Femmes poursuivies pour dénonciation calomnieuse pour avoir dénoncé des violences sexuelles : des sorcières modernes

Estampe datée de 1730 représentant Catherine Cadière et Jean Baptiste Girard

Le 18 décembre 2013 devant la Cour d’appel de Paris, l’AVFT soutenait une femme qui avait fait appel de sa condamnation pour dénonciation calomnieuse après avoir dénoncé les agissements de harcèlement sexuel et moral de deux de ses supérieurs hiérarchiques.

La victime devenue coupable avait été condamnée sur la base d’une loi qui n’était plus en vigueur. L’ancienne définition du délit de dénonciation calomnieuse permettait en effet d’obtenir une condamnation quasi automatique de celle qui avait dénoncé, simplement parce que sa plainte n’avait pas abouti à la condamnation du mis en cause. Ainsi en avait-il été de Mme K, condamnée à trois mois de prison avec sursis et à verser 15000 euros à l’homme qui l’a violée et harcelée, de Mme M., condamnée à verser 6000 euros à l’homme qui l’a agressée et harcelée sexuellement, de Mme D, condamnée à verser 1 euro de dommages et intérêts à l’homme qui l’a agressée, de Mme P, condamnée à verser 11 500 euros à l’homme qui l’a violée, agressée, harcelée. Mme K, représentée par Me Christophe Pettiti, avait alors saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Après dix ans d’actions de l’AVFT pour la modification du délit de dénonciation calomnieuse, le 30 juin 2011 la CEDH avait condamné l’Etat français. Le Parlement, anticipant la condamnation, avait fini par modifier la rédaction du délit de dénonciation calomnieuse à la faveur de la loi du 9 juillet 2010.

Au cours de mes recherches sur le harcèlement sexuel, j’avais découvert l’histoire d’Anna Goldi, exécutée en 1782 pour sorcellerie après avoir dénoncé le harcèlement sexuel commis par son employeur à son encontre. J’ai alors cherché à savoir si d’autres femmes condamnées pour sorcellerie avaient elles aussi été victimes de violences sexuelles. Il ne fut pas difficile d’en trouver trois autres. J’ai été frappée par la similitude entre le procédé qui vise à punir une femme d’avoir dénoncé des violences sexuelles de nos jours (via le délit de dénonciation calomnieuse) et les motifs sur la base desquels l’ordre patriarcal, il y a quelques siècles, a tragiquement fait taire les sorcières.

Madeleine Bavent, née en 1607, fut apprentie chez une lingère dès l’âge de douze ans. Son histoire est racontée dans un livre de l’historien Jules Michelet(1), publié en 1862, qui s’appuie sur les documents de l’époque, notamment sur son interrogatoire et sur un récit de sa vie, écrit sous sa dictée par un prêtre en 1652. La lingerie où Madeleine était apprentie dépendant de l’église, le confesseur, un père franciscain, y “régnait en maître” et “faisait croire aux apprenties (enivrées sans doute par la belladone et autres breuvages de sorciers) qu’il les menait au sabbat et les mariait au diable Dagon.” Michelet précise qu’il en “possédait trois, et Madeleine, à quatorze ans, fut la quatrième”. Il semble donc que Madeleine soit victime de violences sexuelles dès ses 14 ans.

A 16 ans, elle entra comme novice au monastère de Saint François, à Louvier, qui était dirigé par le vieux père David. Ce prêtre avait pour habitude d’être nu dans son couvent et d’exiger des religieuses qu’elles soient également nues, “pour dompter et humilier les novices, les rompre à l’obéissance”. Madeleine n’appréciait pas de devoir se dévêtir et fut réprimandée lorsqu’elle voulut cacher son sein avec la nappe de l’autel. Le père David mourut alors qu’elle avait 18 ans, et fut remplacé par le curé Picart. Ce dernier entrepris ce qui peut être considéré aujourd’hui comme un harcèlement sexuel, parlant constamment d’amour à Madeleine, l’isolant des autres religieuses pour qu’elle se retrouve seule avec lui et la poursuivant “avec furie”. Madeleine ne l’aimait pas, mais était forcée de se confesser à lui par les religieuses, qui lui interdisaient tout autre confesseur. La stratégie de cet agresseur ne diffère pas des stratégies utilisées par les agresseurs « d’aujourd’hui » : profitant de la faible santé de Madeleine, le père Picart “l’attaqua malade, comme elle était presque mourante” en lui faisant peur, abusant de son autorisé pour lui raconter des histoires de diables. En prétendant être malade, il l’attira chez lui et la viola, vraisemblablement après l’avoir droguée ou alcoolisée. Madeleine tomba enceinte. Le prêtre Picart bénéficiait d’une immense autorité dans la communauté, car il avait la confiance des riches et apportait de l’argent au couvent. Il fit de Madeleine une religieuse afin qu’elle vive à l’intérieur du couvent. Madeleine déclara avoir accouché plusieurs fois de ces viols. Picart, craignant qu’elle ne le dénonce à un autre prêtre, l’obligea à signer un testament où elle “promettait de mourir quand il mourrait et d’être où il serait”.

Les viols reprirent et elle était devenue “sa propriété” dont il “usait et abusait pour toutes choses”. L’âge de ce prêtre n’est pas mentionné, mais il est précisé qu’il était “déjà âgé”. Madeleine fut également prostituée par ce prêtre auprès d’autres religieux, dont le vicaire Boullé. Madeleine avait demandé de l’aide à un évêque, qui ne fit absolument rien pendant six ans, “craignant sans doute Richelieu, qui essayait alors une réforme des cloîtres”. La mort de Picart ne signifia pas la fin du calvaire pour Madeleine, qui était atteinte de “visions” et voyait le diable. Pour trouver la marque du diable, Madeleine fut torturée par les religieuses, son corps entier piqué d’aiguilles pour trouver un endroit insensible : “partout elles trouvèrent la douleur, si elles n’eurent le bonheur de la prouver sorcière, du moins elles jouirent des larmes et des cris”. L’évêque condamna Madeleine à quitter le couvent et l’enferma dans le cachot du monastère. Après son départ, des religieuses eurent des crises “d’hystérie”, criant et prophétisant. Six religieuses sur 52 seraient “possédées” et auraient “mérité correction”. Des experts envoyés par la reine prétendirent que des événements surnaturels avaient lieu dans ce couvent, et une enquête fut ouverte.

Exorcisme de Madeleine Bavent

Madeleine, emprisonnée et malade, était tourmentée par le pénitencier qui venait tous les jours “menacer, commander, et la confesser malgré elle”. Elle fit une tentative de suicide en avalant du verre pilé, mais ne mourut pas. Il semblerait qu’elle soit à nouveau victimes de violences sexuelles car elle est décrite comme “désirable encore, une tentation pour ses geôliers, valets brutaux de l’évêché, qui, malgré l’horreur de ce lieu, l’infection et l’état de la malheureuse, venaient se jouer d’elle, se croyaient tout permis”. On la fit également confesser des crimes qu’elle n’avait pas commis. Le vicaire Boullé fut poursuivi par le parlement de Rouen, qui fit transférer Madeleine au cachot de Rouen pour le procès. En 1647, le parlement ordonna que Boullé soit brûlé vif avec les ossements du père Picart. Il décida également d’imposer aux couvents des confesseurs extraordinaires quatre fois par an, afin que ces “abus immondes” ne se renouvellent pas. Madeleine, quant à elle resta emprisonnée à vie dans le cachot de Rouen. L’histoire de Madeleine est révoltante d’injustice, la victime étant cyniquement punie et, bien qu’un des coupables soit condamné, trois des hommes ayant violé Madeleine n’ont jamais été inquiétés (le père franciscain, le père David et le père Picart). Les crimes commis sur Madeleine depuis ses 14 ans seront donc restés impunis, la justice ayant condamné une victime mourante à la place.

En 1709 naît dans une famille de la petite bourgeoisie à Toulon, Marie-Catherine Cadière (2). Elle intégra elle aussi les ordres, à 17 ans. Autre point commun avec Madeleine Bavent, sa santé est également mauvaise. Le père Jean-Baptiste Girard, alors âgé de 47 ans devint son “guide spirituel” en 1728 (elle avait alors 18 ou 19 ans). L’historien Jules Michelet le décrira comme “un Jésuite vieux” et “laid(3). Les documents de la justice de l’époque rendent compte de l’affaire de manière détaillée. De manière plutôt habituelle, Marie-Catherine commença par être mal à l’aise en sa présence, seulement quelques mois après leur rencontre. Elle fera état plus tard d’attentions à son égard, et de demandes incessantes. Girard lui disant que “Dieu demandait plus d’elle”, et qu’elle “devrait se donner toute entière à Dieu”. Ses propositions se firent de plus en plus insistantes : “remettez-vous à moi ; abandonnez-vous tout entière”. Girard viola Marie-Catherine, vraisemblablement à plusieurs reprises, lui disant impudemment “Je suis votre maître, votre Dieu… Vous devez tout souffrir au nom de l’obéissance.” Ces viols entraînèrent d’importantes conséquences sur la santé de la jeune fille, qui se mit à vomir, si bien que “pendant presque tout le carême, elle ne put presque pas manger; elle rejetait le peu qu’elle prenait”. Elle est également sous l’emprise de violentes convulsions. Le père Girard dit alors aux parents de Marie-Catherine qu’elle était une sainte mais qu’il ne fallait surtout pas révéler le secret ou elle mourrait dans les 24 heures. Refusant de quitter sa chambre et ayant des convulsions tous les jours, il prétendra alors l’exorciser pour se retrouver seul dans sa chambre avec elle. Il lui rendit visite chaque jour et s’enferma dans sa chambre pendant des heures.

Estampe datée de 1730 représentant Catherine Cadière et Jean Baptiste Girard

Lors de son audition, Marie-Catherine explique qu’elle reprenait parfois ses esprits, et se retrouvait dans des positions “indécentes”, souvent nue, le père Girard la tenant. Elle se retrouvait également “mouillée” et trouvait des traces sur son corps qui indiquaient qu’il avait “consommé ses tentatives”. Tous les symptômes résultant des violences sexuelles dont elle était victime peuvent aujourd’hui être analysés à la lumière des découvertes de la neurobiologie et de la neuropsychiatrie : la « mémoire traumatique » permet d’expliquer les crises, la « dissociation » permet également d’expliquer ces sensations de ne plus être présente.

Ses parents, inquiets de voir les crises empirer lorsque le père Girard était là, demandèrent à deux autres prêtres de confesser la jeune fille. Elle aura le courage de prononcer le nom de son agresseur, “Girard Jean-Baptiste” mais, ne donnant pas les détails, les prêtres ne comprennent pas la situation. La santé de Marie-Catherine empira, jusqu’à vomir du sang pendant plusieurs jours. Elle n’avait plus ses règles depuis trois mois, et le père Girard vint lui palper l’abdomen et lui donner chaque jour des “remèdes”. Il apparaît alors clairement qu’elle est enceinte et qu’il tente de l’avorter. Cette tentative aboutit et elle avorta de “sang et de chair”. Fidèle à sa stratégie, le père lui dit qu’il n’était pas possible qu’elle soit enceinte et que cela était l’?uvre du diable, ce pourquoi elle devait être punie. Il lui fit promettre de garder le secret, puis la fit déshabiller et la fouetta. Sa famille devenant de plus en plus suspicieuse, elle demanda à ce qu’elle soit examinée par un médecin, mais Girard l’envoya dans un couvent où il avait ses entrées et tenta à nouveau de la violer.

Marie-Catherine fut ensuite poursuivie par le tribunal ecclésiastique qui l’accusa de sorcellerie, après que l’évêque de Toulon, “grand seigneur qui un moment défendit La Cadière, eut peur, quand les Jésuites lui reprochèrent certaine chose infâme. Et, dans sa lâcheté, il se mit avec eux.” La famille Cadière “formula et répandit une plainte pour déni de justice et subornation de témoins”. Marie-Catherine était détenue pendant le procès au couvent même où Girard avait du pouvoir, tandis qu’il était libre et continuait ses activités. La bonne s?ur qui était sa geôlière, complice de Girard, lui donna du vin auquel elle avait ajouté une drogue afin que Marie-Catherine soit ivre pendant sa déposition : “Le spectacle singulier, honteux, d’une jeune fille ivre, ne les étonne pas, ne les met pas en garde. On lui fait dire que Girard ne l’a jamais touchée, qu’elle n’a jamais eu ni plaisir ni douleur, que tout ce qu’elle a senti tient à une infirmité.” Deux hommes seulement l’ont aidée, le procureur et un notaire, qui “firent pour elle les actes où elle rétractait sa rétractation, pièces terribles où elle dit les menaces des commissaires et de la supérieure des ursulines, surtout le fait du vin empoisonné qu’on la força de prendre.” Elle fut cependant condamnée à être pendue et étranglée. Le peuple prit alors soudainement sa défense, “la loi du rapt appliquée à l’envers, la fille condamnée pour avoir été subornée, le séducteur étranglant la victime !” Une foule se dirigea ainsi vers sa prison et s’écria “Rassurez-vous, mademoiselle. Nous sommes là… Ne craignez rien.”

Sous la pression du peuple, Girard fut jugé pour sorcellerie mais sera acquitté alors que plusieurs magistrats l’estimaient digne de mort, douze juges se prononçant pour sa mort, douze autres pour son acquittement, c’est le président qui départagera. Quant à Marie-Catherine, elle sera “traitée comme calomniatrice, condamnée à voir ses mémoires et défenses lacérés et brûlés par la main du bourreau”. Elle ne fut pas exécutée, le nouveau jugement précisait qu’elle devait être “rendue à sa mère” mais il n’y a aucune trace d’elle après le procès, laissant l’historien Jules Michelet supposer qu’elle aurait été emprisonnée : “plongée, perdue dans quelque couvent ignoré, éteinte dans un in pace .”

Anna Goldi serait la dernière femme à avoir été exécutée pour sorcellerie en Europe. Née d’une famille pauvre en Suisse, elle travaillait comme servante chez des familles aisées du canton de Glaris.

Musée Anna Goldi

En 1780 elle fut embauchée chez le médecin et juge Johann Jacob Tschudi, où elle effectuait des tâches ménagères et s’occupait des enfants. Le journaliste et juriste Walter Hauser a publié un livre (4) dans lequel il relate son enquête sur le procès d’Anna Goldi. Le greffier du procès, opposé à la peine de mort, a transmis des documents à un journaliste allemand de l’époque, documents que Walter Hauser a retrouvés. Plusieurs documents indiqueraient qu’Anna aurait eu une « relation » avec son employeur. Hauser a également découvert que le conseil de l’église protestante qui a condamné Goldi n’avait aucune compétence légale pour le faire. Anna Goldi avait déposé une plainte contre son employeur pour harcèlement sexuel (et peut-être viol). Le docteur Tschudi a ensuite soutenu qu’elle avait ensorcelé sa fille, qui était tombée malade et qui aurait vomi des aiguilles, aiguilles que le docteur a prétendu avoir trouvé dans le lait et le pain de sa fille. Cette maladie entraîna chez sa fille une paralysie de la jambe. Le docteur utilisa son statut d’homme de médecine pour prétendre que s’il n’était pas capable de soigner sa fille, c’est qu’elle avait été ensorcelée. En février 1872, la police arrêta Anna Goldi, qui s’était enfuie apprenant les accusations du docteur. Elle fut ensuite torturée (suspendue par les pouces, les mains attachées dans le dos, des poids attachés à ses chevilles), et avoua sous la torture avoir fait un pacte avec le diable. En prison, Anna donna naissance à un bébé (vraisemblablement de Tschudi) qui mourut très vite, et dont la mort sera ajoutée aux accusations contre elle. La cour décidant de son sort était composée de proches et amis du docteur Tschudi, et la condamna à la décapitation sur la place publique. Le 13 juin 1782, elle fut exécutée et ses restes furent enfouis au pied de l’échafaud. Grâce au travail de Walter Hauser, un mouvement pour la réhabilitation d’Anna Goldi a été enclenché. Le Conseil d’Etat et l’Eglise protestante ont refusé sa réhabilitation, qui a finalement été effectuée en 2008 par le parlement du canton de Glaris.

Cinquante ans plus tôt, une autre suissesse, Catherine Repond, surnomée la Catillon avait été condamnée au bûcher pour sorcellerie. Alors âgée de 68 ans, elle fut également victime d’un assassinat judiciaire. Cette femme pauvre et vagabonde fut accusée de se métamorphoser en renard et de jeter des sorts après avoir été détroussée et mutilée une nuit où elle était hébergée dans la grange d’une famille de Fribourg. Torturée violemment à plusieurs reprises, elle avouera tout ce qu’on attend d’elle : qu’elle se déplace sur un manche à balais, qu’elle a forniqué avec le diable… Bien qu’elle revienne sur ces aveux extorqués sous la torture, elle sera condamnée au bûcher. Selon l’historienne Josiane Ferrari-Clément, la Catillon aurait été exécutée parce qu’elle en savait trop, notamment sur un trafic de fausse monnaie organisé par des notables de Fribourg. Catherine Repond avait également accusé un homme d’église de l’avoir violée. Qu’une femme pauvre mette en cause un homme de pouvoir était très courageux et semble lui avoir coûté la vie.

Ces quatre femmes ont en commun d’avoir dénoncé des violences sexuelles commises par des hommes ayant une forte autorité. Presque toutes pauvres, elles ont été confrontées à une double oppression de sexe et de classe qui a permis à leurs agresseurs de n’être jamais inquiétés. Dans un retournement pervers, les victimes sont devenues les coupables, et sont condamnées par des hommes pour des crimes invraisemblables. Pour Madeleine et Marie-Catherine, les viols dont elles sont victimes sont aggravés par leur jeune âge par rapport à l’âge avancé de leurs agresseurs, mais pour toutes, les violences sexuelles sont aggravées par l’autorité dont disposait leur agresseur, autorité religieuse, judiciaire, ou économique. Les conséquences traumatiques de ces violences sont ensuite utilisées contre deux d’entre elles pour soutenir les accusations de sorcellerie, alors qu’on sait aujourd’hui que la violence “livre notre esprit à un stress tellement destructeur pour nos neurones que seul un mécanisme de sauvegarde exceptionnel nous permettra de survivre. (5)
Le comportement des victimes s’éclaire lorsqu’on considère que les atteintes neuronales dues au traumatisme des violences sexuelles “peuvent être à l’origine d’absences, de crises d’épilepsie, de perte de conscience, et d’amnésies lacunaires (comme lors d’un traumatisme crânien). Ces amnésies peuvent être très ponctuelles ou bien plus importantes, englobant toute une période précédant et suivant l’acmé du survoltage et la disjonction.” Les vies de ces femmes, détruites par les violences sexuelles, seront achevées par une justice misogyne, protégeant leurs agresseurs quel qu’en soit le prix.

Les victimes des procès en sorcellerie étant majoritairement des femmes (environ 80%), on peut se demander combien d’autres ont été ainsi sacrifiées pour épargner des agresseurs sexuels. Il était déjà établi que leur sexe, la pauvreté et/ou leur indépendance étaient les raisons principales des accusations de sorcellerie, mais il paraît évident que la dénonciation des violences sexuelles masculines en soit une autre. Une des rares personnes à avoir dénoncé ces procès, le jésuite allemand Friedrich Spee qui avait « accompagné » près de 200 femmes au bûcher, a déclaré dans son traité La Cautio Criminalis (1631) : « De toutes les malheureuses, que j’ai assistées jusqu’au feu, aucune, je l’affirme sous serment, n’était coupable du crime qu’on lui imputait ».

En 2013 encore, des femmes victimes de violences sexuelles deviennent coupables d’avoir été victimes et d’avoir osé le dénoncer. Le délit de dénonciation calomnieuse est la version moderne de l’exécution des sorcières, la logique étant toujours la même.

Mme K, une Anna Goldi moderne, est actuellement en attente d’une date d’audience afin qu’elle soit rejugée au regard de la nouvelle définition du délit de dénonciation calomnieuse. Elle attend elle aussi sa réhabilitation.

Clémentine Pirlot
AVFT, le 20 janvier 2014.

Notes

1. La Sorcière de Jules Michelet, E. Dentu, Paris, 1862

2. Son histoire est également racontée dans La Sorcière de Jules Michelet, E. Dentu, Paris, 1862

3. Histoire de France au xviiie siècle. Louis XV, Jules Michelet (1866)

4. Livre en allemand Der Justizmord an Anna Göldi 2007

5. Le Livre noir des violences sexuelles, Muriel Salmona, Dunod, Paris 2013

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