter à une exclusion.

En janvier 1999, l’AVFT avait déjà adressé une lettre à l’ensemble de partis politiques pour leur demander de se positionner sur cette question.
Aucun parti de «droite» n’avait répondu à cette lettre. Un certain nombre de partis de «gauche», y avaient répondu(4) :

  •  Le Parti Socialiste relevait «le nombre impressionnant de femmes victimes d’agressions sexuelles sur leur lieu de travail» en éludant totalement la question de la responsabilité du parti en cas de violences commises par un de ses élus.
  • Les Verts affirmaient tout à la fois «avoir toujours porté une attention particulière à la question des droits des femmes» et qu’il «apparten(ait) à l’élu d’évaluer s’il doit démissionner ou non».
  • Le Parti Communiste faisait référence aux motifs d’exclusion prévus par ses statuts pour se prononcer pour l’exclusion des élus pour «toute violence ou agression sexuelle».
  • La Ligue Communiste Révolutionnaire se positionnait pour la «suspension immédiate» de l’élu «en cas d’ouverture d’une instruction pour agression sexuelle» et pour l’exclusion des élus ou membres de l’organisation condamnés pour de telles violences. Mais les élus de la LCR ne sont pas légion…

En janvier 2009, soit 10 ans après la 1ère lettre, nous avons demandé à l’ensemble des partis politiques de répondre à cinq questions(5) afin de mesurer l’évolution de leurs positions sur ces questions. A ce jour, nous n’avons reçu qu’une seule réponse, celle du Parti Communiste. Le PC affirme que «Tout auteur commettant de tels actes n’a pas sa place au sein de notre parti. Tous faits connus de cette nature, sont inadmissibles et ne peuvent être justifiés». S’agissant de la «question d’un possible retrait de mandat ou l’interdiction d’exercer sa fonction», le PC la fait dépendre «du cadre juridique institutionnel», qui doit «évoluer comme le stipule le projet de loi cadre (du CNDF)». Or la proposition de loi-cadre contre les violences faites aux femmes du CNDF est justement silencieuse au sujet des élus mis en cause pour des violences sexuelles.

Pour ne pas exclure les élus mis en cause pour des violences sexuelles, les partis politiques se retranchent généralement derrière le principe de présomption d’innocence de celui qui n’est pas traduit devant une juridiction répressive, qui a fait appel d’une condamnation ou s’est pourvu en cassation.

Cet «argument» est fallacieux et opportuniste.

Les partis politiques peuvent, et doivent en effet se prononcer pour l’exclusion de leurs élus et membres sur d’autres bases que celle d’une condamnation pénale. Ils sont d’ailleurs capables d’écarter, de suspendre ou d’exclure des élus présumés innocents au regard de la loi pénale ou même relaxés par des tribunaux(6), si leurs actes et propos sont considérés comme une transgression ou une violation des valeurs défendues par le parti politique.

Aucune politique publique, aucun engagement politique en faveur des droits des femmes ne pourra être légitime, cohérente et crédible s’il émane d’un parti politique qui n’a pas adopté de politique claire de sanctions de ses élus et militants ayant commis des violences sexuelles.

Notes

1. Delphine Beauvois (Parti de Gauche), Laurence Cohen (PCF), « Delphine » (Gauche Unitaire), Léa Guichard (NPA), Gaelle Lenfant (PS), Arlette Zilberg (Les Verts).

2. La version écrite est quelque peu plus étoffée que la version orale : deux minutes étaient prévues par intervention

3. Lequel a été condamné pour agressions sexuelles par le Tribunal correctionnel de Paris, condamnation confirmée le 1er juillet 2009 par la Cour d’appel de Paris. Il s’est pourvu en cassation.

4. Ces réponses sont consultables sur le site Internet de l’AVFT, www.avft.org

5. Cette lettre est consultable sur le site Internet de l’AVFT.

6. Julien Dray, député de l’Essonne et vice-président du Conseil Régional d’Ile de France, avait été écarté des listes du Parti Socialiste pour les prochaines élections régionales dans l’attente de la décision du procureur dans une affaire « d’abus de confiance ». Georges Frêche, quant à lui, a été exclu du PS alors même qu’il a été relaxé des injures à caractère raciste qui lui étaient reprochées, au motif que ses propos n’étaient pas «compatibles avec les valeurs d’égalité et de respect des droits humains» prônées par le PS.

Lettre à Henriette Zoughebi, 22 décembre 2009

Print Friendly, PDF & Email
Cliquez pour partager sur Facebook (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Twitter (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Whatsapp (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager par email (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour obtenir un PDF de cette page prêt à imprimer ou à partager par email