Cour d’appel de Paris, 7 juin 2012

Mme G était commerciale chez PJ. Lors d’une visite chez un client professionnel, elle a été séquestrée pendant plus d’une heure et agressée sexuellement.

Après un long arrêt maladie, elle a fini par être licenciée pour inaptitude. Son dossier est pendant devant le conseil de prud’hommes de Boulogne.

Le tribunal correctionnel de Paris avait rendu une décision de relaxe. Sur les conseils de l’AVFT, saisie par la suite, Mme G avait fait appel de cette décision et confié la défense de ses intérêts à Me Cittadini.

Le parquet n’ayant pas fait appel, il s’agissait d’un appel sur les intérêts civils uniquement.

Gwendoline Fizaine l’accompagne pour la soutenir (et observer le déroulement de l’audience).

Cette audience se tient devant la chambre 9, du pôle 2 de la Cour d’appel de Paris, qui ne se distingue pas par sa prise en compte réaliste des violences sexuelles.

Les magistrats (deux hommes, une femme) et le procureur général sont tous d’un âge certain.

Notre affaire est appelée à 15h30.

Le rapport du président est relativement complet et pointe ce qui lui semble être les difficultés du dossier : pas de certificat d’ITT (interruption totale de travail) permettant d’évaluer les conséquences sur la santé de Mme G, le fait que Mme G ne soit pas partie plus tôt malgré les agissements de M.Y., la tardiveté de sa plainte, mais surtout la reconversion professionnelle de Mme G vers la fabrication de crêpes, qui pourrait être le signe d’une dénonciation mensongère et opportune pour quitter son travail dans des conditions intéressantes.

Il relève aussi le fait que M. Y., deux heures après le rendez-vous, se soit écrié au téléphone, auprès du supérieur hiérarchique de Mme G, avant même que celui-ci ne lui indique l’objet de son appel : « c’est pas moi, c’est pas moi », bien qu’il ait nié autant les agressions que ses propos devant les services de police.
Lorsqu’il est interrogé, M. Y. marmonne beaucoup, n’est jamais très clair et répond par des questions : « Pourquoi j’aurais dit ça?».

Il se contredit aussi à l’occasion :
le président: « – y’a t-il eu cet appel?

  • Non
  • vous l’avez reconnu pourtant.
  • J’ai pas dit ça. »

Il continue de nier les agressions.

Mme G, quant à elle, reprend les faits, à la demande du président.

Il l’interroge pour savoir pourquoi elle n’est pas partie plus tôt (« mais c’est une scène qui dure trois quart d’heures! Un verrou, ça s’ouvre! »), elle explique qu’elle pensait être prisonnière.

Il la questionne également sur la prétendue tardiveté de sa plainte (moins de deux mois après les faits). Elle répond que le comportement de sa supérieure, qui a totalement banalisé l’agression, ne lui a pas permis d’accepter la gravité de son traumatisme, jusqu’à ce qu’elle soit vraiment très mal.

Il se penche ensuite sur les qualités professionnelles de Mme G, et la questionne longuement sur sa carrière chez PJ avant l’agression, sur ses relations avec sa supérieure, au vu d’une pièce indiquant que ses objectifs n’étaient pas réalisés et que cela ne se passait pas très bien. Il lui demande pourquoi elle n’a pas voulu rester chez PJ ensuite (refus de plusieurs propositions de reclassement). « Je pose ces questions, car l’enjeu du débat est une demande financière très importante ».

Me Cittadini lui demande de décrire précisément les gestes commis par M. Y.

Dans sa plaidoirie, elle revient sur la preuve, la précision du récit et la constance dans la manière d’expliquer le déroulement des faits, le faisceau d’indices, les confidences immédiates, la dégradation de son état de santé. Elle revient sur l’échange téléphonique entre M. Y et le supérieur de Mme G, et demande qu’il soit pris en compte cette fois.

Elle revient sur une question récurrente: Pourquoi Mme G n’a pas réussi à partir plus tôt ?

Elle explique le processus de surprise, le décalage entre le professionnel et les agressions sexuelles, les incessants changements de registre de M. Y. et la peur générée par le verrou qu’elle a entendu se fermer.

Le procureur général choisit de s’exprimer (alors qu’il n’y est pas obligé, compte tenu de l’absence d’appel du parquet) et se lance dans une écoeurante apologie de la non prise en compte judiciaire des violences sexuelles par la justice, sous couvert d’empathie pour Mme G et les victimes en général: « J’ai conscience que les agressions sexuelles que peuvent subir les femmes sont difficiles à établir, mais cela ne veut pas dire qu’elles ne se sont pas produites. La blessure reste. Je pense que c’est ce que vous avez voulu montrer à la Cour. Je m’en rapporte aux conclusions de votre avocate. Je sais que la vérité judiciaire n’est pas la vérité vraie. »

L’avocate de M. Y. est inaudible et parle très vite.
Nous comprenons néanmoins quelques bribes des habituels laïus des avocats de la défense: il n’y a que des « éléments psychologiques dans ce dossier et rien de matériel »; Rappel de l’adage « On ne peut pas se constituer de preuve à soi-même » et bien sûr, intentions malveillantes de Mme G (« Je pense que M. K est l’outil de Mme G pour partir de PJ. Elle en avait ras le bol de son boulot »).

Elle apporte (pour la première fois dans ce dossier d’appel) une explication aux propos de M. Y au téléphone: Il a dit « c’est pas moi » pour se débarrasser d’un démarcheur… Elle conclut en déclarant que de toute façon cet élément ne pouvait être retenu à charge (nous n’avons pas entendu pourquoi).

L’audience a duré environ une heure trente. Si les questions du président à Mme G ont été insistantes, la Cour a manifesté respect et compréhension. A nos yeux, M. Y. et son avocate n’ont pas été convaincants, contrairement à Mme G et Me Cittadini. Il existe indéniablement des éléments dans le dossier.

C’est pourquoi le délibéré, quelques mois plus tard, est une déception : confirmation de la relaxe.

Mme G n’en ayant toujours pas reçu la notification, nous ne pouvons analyser les motivations de la décision.

Gwendoline Fizaine

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