Non-rétroactivité de la loi pénale, « non bis in idem » : la sidération des journalistes

Depuis que France Inter a, un jour plus tôt que prévu, révélé le contenu du projet de loi, les journalistes nous demandent, ou plutôt affirment, par dizaines : « La loi va bientôt être votée, les procédures en cours vont enfin pouvoir reprendre ».

Autre déclinaison, pour exemple, cette demande par mail de France Info : « Par ailleurs, je cherche à obtenir le témoignage d’une femme qui attend le vote de cette loi pour voir son procès pour harcèlement reprendre ».

Nous expliquons donc, depuis quatre jours, que la loi pénale n’étant pas rétroactive, les procédures qui ont commencé sous l’empire de la loi abrogée ne pourront pas être reprises sur le fondement de la future loi.

Le principe bien connu de non rétroactivité de la loi pénale, une fois décliné in concreto, devient inaudible. Nous avons donc expliqué, ré-expliqué, parfois plusieurs fois aux mêmes personnes, que pour que les procédures pénales pour harcèlement sexuel puissent être « sauvées », le seul moyen est d’obtenir une requalification des faits dénoncés. Dans nos « dossiers », une autre qualification tend les bras aux magistrats, puisque les plaignantes avaient très souvent initialement dénoncé des agressions sexuelles. Mais la justice a horreur de requalifier à la hausse, alors qu’elle le peut(1)

Une fois ce principe bien compris, les mêmes journalistes nous demandent (ou affirment) : « D’accord, leurs procédures vont donc être annulées(2), mais elles vont quand même pouvoir re-porter plainte quand la nouvelle loi entrera en application ? ».

Non plus. Non seulement la loi n’est pas rétroactive, mais en plus, « non bis in idem », il n’est pas possible de porter plainte deux fois pour les mêmes faits.

Nous avons vu, entendu des journalistes totalement sidérés par cette information : « C’est pas vrai ». « C’est pas possible ». « Mais, en fait, c’est horrible ».
Quand nous leur disons que nous leur donnons cette information, tous les jours, depuis l’abrogation du délit, ils répondent que c’est tellement inimaginable qu’ils n’avaient pas compris.

Le caractère inconcevable de l’annulation sans recours des procédures en cours semble même atteindre la magistrature, à en juger aux déclarations faites hier matin dans un colloque par une procureure de la République, qui affirmait aussi que les procédures allaient pouvoir reprendre.

Voilà, c’est ce que disent de très nombreuses personnes qui sont victimes de harcèlement sexuel : « c’était tellement insensé, impossible, que je ne comprenais pas ce qui arrivait et que je n’ai pas pu réagir comme j’aurais voulu ».

Ce sera peut-être toujours ça de gagné : que toutes ces personnes aient compris que devant l’impensable, on perd ses moyens.

Notes

1. Nous y reviendrons

2. Dans nos « dossiers », les tribunaux prononcent au choix « l’irrecevabilité de la constitution de partie civile pour défaut de base légale » ou « l’extinction de l’action publique », pour la même raison. Les classements sans suite sont parfois motivés par : « obstacle juridique ».

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