Tribunal correctionnel de Paris, 8 juin 2012

Le 2 mai 2011, suite à l’appel de Mme F et de l’AVFT de l’ordonnance de non-lieu rendue le 2 novembre 2010 par le magistrat instructeur, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris ordonne un supplément d’information et délègue à cet effet le magistrat avec pour mission la mise en examen de M. Le M.

A l’issue de ce supplément d’information, la chambre de l’instruction rend le 12 avril 2012 un arrêt par lequel elle infirme l’ordonnance de non-lieu et ordonne le renvoi de M. Le M. devant le tribunal correctionnel de Paris au motif :

«Qu’il résulte de l’information des charges suffisantes contre M. Le M. d’avoir à Paris de 2006 à 2008, en tout cas sur le territoire national et depuis un temps non prescrit, étant son chef de service, harcelé Mme F dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, en l’espèce en procédant à des attouchements sur sa personne, en essayant de l’embrasser, en lui faisant des propositions à caractère sexuel, alors qu’elle n’était pas consentante, ainsi qu’en lui envoyant des messages téléphoniques à connotation sexuelle, fait prévus et punis par les articles 222-33, 222-44 et 222- 45 du Code pénal ».

Il est indéniable que cette ordonnance déqualifie des faits d’agression sexuelle en harcèlement sexuel. En effet le magistrat instructeur vise le délit de harcèlement sexuel mais mentionne très clairement des faits d’agression sexuelle: attouchements et tentatives de baisers forcés. Nous prévoyons donc de demander la requalification des faits, conformément aux instructions de la circulaire de la chancellerie du 10 mai 2012.

Cependant, le raisonnement de la chambre de l’instruction est exemplaire sur la question de la contrainte et du consentement. Voici ce que nous en disions sur le site Internet de l’association le 19 avril :

« En ces temps troublés, qu’il est heureux de lire quelque chose d’enfin sensé sous la plume de la chambre de l’instruction de Paris (avril 2012), saisie d’un appel contre une ordonnance de non-lieu suite à une plainte avec constitution de partie civile pour harcèlement sexuel. L’AVFT est partie civile dans cette procédure. La plaignante et le mis en cause sont fonctionnaires. La première est la subordonnée du second, traversait une période difficile (divorce). Le supérieur hiérarchique s’est dans un premier temps montré d’un important soutien pour sa subordonnée, qui le considérait comme un « ami ». Mais l' »ami », après avoir gagné sa confiance, s’est ensuite permis d’exiger davantage.
Voici ce qu’en dit la chambre de l’instruction :

« Considérant cependant que ces éléments ainsi rappelés ne sont pas de nature à démontrer que Mme F avait clairement manifesté son accord, son consentement par une attitude active, voire même participative, aux agissements de M. M, qu’ils établissent que cette dernière au contraire avait un comportement de soumission, de nature passive, à ce qui lui arrivait, ce qui était parfaitement compréhensible au regard de la position hiérarchique que M. M avait à son égard et compte tenu du pouvoir administratif qu’il disposait sur elle, qui ne lui permettait pas d’entrer en conflit et de s’opposer fermement à lui, ayant le statut de la noter et ainsi de déterminer l’importance de ses primes et de son avenir professionnel, que même s’il est juste de noter que le pouvoir de décider une promotion pour la plaignante n’appartenait pas à M. M, une telle mesure cependant ne pouvait petre prise dans le cadre d’un système administratif, qu’au regard de ses notations ».

En clair : ne pas dire non frontalement, surtout dans le cadre d’une relation hiérarchique, n’est pas équivalent à consentir.

Encore mieux :

« Considérant pour démontrer que Mme F était consentante à ses agissements, que M. M se prévaut principalement de deux emails reçus par lui qui lui ont été adressés par Mme F » ; Le premier : « M., que les paroles et les attentions d’un ami comme toi me font du bien et quel bonheur de pouvoir compter sur toi, ton amie fidèle », que cependant ce message qui contient un rappel de la nature des relations liées entre les parties, soit amicale, exprimé sans aucune connotation sexuelle, ni intime, par une subordonnée qui n’est pas en situation d’entrer en conflit ouvert avec son supérieur, qui se doit, étant sous ses ordres, d’une certaine manière de le ménager, ne saurait caractériser la manifestation même ambiguë à une demande de faveurs de nature sexuelle, qu’il s’agit d’un courriel par lequel Mme F tout en évitant une rupture relationnelle, tentait de situer la relation sur un plan amical ».

Même raisonnement pour le second courrier électronique.

En clair : Dire qu’on est ami, n’est pas dire qu’on peut être amant. Ça paraît évident comme ça, mais apparemment pas pour tout le monde…

Contre l’avis du Parquet général, M. M est donc renvoyé devant le Tribunal correctionnel ».

Mais l’audience du 8 juin 2012, contre toute attente et au mépris des droits de Mme F., le tribunal rend sur le siège un jugement par lequel: «Il constate l’extinction de l’action publique par application de l’article 6 alinéa 1 du code de procédure pénale» au motif que «par décision en date du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a considéré que l’article 222-33 du code pénal incriminant le harcèlement sexuel contrevenait au principe de la légalité des délits et des peines et a en conséquence, prononcé l’abrogation avec effet immédiat du texte considéré ».

Le tribunal a ignoré la demande requalification des faits en agression sexuelle formulée tant par Mme F. représentée par Me Katz que par l’AVFT représentée par Gisèle Amoussou.

Persistant dans son refus de poursuivre les faits sous leur exacte qualification, le procureur s’est limité à demander une requalification en appels téléphoniques malveillants, provoquant l’indignation et l’incompréhension de Mme F. Face à ce jugement inacceptable Mme F. a décidé de diligenter une action en responsabilité civile à l’encontre de M. Le M.

Gisèle Amoussou et Marilyn Baldeck

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