Cour d’appel de Caen, 26 septembre 2011

Mme D. est secrétaire médicale pour un médecin traitant en Normandie et elle a été victime de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles pendant 8 ans. En juillet 2009, M.S a été sanctionné par le Conseil de l’ordre des médecins de Caen à deux ans d’interdiction d’exercice de la médecine. Le 21 septembre 2010, il est condamné par le Tribunal correctionnel de Coutances à 6 mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à verser à Mme D. 6000 €? à titre de dommages et intérêts et 1500 €? pour l’AVFT.

Le rappel des faits et l’interrogatoire du prévenu par le président de la Cour sont ex-trêmement longs : environ deux heures. Il est évident que la Cour a décidé d’instruire l’audience sérieusement et de ne rien laisser au hasard.

Comme cela s’est produit lors de la première instance, M.S ne cesse de se contre-dire et de répondre approximativement aux questions posées par le président. Celui-ci, visiblement agacé, le lui dit en ces termes : « je vous pose des questions claires et vous répondez systématiquement à côté ».

M.S. persiste à affirmer que les enregistrements sont trafiqués, que Mme D. ne veut que de l’argent, qu’elle ment car il est impossible que les clients du cabinet n’aient pas entendu les « soi-disant cris » qu’elle aurait poussés s’il l’avait vraiment agressée. Mais en même temps il ne sait quoi répondre lorsque que le Président lui lit cer-tains passages des retranscriptions des enregistrements. : « elle dit : « lâchez-moi, je ne rigole pas ». Elle n’a pas l’air d’accord tout de même…».

M.S développe un nouvel argument selon lequel c’est Mme D. qui « a le pouvoir sur moi car c’est elle qui fait mon agenda, elle dirige ma journée », « je suis dans un tun-nel dans lequel j’émerge parfois ». A cet argument, le président lui réplique : « la contrainte peut aussi être morale, M.S, la jurisprudence a évolué depuis le 19e siècle ». M.S. ne répond pas et il ajoute : « je souffle, je respire avec elle, c’est un peu lourd, médiocre » et il s’enferre un peu plus dans cette voie en disant : « je n’ai ja-mais eu l’impression que cette bouffée d’oxygène était du harcèlement sexuel ».

Dans un silence absolu dans la salle d’audience, Mme D., en revanche, raconte son histoire, sûre d’elle, claire et ferme : « tout ce qu’il dit est faux ». En pleurs, elle n’omet aucun détail sur les circonstances des agressions, les conséquences pour elle et sa famille… Le président lui pose une seule question : « qu’attendez-vous du procès ? ».

Elle lui répond : « qu’il soit puni pour ce qu’il a fait. Il ne peut pas continuer sa vie comme ça après avoir détruit la mienne».

Me Cittadini, l’avocate de Mme D., s’emploie à démonter les arguments de M.S et note en particulier que M.S « n’arrive pas à contester les faits, qu’il manque de clarté dans ses explications : on se noie dans des choses incompréhensibles ! ».
Elle insiste sur la déposition impeccable de Mme D. : « on passe de l’ombre à la lumière» (i.e entre l’interrogatoire de M.S. et celui de Mme D.).

Elle appuie sur le faisceau de preuves fourni et indubitablement concluant, à charge contre M.S. (enregistrements, présence d’autres victimes, photos, dossier médical…).

E. Cornuault, pour l’AVFT, intervient sur la stratégie utilisée par M.S, sur la crédibilité de la parole de Mme D. mis en regard des revirements incessants de M.S., sur les répercussions importantes des violences sur la vie de Mme D. Elle termine sa plaidoirie en disant : « si vous décidez de rentrer à nouveau en voie de condamnation, c’est aussi envoyer un message fort à Mme D., c’est lui dire que malgré le coût moral, financier et surtout humain engendré par le dévoilement des violences qu’elle a vécues, elle a eu raison de le faire et c’est aussi reconnaître le courage dont elle a fait preuve ».

L’avocat général loue les parties civiles et entame son réquisitoire en demandant une « juste et équitable indemnisation des préjudices ». Il a une parfaite expertise du dossier : il montre comment M.S a cherché constamment, en vain, à décrédibiliser la parole de la victime. Il explique pourquoi les victimes portent plainte tardivement : reprenant les arguments développés par l’AVFT il cite la honte, la peur, la contrainte économique (« elle est le cordon ombilical financier de la famille »).

Il bat en brèche les « excuses de provocation » et l’argument selon lequel elle re-chercherait de l’argent (« acheter une crêperie ? Allons donc, avec des sommes qui couvrent à peine les frais médicaux… »).

L’avocat général insiste : « il y a un socle de vérité et d’éléments concordants» et il ajoute « la sanction demandée est à la proportion des dégâts commis ».
Il requiert un an d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis et 3000 €?.

L?avocat de la défense, Me François, est pressé de prendre la parole et il l’exprime : .« j’avais hâte de vous parler ».
Cependant, conscient que M.S. a considérablement exaspéré la Cour, il commence sa plaidoirie par « j’ai déjà eu des clients qui se défendaient mieux ».

Puis il attaque l’AVFT, abondamment loué par l’avocat général, en disant : « l’AVFT n’est pas une civile dans cette affaire, nous avons eu deux réquisitoires et une plai-doirie de partie civile ! ».

Conscient que l’AVFT a eu une influence non négligeable dans la procédure, il s’emploie à dénigrer les arguments développés par E. Cornuault d’une manière frisant le ridicule.

Il conteste le compte-rendu fait par l’AVFT de la première audience et présent sur le site internet de l’association (« peut-être vais-je moi aussi être cité et devenir célèbre ») alors qu’il n’était pas encore l’avocat de M.S, puis il attaque l’analyse du mode opératoire de M.S., analysé par l’AVFT, dans un argumentaire très embrouillé (« ce n’est pas un test de Rorshard ! »).

Puis, il s’engage dans une explication particulièrement stérile sur le plan des lieux des agressions et tente de démontrer, avec des pseudo- analyses auditives à l’appui , que les violences n’ont pas pu se produire puisque les murs sont en placo et que « tout peut s’entendre »… il affirme d’ailleurs, pensant certainement utiliser un argument de poids : « quand j’étais étudiant, j’avais une chambre avec le même type de mur et je pouvais entendre tout ce qui se passait deux chambres plus loin » …
Puis, il tente de démonter le faisceau d’indices en sortant les différents éléments de leur contexte.
Il finit ses observations en ces termes : « la faute du docteur S. est une faute professionnelle, c’est une faute morale, certes, mais elle ne relève pas du pénal ».

Le 16 décembre, la Cour d’appel condamne M. S. à un an d’emprisonnement avec sursis et 3000 €? d’amende. Mme D. reçoit 8000 € additionnels de dommages et intérêts et l’AVFT 500? € supplémentaires au titre de l’article 475-1.

M. S. n’a pas formé de pourvoi en Cassation, cette condamnation est donc définitive.
Par ailleurs, il s’est désisté de la procédure d’appel pour la sanction disciplinaire. Il est donc interdit d’exercice de la médecine du 1er mai 2012 au 30 avril 2014.

Cette procédure est l’occasion de rappeler que, contrairement à une idée largement répandue, les enregistrements effectués à l’insu de la personne enregistrée sont des preuves parfaitement recevables pour la justice pénale.

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