Lettre à Laurence Parisot, présidente du MEDEF

Mme Laurence Parisot
Présidente
Mouvement des entreprises de France
55 avenue Bosquet
75007 Paris

Paris, le 28 juin 2011

Madame,

Nous avons pris connaissance avec grand intérêt de votre interview parue dans le Parisien du lundi 27 juin. Vous dites notamment avoir été « très marquée aussi par le cas de ce cadre dirigeant mis à pied parce qu’il avait pressé une secrétaire dans un coin de couloir » et faites part de votre expérience personnelle, que vous n’avez relatée pour la première fois que récemment, encouragée par « l’affaire DSK » : « A ma grande surprise, il ne s’est pas déroulé dans un bureau, celui qui m’embauchait ce jour là m’a dit : « nous allons dîner ensemble ». J’avoue, sur le coup, ne pas avoir compris. Le dîner a été assez difficile à gérer… j’ai été recrutée, mais j’ai aussitôt organisé la résistance ! ». Lors du « grand forum » organisé par le magazine Marie-Claire sur le thème de l’égalité salariale femmes/hommes, après avoir interpelé un public essentiellement féminin (« Ca ne vous est jamais arrivé, ça ? ») vous aviez également dit à ce propos : « sur le coup, je n’ai pas compris ce qui m’arrivait », « ça a été vraiment terrible » et aviez conclu en affirmant : « faut quand même bien qu’on le dise ce genre de choses ». A propos de « l’affaire DSK », vous dites : « Il est symptomatique de la force de la culture misogyne de notre pays que personne n’ait relevé ce qu’avait déclaré la jeune femme du FMI qui avait eu une liaison avec Dominique Strauss-Kahn : « J’avais le sentiment que j’étais foutue si j’acceptais et foutue si je refusais » » (Le Parisien).

Organisme de formation, lieu d’analyse et de réflexion sur les violences commises à l’encontre des femmes, l’AVFT est depuis 26 ans la seule structure spécialisée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

Chaque année, l’AVFT intervient auprès d’environ 350 personnes, presque toutes des femmes, qui dénoncent du harcèlement sexuel (41%), des agressions sexuelles (36%), des viols (17%), des violences volontaires (4%) et des exhibitions sexuelles (2%)(1), dans toutes les régions de France et dans tous types d’entreprises (petites, moyennes ou grandes, dans tous les secteurs d’activité).

Parmi les constantes de ces « dossiers » que nous avons à connaître, nous pouvons citer le soutien quasi-systématique des employeurs au mis en cause et la rupture du contrat de travail de la victime, au terme d’une procédure de licenciement pour faute (la faute pouvant être constituée par le fait d’avoir dénoncé des violences sexuelles), pour inaptitude médicalement constatée par la médecine du travail, suite à une démission ou une rupture imputable à l’employeur. Dans ces « dossiers », les employeurs ont gravement failli à leurs obligations de prévention du harcèlement sexuel et de sécurité de la santé physique et psychique de leur(s) salariée(s).

Dans la quasi-totalité de ces « dossiers », les salariées perdent donc leur emploi, souvent après des semaines ou des mois de représailles professionnelles pour avoir osé dénoncer, et peinent à en retrouver ; les violences sexuelles au travail sont un des facteurs d’exclusion des femmes du monde du travail.

Pour qu’il y ait « l’avant et l’après affaire DSK » que vous pronostiquez, encore faut-il donc que les employeurs se mobilisent, en respectant leurs obligations légales et en mettant en place des politiques de prévention volontaristes. Pour exhorter comme vous le faites les victimes « à parler », encore faut-il aussi que vous leur garantissiez, en tant que présidente du MEDEF, que leurs employeurs leur répondront désormais de manière adéquate.

En 2009, l’AVFT a publié « violences sexistes et sexuelles au travail, guide à l’attention des employeurs », épuisé(2) mais en cours de réactualisation et de réédition. Nous vous l’avions adressé dans le cadre des « négociations des partenaires sociaux » en vue de la transposition de l’accord européen du 26 avril 2007 sur le harcèlement et la violence au travail(3). Il accompagnait une lettre dans laquelle nous exprimions le souhait de « rencontrer des responsables du MEDEF afin de construire un projet visant à leur « faire bénéficier des outils que nous avons conçus », à laquelle vous n’aviez pas répondu (cf. lettre du 9 novembre 2009 en pièce jointe).

Nous vous ré-adressons ce guide et renouvelons cette demande, consécutivement à des déclarations publiques qui vous engagent. L’implication du MEDEF contre les violences sexuelles au travail prendrait en outre opportunément sa place dans le cadre du plan global triennal de lutte contre les violences faites aux femmes, qui a fait de la lutte contre ces violences un de ses axes prioritaires.

Dans cette attente, nous vous prions d’agréer, Madame la présidente, l’expression de nos salutations distinguées,

Marilyn Baldeck
Déléguée générale

Notes

1. Chiffres AVFT 2009

2. Les syndicats de salarié-e-s en ont bien plus largement bénéficié -c’est un euphémisme- que les employeurs.

3. Ayant abouti à l’accord du 26 mars 2010 « harcèlement et violence ». Marilyn Baldeck avait été auditionnée dans le cadre de ces négociations au siège du MEDEF.

Lettre à Laurence Parisot, 9 novembre 2009

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