Agressions sexuelles « déguisées » en harcèlement moral : La Cour de cassation rappelle que les juridictions ont le devoir de restituer aux faits leur exacte qualification

Violences dénoncées et procédure

Mme G est embauchée en septembre 2007 dans un musée en qualité d’adjointe du patrimoine d’une commune.

Lors de son arrivée, elle est accueillie par M. H et placée, de fait, sous son autorité.

Dès les premiers jours, il affirme que Mme G « est à lui », et s’immisce dans ses relations professionnelles avec ses collègues masculins de manière exclusive et possessive.
Dès l’automne 2007, il l’agresse sexuellement à deux reprises en lui touchant les fesses avec insistance, par surprise, alors qu’elle travaille en hauteur et ce malgré ses refus fermes et explicites. Il lui fait des commentaires sur son physique : « T’es belle, t’es lumineuse, t’es une belle plante, t’as des fesses fermes».

A partir de mars 2008, ses agissements s’amplifient encore : Il mime des actes de fellation lorsqu’elle parle avec l’un de ses collègues avec qui elle a une relation privilégiée et la traite une fois de « putain ». Il lui touche les fesses en mimant une « fessée ». Il la fait tomber sous son bureau et lui présente son entre-jambe en fermant les yeux, tente de l’enrubanner puis la plaque sur une table, la maintient par sa force et le poids de son corps, et procède à des attouchements sur elle.

Il lui impose également des violences physiques et des brimades humiliantes, dégradantes et intimidantes : il la coince entre sa chaise et son bureau brutalement, la jette à terre et lui met de l’herbe dans son tee-shirt, la serre très fort dans ses bras jusqu’à lui faire mal, lui enlève continuellement ses barrettes dans les cheveux, lui jette des élastiques à la figure, la pousse violemment alors qu’elle parle avec un collègue, lui jette des boules de papier, lui lèche la joue, la frappe brutalement sur les bleus qu’il a lui même causé, arrache le fil de son téléphone alors qu’elle rit avec quelqu’un au téléphone, la fixe longuement lorsqu’elle travaille.

Cela a comme conséquence, si ce n’est comme objectif, de déstabiliser durablement Mme G, qui a oppose d’abord des refus très fermes, sans succès. Puis pour éviter son courroux, elle tente des refus plus « diplomatiques » sans jamais entretenir d’ambiguïté. En vain. Elle finit par ne plus lui adresser la parole et se voit reprocher par plusieurs collègues de « pourrir l’ambiance», d’être «méchante» ou «agressive» avec M. H. ou de n’être pas «marrante».

Constatant la dégradation progressive, mais conséquente de son état de santé, elle alerte sa hiérarchie en février 2010.

Le récit de Mme G fait également ressortir la dimension collective et environnementale de ces violences, car les agissements de M. H. et l’impunité dont il a un temps bénéficié ont entraîné des comportements à connotation sexiste et sexuelle chez d’autres salariés du musée, qui eux n’ont jamais été inquiétés.

Une partie des faits ayant été reconnue par le mis en cause et le dossier pénal et les pièces produites par Mme G étant d’une grande force probante, la question de la preuve n’était pas le principal problème.

Le parquet, très actif, était d’ailleurs intervenu auprès de l’employeur de Mme G. en demandant que des mesures conservatoires protectrices soient mises en ?uvre. Le procureur a pourtant pris la décision de renvoyer M. H devant le Tribunal correctionnel sur le fondement de l’infraction de… harcèlement moral.

M. H était donc prévenu d’avoir harcelé moralement Mme G, «en l’espèce en lui passant la main sur les fesses, en lui faisant des pincettes, en la serrant très fort dans ses bras, en l’enveloppant dans un film plastique, en lui portant des coups sans gravité et en lui lançant des élastiques et objets divers».

Cette aberrante qualification des faits a eu pour conséquence d’entrainer la relaxe de M. H en première instance au motif que ces agissements étaient habituels et collectifs : « dès lors que les jeux étaient monnaie courante au sein du Musée, qu’ils ne visaient pas particulièrement Mme G, il ne peut être imputé à M. H une volonté de nuisance objective et ciblée, dont il est d’ailleurs impossible de définir le mobile ».

Mme G. avait donc interjeté de la décision, ainsi que le parquet, et sur les conseils de l’AVFT changeait d’avocate.
Devant la Cour d’appel, Mme G. demandait que certains faits dont elle la saisissait soient examinés sous la qualification d’agressions sexuelles.

Par un arrêt du 13 avril 2012, la Cour d’appel confirmait la décision de relaxe du chef de harcèlement moral. La cour jugeait que l’élément moral du délit n’était pas constitué au motif que personne au musée et « a fortiori » M. H n’avait eu connaissance des répercussions de ces agissements sur l’état de santé de Mme G avant 2009, date des démarches de Mme G. En conséquence, alors même que les faits n’étaient pas contestés par le mis en cause, Mme G se trouvait pour la seconde fois déboutée.

La demande de requalification en agressions sexuelles formulée par Me Cittadini, avocate de Mme G, était également rejetée par la Cour d’appel au motif que « M. H n’a pas accepté de comparaître volontairement  »(1).
Mme G formait un pourvoi en cassation contre cette décision, toujours sur les conseils de l’AVFT et de son avocate.

L’arrêt de la Cour de cassation

La chambre criminelle de la Cour de cassation rendait son arrêt le 28 mai 2013.

Si la Cour ne se prononce pas sur la décision de relaxe du chef de harcèlement moral, décision souveraine des juges du fond, elle dit qu’il appartenait en revanche à la Cour d’appel « de rechercher si les faits dont elle était saisie ne pouvaient recevoir la qualification évoquée par les conclusions de la partie civile, qui soutenait que certains des actes reprochés au prévenu constituaient des faits d’agression sexuelle, le motif par lequel elle relève que le prévenu n’a pas comparu volontairement pour ces faits étant inopérant, s’agissant de faits compris dans la prévention ».

La Cour de cassation rend ici une décision conforme à sa propre jurisprudence, selon laquelle les juridictions peuvent juger un mis en cause sur le fondement d’une nouvelle qualification sans qu’elle n’ait besoin de recourir à la procédure de comparution volontaire, à condition que :

  • Les éléments de faits soient visés par la prévention ou apparaissent dans les éléments de faits (les pièces de la procédure) dont le juge est saisi
  • Le mis en cause ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification (Cass. crim 30 janvier 2008 et 13 février 2008)

Ceci est possible même pour une infraction plus sévèrement réprimée, même en appel et même si la demande de requalification n’a pas été formulée en première instance.

Il est notable que les juridictions du fond sont très promptes à suivre la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation quand elle n’est pas favorable aux droits des victimes de violences sexuelles(2), tandis qu’elles s’affranchissent beaucoup plus volontiers de celle qui vise à garantir l’effectivité de leurs droits.

La Cour de cassation casse et annule donc l’arrêt de la Cour d’appel d’avril 2012 et renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel d’Amiens, qui, elle, devra se prononcer sur le chef d’agression sexuelle.

Audience à venir.

Marilyn Baldeck, déléguée générale
Dana Zeitoun, juriste-stagiaire

Notes

1. Pour un compte rendu plus détaillé de l’audience du 9 mars 2012, Cour d’appel de X, 9 mars 2012.

2. Notamment sur la contrainte en matière de violences sexuelles

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