Tribunal correctionnel de Paris, 14 mars 2012

Mme B. a été engagée en qualité de secrétaire, le 6 juin 2006, par l’association l’Amicale des retraités en CDD d’un an qui sera transformé en CDI au bout de six mois. En mai 2008, un nouveau secrétaire administratif M. B. (70 ans) est nommé. Il devient son supérieur direct. Leur collaboration se déroule normalement jusqu’au départ de la deuxième secrétaire, en septembre 2008. Elle se retrouve alors seule à travailler avec lui et est victime de harcèlement sexuel (remarques sur son physique, sollicitations sexuelles verbales et par mails intempestifs, attouchement sur le cou, les chevilles, les mollets, les jambes et il l’embrasse sur la tempe) et d’agressions sexuelles (attouchements sur les cuisses, les seins et le sexe).

Mme B. nous confie : « Ca s’est passé tellement vite que je n’ai rien vu venir » et précise : « Quand il a commencé à me toucher, il ne me disait même plus bonjour ». A chaque agression, elle reste tétanisée : « Je n’avais pas de réaction au bureau mais j’avais des réactions le soir chez moi. Mon état psychologique se détériorait de jour en jour ».

Très rapidement, elle cherche à se protéger de M. B. et demande, par deux fois, en octobre 2008 à être licenciée à l’amiable. M. B. refuse. Elle lui demande alors clairement d’arrêter ses attouchements, lui dit qu’elle n’est « pas une pute(1). Il lui promet d’arrêter. Soulagée, Mme B. se dit que c’est fini. Mais le soir même, elle reçoit un nouveau mail et comprend qu’il n’en est rien. Elle met alors en place des stratégies d’évitement, modifie son apparence physique. Les agressions sexuelles perdurent.
Afin de la protéger, son médecin traitant lui prescrit régulièrement des arrêts maladie.

La présidente de l’association, Mme Z., qui a constaté un mal être chez Mme B., l’interroge. Après une longue mise en confiance, Mme B. parvient à se confier. Rongée par la honte, craignant qu’on ne la croie pas et pensant encore qu’elle peut régler seule cette situation, elle lui demande de ne pas intervenir.

Le 19 janvier 2009, en fin de matinée, Mme B. est victime d’une nouvelle agression sexuelle de M. B. : alors qu’elle essaie, comme elle en a pris l’habitude, de l’éviter, il se dirige vers elle, lui empoigne avec violence le sexe d’une main et de l’autre le sein. Il prend ensuite sa mallette et son manteau et part sans un mot. Elle nous confie avoir « eu vraiment peur de lui à partir de ce moment-là, s’être sentie en danger. Je me suis dit : « il va de plus en plus loin » ».

Une heure plus tard, Mme Z. arrive à l’association. Elle y découvre Mme B. assise à son bureau, « complètement prostrée, en état de choc ». Elle parvient néanmoins à lui expliquer, en pleurs, ce qui s’est passé. Mme Z. déclarera, au cours de l’enquête préliminaire, avoir été « glacée » par son récit.

Son médecin traitant lui délivre le jour même un arrêt de travail et lui conseille de déposer plainte ; ce qu’elle fera le 21 janvier.

Le 27 janvier 2009, Mme B. saisit l’AVFT.

Le lendemain, M. B. est convoqué pour un entretien avec la présidente, le vice-président et la secrétaire ajointe de l’association afin de s’expliquer sur les violences sexuelles qu’il a exercé sur Mme B. A la fin de l’entretien, ils décident de le suspendre de ses fonctions dans l’attente de la décision du Conseil d’Administration. M. B. préférera démissionner le jour même.

Le 4 février 2009, le Conseil d’Administration extraordinaire se réunit avec pour ordre du jour : « événements graves impliquant le Secrétaire administratif« . Le procès-verbal, approuvé à l’unanimité, indique : « Conscients que ces faits relèvent d’un licenciement pour faute grave, mais considérant les risques familiaux que cela pourrait entraîner, le conseil d’administration a décidé d’entériner la lettre de démission du secrétaire administratif.
Une lettre recommandée sera donc adressée à P. B. lui signifiant que sa démission a été entérinée par le conseil d’administration
».

Durement éprouvée psychologiquement, Mme B. reprend progressivement son poste : d’abord à mi-temps thérapeutique le 7 avril 2009 puis à plein temps en septembre 2009.
L’enquête de police aboutit, en février 2011, au classement sans suite de la plainte de Mme B., avant de faire finalement l’objet, quatre mois plus tard, d’un renvoi devant le Tribunal correctionnel pour harcèlement sexuel uniquement.

Le 4 juillet 2011, l’AVFT écrit à Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris, pour lui demander de bien vouloir reconsidérer la qualification retenue et de renvoyer le mis en cause également pour agression sexuelle devant le Tribunal correctionnel. Cette lettre ne recevra aucune réponse.

L’audience, initialement prévue le 10 octobre 2011, est renvoyée au 14 mars 2012.

Le 8 février 2012, François Molins, nouveau procureur de la République de Paris, reçoit pour une réunion de travail les représentant-e-s de cinq associations luttant contre les violences sexuelles et les violences faites aux femmes. A cette occasion, Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT, lui présente le dossier de Mme B., lui en remet une copie et formule à nouveau une demande de requalification en agressions sexuelles de certains agissements. M. Molins reconnaît « l’erreur manifeste de qualification », mais le parquet ne délivre pas une nouvelle citation sur le fondement des agressions sexuelles, sans qu’il ne le motive.

Le 14 mars devant la 31ème chambre du Tribunal correctionnel, Laetitia Bernard, qui représente la constitution de partie civile de l’AVFT, et Me Simon Ovadia, avocat de Mme B., demandent à nouveau, cette fois au Tribunal, la requalification de certains agissements en agressions sexuelles. L’AVFT alerte également les magistrats sur la transmission d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité sur le délit de harcèlement sexuel au Conseil Constitutionnel le 29 février précédent. Lors de l’audience, la juge menant les débats relève qu’une partie des faits dénoncés constituent bien des agressions sexuelles. Le ministère public, quant à lui, tout en reconnaissant encore une fois que certains faits auraient pu recevoir la qualification d’agressions sexuelles, refuse de requérir la requalification au motif que l’expertise médicale, préalable obligatoire à des poursuites pour agressions sexuelles, n’a pas été réalisée.

Cette procédure – entre enquête de police laborieuse et refus illégal d’apporter aux faits leur exacte qualification – est exemplaire du traitement judiciaire des violences sexuelles, notamment lorsqu’elles sont commises dans les relations de travail, et de la manière dont le délit de harcèlement sexuel avait jusqu’à présent servi à minimiser ou masquer des violences plus sévèrement réprimées.

Le délibéré est fixé au 9 mai 2012… Le voici :

Dans cette affaire, le délibéré intervient cinq jours après l’abrogation du délit de harcèlement sexuel par le Conseil constitutionnel. Anéantie par cette annonce qui est, pour elle, synonyme de fin de sa procédure, Mme B. attente à ses jours. Le 9 mai, elle est néanmoins présente. De nombreux journalistes sont également venus assister à cette audience, la première depuis l’abrogation du délit de harcèlement sexuel.

Me Ovadia et Laetitia Bernard pour l’AVFT demandent la réouverture des débats. Après une brève suspension, le Tribunal prononce l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de Mme B. et de l’AVFT pour « défaut de base légale ».

A la fin de l’audience, le parquet s’est engagé auprès de Me Ovadia à faire réciter M. B. pour agressions sexuelles.

Une nouvelle audience est fixée au 9 janvier 2013.

Laetitia Bernard

Notes

1. Les victimes utilisent quelquefois cette expression pour se défendre. Du point de vue de l’AVFT, bien entendu, les prostituées non plus n’ont pas à subir ce type d’agissements. »

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