L’enregistrement comme moyen de preuve au pénal : Si, c’est possible !

« Je ne peux pas vous laisser dire ça, il n’est pas possible de produire des enregistrements en justice, c’est une preuve déloyale, donc irrecevable ».

C’est ainsi que réagissait encore une bâtonnière, fin 2012, à une intervention de l’AVFT dans un colloque au cours duquel nous abordions la question de la preuve en matière pénale et plus particulièrement celle des enregistrements.

Le fait que des avocat.es, professionnel.les du droit, « sachant.es » par excellence, répètent ceci à l’envi (pas tous et toutes, heureusement !) a une fâcheuse conséquence : une écrasante proportion de justiciables pense à tort qu’un enregistrement effectué à l’insu de la personne enregistrée ne peut pas servir de moyen de preuve en justice.

Nous avons en effet quelquefois entendu, lors des rendez-vous avec les plaignantes : « … Bien sûr, j’aurais pu l’enregistrer quand il faisait du chantage, mais comme c’est interdit je ne l’ai pas fait ».

Cette désinformation a pour effet, sinon peut-être parfois pour objet, de protéger les mis en cause car elle prive les victimes d’une preuve souvent éloquente.

Reprécisons la règle.

LA PREUVE EST LIBRE…

En droit pénal, le principe est celui de la preuve libre (article 427 du Code de procédure pénale(1)). Les victimes d’infractions pénales peuvent donc rapporter la preuve même par des procédés déloyaux voire illicites comme des enregistrements audio clandestins réalisés à l’insu d’une partie par une « personne privée(2)« .

… Ce qui ne dispense pas du respect du principe du contradictoire, au contraire !

Le respect du contradictoire est la contrepartie nécessaire à la souplesse accordée en droit pénal en matière de preuve. Les preuves produites par les parties (et contraires au principe de loyauté) sont recevables si elles sont soumises à la discussion contradictoire. Ce qui signifie concrètement qu’un enregistrement « clandestin » pourra servir de preuve dans un procès s’il a été transmis à la partie adverse dans des délais suffisants pour qu’elle puisse s’en défendre. Comme n’importe quel autre type de preuve, en somme.

Application par les juges

Grâce à une jurisprudence bien établie de la chambre criminelle, la Cour de Cassation(3) pose le principe qu’aucune disposition légale ne permet au juge pénal d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. L’acceptation jurisprudentielle des enregistrements audio clandestins découle du principe de la liberté de la preuve des infractions pénales, énoncé dans le code de procédure pénal(4).

En résumé :

  • Ce moyen de preuve est recevable dans les affaires pénales dès lors qu’il est produit par un particulier(5) et constitue une pièce à conviction.
  • La production de l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée est admise dès lors qu’elle est justifiée par la nécessité de rapporter la preuve des faits dont l’auteur de l’enregistrement est victime et par les besoins de sa défense(6).
  • De même, la Cour de Cassation, le 7 mars 2012(7), a répondu par la négative sur le point de savoir si les preuves obtenues de manière déloyale ou illicite encourent la nullité, dès lors que les éléments de preuves produits par les parties peuvent être discutés contradictoirement.
  • Récemment, cette position a une fois de plus été réaffirmée dans une affaire très médiatisée, dite « affaire Bettencourt(8) » : Le 31 janvier 2012, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « les enregistrements audio obtenus à l’insu d’une personne sont recevables en justice en tant que preuve afin de porter plainte contre cette personne au titre d’infractions pénales dont elle se serait rendue coupable et sans que le droit au respect de la vie privée ni même la violation du secret professionnel puisse valablement constituer une limite ».

Du côté du droit européen

La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a aussi rappelé que la Convention européenne des droits de l’homme ne saurait in abstracto exclure l’admissibilité d’une preuve recueillie de manière illégale ou déloyale(9).

La CEDH a admis qu’une preuve illégale peut être produite et utilisée en justice dès lors qu’elle a pu être discutée dans le cadre d’un procès équitable(10).

Cela n’est pas contraire à l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (concernant le droit à un procès équitable), puisque la recevabilité des preuves est régie par les règles de droit interne de chaque état(11).

Concrètement, on fait comment ?

Le fait qu’il soit possible de produire un enregistrement « clandestin » dans un procès pénal ne doit pas conduire à se mettre en danger. Une personne qui réaliserait qu’elle est enregistrée à son insu pourrait en effet réagir de manière violente.

La discrétion est donc de mise : la plupart des téléphones portables récents permettent un enregistrement de bonne qualité même s’ils sont placés dans une poche ou un sac.

Une personne auprès de qui nous intervenons s’est servie d’un « stylo caméra espion » avec de très bons résultats. Il suffit de mettre le stylo dans une poche de chemise et d’appuyer sur son capuchon pour démarrer un enregistrement vidéo et audio. Cette même solution a été récemment recommandée à des victimes par un policier lors de leur dépôt de plainte. Il en existe plusieurs modèles sur des site de vente en ligne, à des prix variables.

On nous a aussi signalé qu’un enregistreur MP3 en collier autour du cou, sous un vêtement, même un pull, faisait très bien l’affaire, y compris si la personne enregistrée est à plusieurs mètres.

Il est enfin possible d’enregistrer une conversation téléphonique, quel que soit l’appareil d’enregistrement, en mettant le haut-parleur.

Dans tous les cas, il est très important de s’adresser à la personne enregistrée de manière à ce qu’elle soit identifiable (M. Untel), de s’assurer de l’autonomie de l’appareil d’enregistrement (durée d’enregistrement -certains peuvent enregistrer plusieurs heures d’affilée – et autonomie de la batterie) et de ne jamais procéder au montage de l’enregistrement : il doit être fourni « brut » aux services d’enquête.

Marilyn Baldeck, déléguée générale,
Clémence Joz, juriste-stagiaire.

Notes

1. « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction.
Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui.
»

2. Ceci signifie que les services de police ou de gendarmerie, contrairement aux victimes elles-mêmes, ne sont pas autorisés à rapporter la preuve de cette manière.

3. Crim. 6 Avril 1993 ; Crim. 6 Avril 1994 ; Crim. 11 Juin 2002

4. Article 427 Code de Procédure Pénale.

5. En principe les juges condamnent les procédés déloyaux ou illicites auxquels pourraient se livrer les policiers ou les magistrats (à propos du recours par des policiers en enquête préliminaire à des écoutes téléphoniques : Paris, 8 févr. 1995). Il est entendu qu’aucune autorité publique ne doit s’immiscer dans la confection de cette pièce à conviction.

6. 31 janvier 2007 n° 06-82383.

7. Crim. 7 mars 2012, n°11-88.118.

8. Cass. Crim., 31 janvier 2012, pourvoi n° 11-85464: En l’espèce, la fille de Madame Liliane Bettencourt a porté plainte près le TGI de Nanterre pour des faits d’abus de faiblesse dont sa mère, était, selon elle, victime de la part de membres de son entourage. Dans le cadre de sa plainte, celle-ci a communiqué des CDs, un courrier de son avocat à un huissier de justice attestant qu’elle avait un intérêt à faire retranscrire les enregistrements réalisés par le maître d’hôtel de Madame Bettencourt contenus sur ces supports, ainsi qu’une liasse de feuillets sur lesquels étaient dactylographiés les propos échangés entre sa mère et d’autres personnes telle que son avocat.

9. Arret Schenk c/ Suisse 12 juillet 1988, n° 10862/ 84 : Il a aussi été rappelé dans cet arrêt que la Cour doit toujours s’assurer que le moyen de preuve litigieux n’a pas été le seul retenu pour motiver la condamnation.

10. Cette solution a été reprise par quatre arrêts postérieurs : Khan c/ Royaume Uni, 12 mai 2000 ; J.D.I. 2001, p. 205 ; PG et JH c/ R.U., 25 sept. 2001, JDI 2002, p. 301 ; Jasper c/ R.U., 16 fév. 2000, id. ; Fitt c/ R.U., 16 fév. 2000.

11. Schenk c/ Suisse 12 juillet 1988, n° 10862/ 84).

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