Jeudi 27 février, la Cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation pour dénonciation calomnieuse de Mme B., qui avait été déboutée de sa plainte pour harcèlement sexuel et moral

Cette décision confirme également que la modification du délit de dénonciation calomnieuse n’a pas supprimé l’épée de Damoclès au-dessus de la tête des victimes

Rappel de la procédure

Il y a près de 10 ans, Mme B. avait porté plainte pour harcèlement sexuel et moral contre deux responsables hiérarchiques.

Une instruction avait été ouverte, au terme de laquelle le juge d’instruction avait décidé du renvoi de ceux-là devant le Tribunal correctionnel, conformément aux réquisitions du parquet.

Le Tribunal correctionnel de Bobigny avait relaxé les deux hommes, considérant que de harcèlement sexuel et moral il n’y en avait point, et qu’il s’agissait tout au plus de « l’expression maladroite de sentiments amoureux sans aucun caractère indécent ou obscène », dans un contexte de conflit syndical.

Un an plus tard, non contents d’avoir bénéficié d’une relaxe, MM L. et B. citent Mme B. devant le Tribunal correctionnel de Nanterre pour dénonciation calomnieuse.

Celui-ci condamne Mme B., sur le fondement d’une définition du délit qui n’est plus applicable, et alors même qu’un juge, après trois ans d’instruction, avait estimé que des éléments étaient en nombre suffisants pour que MM. L. et B. soient jugés et que le ministère public, donc l’Etat, avait été convaincu de la culpabilité des mis en cause.

Mme B. interjette appel et change d’avocat(1).

L’audience de la Cour d’appel du 18 décembre 2013

Cette audience n’aura pour le moins pas été à l’honneur de la justice pénale.

  • La Cour a reproché à Mme B. d’avoir tardé à porter plainte pour harcèlement sexuel (environ 6 mois).

Pourquoi existe-t-il donc un délai de prescription de trois ans pour les délits alors que les victimes sont sommées de porter plainte dès le lendemain de la commission de l’infraction ?

  • Mais personne, ni les juges, ni la procureure générale, ne s’est offusqué que MM. L. et B. l’ait citée pour dénonciation calomnieuse… un an après leur relaxe.
  • La présidente a dit : « Sur le harcèlement sexuel, le Tribunal a conclu qu’il n’existait pas », alors que le Tribunal a dit qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments pour condamner, ce qui est loin d’être équivalent.
  • Elle a demandé à Mme B : « Au moment où vous déposez plainte, est-ce que vous savez que les faits que vous dénoncez ne sont pas du harcèlement moral et du harcèlement sexuel ? », alors que Mme B. venait justement de dire qu’elle avait bel et bien été victime de harcèlement sexuel et moral.
  • Elle lui a aussi demandé : « C’était du harcèlement ou de la drague assidue ? ». Réponse de Mme B. : « Au début je me suis dit que c’était de la drague, mais après mes refus il a continué ».
  • Et encore (toujours sur un ton de reproche) : « Mais quand même ça s’est arrêté quand votre mari est intervenu ?».

Que dire ? Devrions-nous avoir à expliquer aux juges que, justement, ceci est à mettre au crédit de la parole de Mme B. ? Que s’il ne s’était agi que de « drague », dans un contexte égalitaire et sans risque de représailles, elle aurait pu y mettre fin seule ? Que l’intervention de son mari atteste justement de l’existence d’un comportement qui excède « la drague » ?(2).

  • Et encore : « Mais y-a-t-il des gestes qui sont allés au-delà ? », laissant deviner que pour la Cour, les faits dénoncés par Mme B. n’étaient de toute façon pas suffisamment graves pour mériter une plainte.
  • Et à nouveau, la présidente, à propos du harcèlement moral : « Après la conversation avec votre mari, s’est montré froid, c’est normal. Il y a des gens qui tombent amoureux, c’est comme ça, des hommes, des femmes… On peut comprendre qu’après ça, il ne soit pas aimable, IL FAUT SE METTRE A SA PLACE ».
  • Il est ensuite reproché à Mme B., interrogée à la barre, de ne pas maîtriser la chronologie de faits datant de dix ans.
  • Lorsque Me Agnès Ctittadini, avocate de Mme B., interroge M. L : « Monsieur, ce n’est pas un peu long, quatre mois de « cour » à quelqu’un qui ne réagit pas ? », l’avocate générale exprime physiquement sa désapprobation.
  • L’avocate générale a fait la démonstration, pendant l’audience, de sa méconnaissance du délit de dénonciation calomnieuse. Elle reproche à Me Cittadini de ne pas l’avoir alertée avant l’audience que le délit de dénonciation calomnieuse issu de la loi du 9 juillet 2010 était applicable dans ce procès et dit : « Si j’avais su, j’aurais fait des recherches pour comprendre les raisons de cette modification ».

Le ministère public ignorait donc que la France avait été condamnée par la Cour Européenne des Droits l’Homme pour avoir violé les droits fondamentaux d’une femme poursuivie et condamnée pour dénonciation calomnieuse (après avoir été déboutée de sa plainte pour viol). Il continuait donc à soutenir ce que la CEDH a pourtant sanctionné, en s’insurgeant : « Cela voudrait dire qu’aucun jugement de relaxe ne pourrait établir la fausseté du fait !». Aucun jugement de relaxe rendu pour charges insuffisantes ou au bénéfice du doute, en tout cas. Seules le peuvent les décisions « déclarant que le fait n’a pas été commis », comme le dispose la nouvelle incrimination. Du reste, une décision judiciaire qui ferait du « 2 en 1 », c’est-à-dire qui à la fois relaxerait des prévenus et laisserait penser que la dénonciation était mensongère, contreviendrait à la jurisprudence de la CEDH, qui rappelle dans son arrêt K c/ France du 30 juin 2011 que « la présomption d’innocence se trouve méconnue si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d’un prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu l’occasion d’exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu’il est coupable(3).

Seule la plaidoirie de Me Cittadini aura été un motif de nous réjouir.

Mme B. est donc condamnée à 1500 € d’amende avec sursis, et à indemniser M. L. et B. à hauteur de 1500? € (chacun) plus 1500? € (chacun) au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.

Compte tenu de cette audience, la confirmation de la condamnation de Mme B n’est pas étonnante. Elle n’en est pas moins consternante.

Mme B. nous dit : « Je n’arrive pas à réaliser une telle injustice. Aujourd’hui je suis prête à déplacer des montagnes tellement je suis éc?oeurée par cette audience et cette décision. J’ai la conscience tranquille, je n’avais pas porté plainte pour harcèlement sexuel pour m’amuser ».

Elle se pourvoit en cassation.

Comme nous avons soutenu Mme K, nous soutiendrons Mme B. dans tous les recours qu’elle pourra exercer contre cette décision.

Nous remercions toutes les personnes venues soutenir Mme B. lors de l’audience, pour la plupart victimes de violences sexuelles soutenues par l’AVFT. Parmi elles, une femme a été poursuivie, et relaxée, du chef de dénonciation calomnieuse, l’autre est citée devant le Tribunal correctionnel par le harceleur et attend l’audience, renvoyée en septembre. Merci aussi au Collectif Féministe Contre le Viol, représenté dans les soutiens.

Marilyn Baldeck
Déléguée générale

Notes

1. Sur les conseils de l’AVFT.

2. Du reste, tout le monde a l’air de trouver normal que seul un homme soit en mesure de mettre fin au harcèlement sexuel commis par un autre homme à l’encontre d’une femme.

3. Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, § 37, série A no 62.

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