Tribunal correctionnel de Paris, 17 juin 2010

Le 17 juin 2010 le Tribunal correctionnel de Paris a condamné M. G. pour les agressions sexuelles qu’il a commises à l’encontre de Mme M, une jeune stagiaire au sein de l’agence de location de voiture pour laquelle il travaille.

Après une période de chômage, Mme M., âgée de 21 ans, débute un contrat de professionnalisation dans une agence de location de voitures parisienne le 9 mars 2009.
L’équipe est composée d’une douzaine de personnes, réparties pour moitié à l’agence et au parking. Elle est la seule en contrat de professionnalisation.

L’ambiance qui règne dans l’agence, qui lui semble d’abord conviviale et « bon enfant », est en réalité très sexiste.
Les salariés du parking, majoritairement des hommes, tiennent des propos grossiers et les « blagues » et confidences sexuelles sont nombreuses. Plus le temps passe et plus son malaise grandit, son environnement de travail étant de plus en plus connoté sexuellement.
Par exemple, l’un de ses collègues tient les propos suivants « J’ai payé un billet d’avion à ma femme pour qu’elle aille au bled pour que je puisse baiser la voisine d’en face » ou « je l’ai prise comme ça » en mimant les positions de l’acte sexuel.
Deux personnes tiennent plus particulièrement ce genre de propos, et notamment M. G.

Puis ce type de remarques commence à la concerner directement, notamment sur son physique « t’as un trop bon cul ». Un matin, à 6h, M. G lui tient les propos suivants : « ça va pour toi, dès 4 heures du matin, tu t’es bien fait baiser ».
Elle exprime plusieurs fois son désaccord avec ces propos et explique que ça la dérange. Malgré ses refus, rien ne change.

Elle demande à plusieurs reprises à sa tutrice du centre de formation de changer d’agence, et propose également aux stagiaires masculins du programme de formation d’échanger d’agence afin de se soustraire à cette atmosphère insultante et inquiétante, mais en vain.
Elle se confie à Mme Z, en contrat de professionnalisation dans une autre agence. Elle en parle régulièrement avec sa collègue, Mme N, qui lui conseille de ne pas se laisser faire.

Le 8 juin 2009, M. G, responsable du parking, lui demande d’aller chercher une voiture. Lorsqu’elle lui tend la main pour récupérer les clés, il lui effleure la poitrine, devant son collègue M. D. Elle lui demande « Qu’est ce que tu fais Richard ? ». Il lui répond en rigolant « Moi ? Rien. ». Elle pense alors que c’est peut-être un accident.
Quelques jours plus tard, en passant près d’elle, il recommence et met très franchement ses deux mains sur les seins de Mme M. Celle-ci lui dit qu’il va beaucoup trop loin, qu’elle n’apprécie pas du tout ces agissements et lui demande d’arrêter.

Le 14 juin, dans l’ascenseur, il lui impose à nouveau des attouchements sur les seins, plus prolongés. Elle lui demande une nouvelle fois d’arrêter. Il joue avec un briquet qui projette une image du kamasutra. En lui montrant, il lui demande : « T’aimerais bien que je te fasse la même chose ? ». Elle lui indique à nouveau son désaccord, ce qui le fait rire.
Le même jour, dans l’après-midi, alors qu’elle parle avec M. D, au parking, M. G lui touche les fesses en lui disant « C’est trop mou, tu ne voudrais pas que je t’aide à te remuscler ? ».

Elle refuse ensuite catégoriquement d’aller travailler au parking.

Mme M s’est alors confiée à M. J et à Mme N, des collègues. Ceux- ci lui expliquent qu’elle est loin d’être la première victime de M.G. Mme N lui dit que pour son anniversaire, M. G a demandé à lui toucher les fesses.
M. J lui conseille d’écrire au siège de l’entreprise, mais M. D, à qui elle s’est confiée, lui conseille d’attendre d’obtenir son CDI (en octobre) avant d’engager toute démarche. Elle refuse donc, par peur de ne pouvoir finir son stage ou de ne pas le voir transformé en CDI.
M. J écrit alors lui-même à l’employeur, en dénonçant ces propos et attouchements à caractère sexiste et sexuel, ainsi que d’autres, dont il avait eu précédemment connaissance.

Le 19 juin, Mme M relate les faits à Mme H, responsable de l’agence. Sa réponse, et c’est un euphémisme, ne satisfait pas son besoin de sécurité: « Ces faits sont graves, mais cependant, c’est Richard, il rigole. S’il recommence, on fera quelque chose. »
M. G, passant à ce moment là, reconnaît ses agissements et formule des excuses semblant sincères et circonstanciées, même s’il continue de prétendre qu’il s’agissait « d’amusement, de rigolade« .

Quelques jours plus tard, le 24 juin, Mme M apprend que M. G a changé sa version des faits et qu’il affirme à qui veut l’entendre que c’est elle qui l’a cherché et que c’est elle qui l’a touché. Comme c’est souvent le cas dans les « dossiers » que l’AVFT a à connaître, certains prennent le parti de l’agresseur et la traitent de « pute ».

Mme M, ulcérée devant cette nouvelle marque d’irrespect profond pour sa personne, porte plainte le 24 juin 2009.
Elle est ensuite en arrêt maladie, et finit par se voir contrainte de rompre son contrat de travail le 3 octobre 2009, car elle ne peut valider sa formation du fait de son absence pendant son arrêt-maladie.

Après une bonne enquête de police, le parquet a décidé de poursuivre M. G pour agressions sexuelles, sans citer dans la prévention les circonstances aggravantes de l’article 222-28 (abus d’autorité conférée par les fonctions) et en omettant le harcèlement sexuel.
M. G avait fini par reconnaître, après les avoir niés, une bonne partie des violences.

L’avocate du prévenu avait demandé un renvoi lors de l’audience du 24 août 2009 pour cause de « vacances » puis, lors de l’audience du 21 janvier 2010, une grève des greffiers-ières protestant contre l’indigence de leurs conditions de travail avait conduit le président, en exprimant sa solidarité à l’égard de ses collègues, à renvoyer toutes les affaires au 17 juin 2010.

Le déroulement de l’audience

Notre « affaire » a été appelée à 15h10.

Le président de l’audience ne la présente pas, comme c’est normalement l’usage(1) : il cite la prévention, puis dit « Je n’ai rien à dire sur l’affaire ; je vous laisse la parole ».

Mme M présente clairement, spontanément et de manière très convaincante les violences dont elle a été victime et leurs conséquences sur sa santé et sur sa vie professionnelle.

M. G a tenté de justifier ses gestes en évoquant un jeu entre eux, a prétendu qu’il « n’avait pas fait attention » lorsqu’il lui avait effleuré le sein.
Il a introduit chacune de ses phrases par « Ça se peut que j’aie dit… ; Ça se peut que j’aie fait » et a terminé en disant « J’ai pas su savoir qu’il fallait arrêter. Je m’excuse ; ça ne se reproduira plus. J’ai déjà changé mon comportement».

Ni les juges ni le parquet n’ont posé de questions ni à l’un ni à l’autre. Le président luttait visiblement contre le sommeil (de même que l’huissier, qui devait se tenir la tête de la main).

Le conseil de Mme M a repris le témoignage de Mme N, la collègue de Mme M qui avait vécu des agissements analogues.
Elle a également relu l’audition de M. G lors de laquelle il a reconnu les faits. Au policier qui lui demande : « Pourquoi nous avoir menti ? », il a répondu : « Je ne vous ai pas menti, j’avais peur ».
Elle a présenté les conséquences de ces agissements sur Mme M, et son préjudice.

L’AVFT, représentée par Gwendoline Fizaine, a présenté la stratégie de M. G, qui usait de son pouvoir pour imposer ses agissements à l’équipe entière et qui prétextait l’humour pour tenter de décrédibiliser toute tentative de dénonciation et donc, pour assurer son impunité. Elle a également montré la malveillance de M. G à l’encontre de Mme M, exclusive de toute « plaisanterie ».
Elle a enfin présenté le faisceau d’indices concordants très fournis à l’appui de la parole de Mme M et le préjudice de l’AVFT.

La CPAM, également partie civile(2), a demandé que M. G. soit condamné à lui verser 4670,29 ?€ au titre de son préjudice financier lié à la longue période d’arrêt maladie de Mme M.

Le parquet a réagi très vivement au qualificatif d’ « abject », employé par le conseil de Mme M. et s’est insurgé contre « les appréciations morales portées sur le prévenu ».
Ainsi a-t-il expliqué que l’on doit, dans ce genre d’ « affaires », appliquer les principes généraux du droit pénal.
Il a énoncé des règles de droit (principe de la présomption d’innocence, principe de proportionnalité de la sanction et prise en compte des éléments de personnalité) sans jamais aborder le fond du dossier et les éléments de preuve qu’il contenait.
Après avoir souligné que le casier de M. G était vierge, il a requis 2 mois d’emprisonnement avec sursis et 500? € d’amende.

Le conseil de M. G a présenté le comportement de M. G comme « tout à fait blâmable », mais a plaidé qu’il avait déjà été sanctionné par son employeur et qu’il avait changé d’attitude.
Elle a ensuite fait siennes les « justifications » de son client, en arguant que Mme M., par son comportement, lui aurait laissé croire qu’il pouvait se permettre des « privautés », opérant ainsi le sempiternel transfert de responsabilité de l’agresseur à la victime.
Enfin, elle a plaidé la relaxe au motif que que si « ces attouchements furtifs et légers, pas sur la peau nue » sont des agressions sexuelles, alors « il faudrait créer d’autres infractions pour les femmes qui subissent bien au delà. »

Le président a donné la parole en dernier à M. G qui a réitéré ses excuses et dit que cela ne se reproduirait plus.

L’audience a duré 55 minutes.

Le délibéré a été rendu le soir même.
M. G a été condamné à 3 mois d’emprisonnement avec sursis et 500? € d’amende.
Il devra également verser 4000? € de dommages et intérêts à Mme M et 800? € à l’AVFT au titre de leur préjudice moral.

Au-delà de la décision rendue, les juges se sont illustrés, lors de cette audience, par leur particulière absence d’intérêt pour l’ « affaire » qui leur était soumise, malgré la remarquable intervention de Mme M, qui a su souligner le caractère inadmissible et indigne de ces agissements, ainsi que les conséquences graves qu’ils ont entraînés pour elle.

Notes

1. Le rapport est fait soit par le président soit par un magistrat rapporteur.

2. La CPAM demande réparation de son préjudice financier car l’arrêt maladie de Mme M est directement la conséquence des agissements de M. G. C’est donc à lui d’assumer financièrement ces coûts, et non pas à la société.

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