Bilan des procédures pénales pour les violences sexuelles commises par un maire d’une commune de Picardie à l’encontre d’agentes ou d’administrées : un « dossier » mal préparé et des réquisitions aberrantes du ministère public aboutissent à une décision rétrograde

L’AVFT, à l’occasion d’une intervention lors d’un colloque en Picardie en octobre 2007, avait été alertée sur l’existence d’un maire ayant agressé sexuellement plusieurs femmes, agentes de mairie ou administrées en demande d’aides sociales de sa commune. Le comité de soutien aux victimes, constitué par certain-e-s élu-e-s du même parti politique que le maire (Parti Communiste), lesquels avaient démissionné du Conseil municipal lorsqu’ils et elles avaient pris connaissance des violences, nous avait remis le dossier qu’il avait constitué. Ce comité de soutien sollicitait l’appui de l’AVFT, qui depuis cinq ans mène une campagne pour que les élus auteurs de violences sexuelles soient sanctionnés politiquement, administrativement et judiciairement.

M.G., dans le cadre de ses fonctions de maire, avait utilisé son pouvoir pour harceler et agresser sexuellement plusieurs femmes, salariées ou habitantes de la commune. Il avait également violé l’une d’entre elles.

Six femmes avaient déposé plainte ou accepté de témoigner par écrit entre octobre 2007 et mars 2008. Quatre autres femmes s’étaient manifestées, mais n’avaient pas souhaité officialiser leur dénonciation.
Seules deux plaintes avaient finalement donné lieu à des poursuites par le parquet, plus d’un an après leur dépôt. Pour Mme A, victime de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles et de viol, M. G. est renvoyé du chef de harcèlement sexuel uniquement. Pour Mme D, notamment victime de harcèlement sexuel, il est renvoyé du chef d’appels téléphoniques malveillants (à la décharge du parquet, cette dernière n’a révélé le harcèlement sexuel tardivement et uniquement à l’AVFT)(1).

Ce n’est qu’au moment du renvoi de M.G. devant le Tribunal correctionnel que les victimes, informées de ce l’AVFT n’interviendrait qu’à leur demande expresse, ont directement pris contact avec l’association.

Nous nous étions alors déplacées à plusieurs reprises pour rencontrer Mmes A, F, L, D, victimes, ainsi que plusieurs personnes du comité de soutien et Me B., avocate de Mme A. Celle-ci considérait que le dossier était « très mal engagé » et qu’il contenait très peu d’éléments. Nous divergions sur ce dernier point car au contraire, de notre point de vue, un travail approfondi sur le dossier aurait permis d’en faire ressortir des éléments probants.

Gwendoline Fizaine, chargée de mission, avait proposé au collectif de soutien et aux victimes un certain nombre de démarches, notamment judiciaires, de recueil d’attestations et d’éléments de preuve complémentaires, permettant notamment de relancer certaines plaintes, mais ces nouveaux éléments et compléments de plainte n’avaient été produits ni par les victimes ni par la plupart des membres du comité de soutien.
Cette absence de réactivité a rendu inopérante la stratégie judiciaire entrevue par l’AVFT, que Me B avait déjà des difficultés à porter : La demande de renvoi au vu d’éléments nouveaux devenait en effet impossible; la tardiveté de ces constats ne nous avait en outre pas permis de préparer les victimes au procès.

Conformément à ses principes d’intervention aux côtés des victimes, en l’absence de demandes explicites de celles-ci, l’AVFT ne s’était pas constituée partie civile auprès d’elles mais Gwendoline Fizaine s’était rendue, en solidarité, à l’audience du Tribunal correctionnel qui s’est tenue le 17 décembre 2009.

L’audience du Tribunal correctionnel

Deux autres victimes étaient citées comme témoin par Me B, avocate de Mme A. M.G. avait contesté les faits de harcèlement sexuel, d’agression sexuelle et de viol (poursuivis sous le chef de harcèlement sexuel uniquement) et avait en revanche reconnu les appels malveillants.

Les avocates des victimes n’ont pas souhaité demander de requalification ni d’additif (2), ce qui aurait pourtant été opportun. La maîtrise de la technique du « faisceau d’indices concordants » en matière de preuve (3) leur a fait défaut et leurs demandes de dommages et intérêts, à hauteur de 2000? €, est loin de pouvoir réparer le préjudice effectivement subi par ces deux femmes.

Après avoir précisé qu’il ne voyait aucun complot politique dans cette « affaire » et qu’il était convaincu des faits relatés par les victimes, le procureur de la République a expliqué avoir été amené à « faire des choix » pour ne poursuivre que les « faits constituant une infraction pénale avec des preuves, notamment matérielles », en pointant la difficulté d’établir « l’intention d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » pour le délit de harcèlement sexuel dans la plupart des « faits » rapportés.
Si cette analyse rejoint nos critiques quant à la rédaction de la définition du harcèlement sexuel (4), elle n’est pas pertinente en l’espèce, au regard des violences dénoncées par les victimes : l’intention du maire ne faisait aucun doute.

Le procureur de la République a ensuite insisté sur la « particulière gravité » des « faits » dénoncés par les victimes du fait de l’abus d’autorité du maire, mais a poursuivi son réquisitoire en affirmant que Mme A. avait « été amenée à céder du fait de la relation hiérarchique » et que « cette attitude de soumission par définition acceptée ».
Cet oxymore (« Céder sous la pression hiérarchique, c’est consentir »), qui prend sa source dans une vision stéréotypée des relations entre les femmes et les hommes protectrice des agresseurs (« Les femmes, il faut les forcer pour qu’elles finissent par accepter ») fonde les déqualifications de viol en harcèlement sexuel de certains parquets.

Le procureur a conclu son réquisitoire en affirmant : « M.G a exercé du harcèlement pour obtenir des faveurs de nature sexuelle, qu’il a d’ailleurs obtenues. Les éléments du harcèlement sexuel sont donc réunis. »
Il a requis un an de prison avec sursis, 3000? € d’amende et l’incapacité d’exercer pendant cinq ans. Cette interdiction s’applique à son activité professionnelle d’éducateur spécialisé, élément de taille qui n’a été présenté au cours de l’audience ni par les parties civiles ni par l’accusation, ce qui est un oubli grave, car les personnes qu’il encadre sont potentiellement en danger.

Le délibéré

Le délibéré a été rendu le 14 janvier 2010 : M. G a été relaxé du chef de harcèlement sexuel et condamné pour appels malveillants à 3000? € d’amende et trois ans d’inéligibilité, les prochaines élections municipales étant dans … quatre ans !

S’agissant du harcèlement sexuel, des agressions sexuelles et du viol, le tribunal adopte une conception ultra restrictive de la preuve : niant l’existence d’un faisceau d’indices concordants très fourni, il juge qu’ « il n’existe aucun témoin des différents rendez-vous entre M. G et Mme A à son domicile, au domicile du maire ainsi qu’à la mairie alors qu’ils auraient été, aux dires de cette dernière, nombreux; il en résulté que les harcèlements, les caresses, l’exhibition de son sexe par le prévenu au domicile de la plaignante, les tentatives de l’embrasser ainsi que la sortie en voiture jusqu’à un bois ayant abouti à un rapport sexuel ne sont pas établis en l’état du dossier. »
Autrement dit : pas vu, pas pris!

La motivation de cette décision, devenue définitive en l’absence d’appel des victimes, déçues et lassées par la justice, est empreinte d’une conception aristotélicienne et archaïque du monde, selon laquelle ce qui n’est pas visible n’existerait pas. Il en découle que les crimes sans témoins (la plupart donc), demeurent impunis.

Il n’en reste pas moins que M.G. a tout de même été condamné pour appels malveillants envers une jeune femme et qu’en tout état de cause, cette condamnation est incompatible avec son statut d’élu. L’AVFT est donc dans l’attente d’une prise de position de son parti politique d’appartenance.

Notes

1. La victime ayant ressenti comme plus « graves » les appels téléphoniques malveillants, dont elle possédait par ailleurs des preuves. En outre, personne ne l’avait questionné sur un éventuel harcèlement sexuel.

2. Lorsque les infractions visées par la prévention (l’acte de poursuite du procureur) ne correspondent pas aux faits dénoncés par les victimes, les avocat-e-s peuvent, sous certaines conditions, demander la requalification des faits, c’est à dire qu’il soit poursuivi sous un autre chef, ou un additif, c’est à dire que les infractions « oubliées » soient ajoutées à celles déjà poursuivies. En l’espèce, pour Mme A, l’avocate aurait pu demander l’ajout des agressions sexuelles au harcèlement sexuel, voire même soulever l’incompétence du Tribunal correctionnel au profit de la Cour d’Assises, du fait de l’existence d’un viol (Cf Décision du 22 octobre 2009 du Tribunal correctionnel de Pontoise).

3. La jurisprudence admet qu’en matière de violences sexuelles, la preuve puisse être constituée en l’absence de témoins directs -hypothèse la plus probable- ou d’éléments tangibles (ADN, trace de coups…) : C’est alors l’accumulation des éléments du dossier, en crédibilisant la parole de la victime, qui a une force probante (Cf décision de la Cour d’appel de Paris du 19 janvier 2010).

4. Cf. notamment : “Lettre à Valérie Létard au sujet du harcèlement sexuel et de la dénonciation calomnieuse

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