Tribunal correctionnel de Paris, 20 janvier 2012

Mme R. a saisi l’AVFT le 6 juin 2011 sur les conseils de l’inspection du travail.

Mme R. nous a confié avoir été embauchée le 5 mars 2009 comme comptable par la société DH, sous les ordres de M. A., chef de la comptabilité centrale.

Pendant sa période d’essai, outre un humour qu’elle qualifie « d’un peu particulier » et des « propos déconcertants », Mme R. nous dit qu’il n’y avait « rien d’alarmant ». C’est à la fin de sa période d’essai que Mme R. a eu à subir des attitudes inacceptables dans le cadre du travail : propositions de déjeuners à deux intempestives (mars-avril 2009) alors que Mme R. refuse systématiquement, notamment en arguant de rendez-vous avec son mari, ce à quoi M. A. répond : « Mais ce n’est pas de l’amour qu’il y a entre vous, c’est de la rage ! », questions intrusives sur sa vie privée : « Que fait votre conjoint dans la vie ? Que pense-t-il du fait que vous travaillez avec un homme ? ». Il lui dit aussi : « Mes anciennes assistantes étaient toutes amoureuses de moi (…) D’ailleurs elles venaient toutes travailler en minijupe (…) Ben oui, c’était pour tenter de me séduire ».

Les refus de Mme R. de déjeuner en tête-à-tête avec son supérieur hiérarchique entraînent la dégradation de ses conditions de travail puisque celui-ci se montre vexé et de plus en plus autoritaire. Mme R., dans un souci d’apaisement, accepte alors un déjeuner.

Suite à ce déjeuner qu’elle avait jugé en rupture avec ses obligations professionnelles, elle en refuse deux autres, ce qui l’expose à nouveau à des représailles. Elle cède alors à un second déjeuner au cours duquel les questions de M. A. se font de plus en plus pressantes et déplacées : « Parlez-vous de moi à votre conjoint ? Que pense-t-il de moi ? Que pense-t-il de mon attitude vis-à-vis de vous ? ».

Dans ce même mois, M. A, en rentrant d’une vente de presse, montre les sous-vêtements masculins qu’il s’est achetés en disant que sa femme est vieille et qu’il a « envie de séduire une jeune », ce qui met Mme R. très mal à l’aise.

Entre juin et février 2010, Mme R. nous confie qu’elle a également été victime de violences physiques extrêmement vexatoires et répétées consistant en des coups de règle sur la tête (à une vingtaine de reprises) et même, à quatre reprises, à des coups de perforatrice sur l’épaule, « comme un instituteur des années 50 avec un élève indiscipliné », nous disait-elle. Voici pour illustration un extrait de son récit : « Pendant que je réfléchissais , il saisit une règle avec laquelle il commença à se tapoter la main, j’en déduisis qu’il s’impatientait. Je m’empressai donc de répondre, et lorsque je répondis enfin, il se servit de cette règle pour me mettre une tape sur la tête en me disant : « mauvaise réponse ! » ». Mme R. nous a longuement parlé de la honte et de l’humiliation qu’elle ressentait après ce type d’agissements, sentiments, qui, conjugués à son statut de subalterne en position de dépendance économique, l’empêchait de réagir aussi vigoureusement qu’elle l’aurait souhaité, tandis que M. A. tentait lui de « normaliser » ces gestes pour désamorcer toute protestation : « Vous voyez bien que je ne suis pas énervé lorsque je vous mets une tape ! Ce n’est tout de même pas de ma faute si vous n’avez pas d’humour ! Il n’y a qu’avec vous que je ne peux pas plaisanter ! ».

Mme R. a relaté le dernier coup reçu, particulièrement violent : « (…) c’était à la fin du mois de février 2010. Nous étions dans mon bureau, moi assise à son bureau, et lui debout en face. Il lança un énième débat dénigrant les italiens, et comme je ne partageais pas son point de vue, il saisit une règle et contourna mon bureau en la brandissant. Comme je savais ce qu’il s’apprêtait à faire, je pris un classeur pour me protéger la tête en lui disant qu’il n’avait pas le droit de me frapper, et comme le classeur l’empêchait d’atteindre ma tête, il me porta un coup de pied dans le tibia. Il était si fier d’avoir tout de même eu le dessus qu’il éclata de rire ! Moi, j’étais au bord des larmes, à la fois écoeurée, et totalement humiliée ».

Les mois qui suivent, M. A. alterne entre des comportements à caractère raciste (dénigrement des Italiens puis des Alsaciens, les deux origines de Mme R.) et des comportements à caractère sexiste, comme des remarques à propos du magazine « FHM » que le département de la communication de l’entreprise réceptionne mensuellement : « Qu’est-ce que j’aimerais avoir une assistante comme celle-là ! Elle est belle, au moins ! D’ailleurs, Teresa, quand est-ce que j’aurais le plaisir de vous voir en jupe ?! ».

Régulièrement, M. A. lui dit : « A la maison on parle souvent de vous et surtout des bêtises que vous faites, d’ailleurs on a inventé un nouveau mot : « teresade ». Et d’ailleurs, ma femme me plaint de devoir supporter une personne comme vous ».

L’entreprise de dénigrement de Mme R. va crescendo, M. A. va (janvier 2010), jusqu’à la traiter de « mongolienne », lui dire que ses vêtements ressemblent à une « serpillère ».

Une fois la direction avertie par Mme R., M. A. cesse les violences verbales et physiques et en revanche, submerge Mme R. de tâches impossibles à effectuer dans le temps imparti.

L’état de santé de Mme R. s’aggravant, son médecin a décidé de l’arrêter durablement. Mme R. n’est donc plus retourné travailler depuis le 7 juin 2011.

La plainte pénale déposée par Mme R. fait l’objet d’un renvoi devant le Tribunal correctionnel, mais uniquement pour « harcèlement moral ». De fait, Mme R. a très peu fait état dans sa plainte des éléments constitutifs du harcèlement sexuel et a davantage insisté sur ses conséquences discriminatoires et les épisodes d’humiliation. Cette qualification est maintenue en dépit d’une demande faite par l’AVFT au parquet de rajouter la qualification de harcèlement sexuel, ce qui prive l’association de la possibilité de se constituer partie civile à ses côtés (Le Code de procédure pénale ne prévoit pas la constitution de partie civile des associations sur le fondement du harcèlement moral).

Le jour de l’audience, Marilyn Baldeck est néanmoins présente pour soutenir Mme R., qui est dans un état de stress extrême. Elle a également rédigé une attestation présente au dossier, contre laquelle l’avocate de la partie adverse s’en prend violemment, sous-entendant que la notoriété de l’association serait de nature à intimider les juges ! Elle s’exclame même : « Et Marilyn Baldeck, elle est même dans la salle, je l’ai reconnue, car elle connue !!! ». On aura tout entendu…

Malgré des aveux partiels du mis en cause (qui reconnaît certains faits tout en les minimisant ou en invoquant la mauvaise interprétation de Mme R.), celui-ci bénéficie d’une relaxe. Le parquet fait appel de cette décision… avant de s’en désister. Mme R. maintient donc son appel sur les intérêts civils. Une procédure prud’homale contre la société se déroule en parallèle.

Marilyn Baldeck

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