Dénonciation calomnieuse : une poursuite aberrante du parquet de Paris, qui aboutit à une décision de relaxe du Tribunal correctionnel

Au commencement…

Mme X., fonctionnaire à la direction des finances publiques, constate, lors de certains entretiens avec son supérieur hiérarchique, M.Y, que celui-ci place ses mains sous son bureau, sur ses parties génitales. L’usage de ses mains, qui « plongent » sous le bureau, est sans équivoque. Bien qu’elle en retire une gêne certaine, elle considère qu’elle n’a pas assez d’éléments pour mettre en cause son supérieur hiérarchique.

Mais à l’occasion d’échanges avec deux collègues de travail féminines, il lui apparaît qu’elle n’est pas la seule chez qui le comportement de cet homme provoque un profond malaise. L’une d’elle témoigne auprès d’elle que cet agent s’est une fois caressé les parties génitales en la regardant droit dans les yeux, qu’une autre fois, elle a dû interrompre un entretien dans son bureau tant la situation était devenue intenable.

Mme X s’ouvre alors de ces faits à son conjoint, lui-même fonctionnaire de cette administration dans une autre ville.

Celui-ci en avise de son propre chef l’adjoint du directeur local, qui à son tour rédige une lettre synthétisant les faits dénoncés et la propose à la signature des trois agentes concernées.

Considérant que cette lettre reflète la réalité de ce dont elle a été victime et témoin, Mme X accepte de la signer.
Les deux autres agentes n’en font pas de même, estimant que leurs propos ont été exagérés.

Une enquête administrative est ouverte.

Au cours de cette enquête, les deux agentes ayant refusé de signer la lettre témoignent tout de même du caractère ambigu des mains de leur supérieur hiérarchique placées sous la table et de la gêne que cela leur occasionnait.

Le supérieur hiérarchique dépose une main-courante puis porte plainte pour dénonciation calomnieuse.

L’enquête préliminaire ouverte suite à cette plainte n’apporte rien de plus : Tandis que M.Y nie catégoriquement, Mme X confirme son témoignage, de même que ses deux collègues féminines.

La dénonciation pouvait-elle être calomnieuse ?

Pour que le délit de dénonciation calomnieuse soit constitué(1), plusieurs éléments devaient être cumulativement réunis :

  • La dénonciation devait avoir été faite auprès d’une autorité ayant un pouvoir de sanction. Tel était le cas en l’espèce, puisqu’elle pouvait déboucher sur une sanction administrative de M.Y.
  • La dénonciation devait être spontanée, c’est-à-dire venir directement de Mme X. Or le caractère spontané est ici discutable : c’est dans un premier temps son conjoint qui a dénoncé les faits. Quant à la lettre de dénonciation, elle ne l’a pas rédigée et l’a signée sur demande de sa hiérarchie.
  • Pour que la dénonciation soit calomnieuse, la dénonciatrice devait avoir dénoncé en connaissance de sa fausseté, c’est-à-dire de mauvaise foi. Or compte tenu des faits dont elle avait directement été témoin et de ce qui lui avait été confié par ses collègues, et bien que ces dernières aient nuancé leur propos par la suite, rien ne permettait d’étayer la mauvaise foi de Mme X. Sa dénonciation était au contraire « pertinente(2)».

C’est donc sur la base d’éléments pour le moins fragiles, et sans attendre les conclusions de l’enquête administrative, que le ministère public, que nous connaissons beaucoup moins volontaire quand il s’agit de poursuivre pour des violences sexuelles commises en milieu professionnel, a renvoyé Mme X devant le Tribunal correctionnel du chef de dénonciation calomnieuse.

Motifs de la relaxe de Mme X

Après avoir considéré que la dénonciation faite par Mme X était spontanée, le Tribunal a estimé qu’elle était de bonne foi et que ses accusations étaient pertinentes, raisons pour lesquelles elle ne pouvait être condamnée pour dénonciation calomnieuse.

S’agissant de la pertinence des accusations, le Tribunal retient que Mme X « a pu réellement croire à l’existence des faits dénoncés pour des motifs raisonnables et confirmés par certains aspects par d’autres témoignages ». Il s’appuie en outre sur «l’absence de dessein de nuire à M.Y avec lequel elle n’avait aucun contentieux d’aucune sorte»(3) .

Le Tribunal, pour contrer la thèse de la mauvaise foi de Mme X, observe que « celle-ci a attendu la répétition une deuxième fois de ces faits pour s’en alarmer de façon plus certaine et en parler à sa collègue de bureau qui lui avait parlé elle-même de faits ambigus de la part de M.Y puis en parler à son compagnon ; Mme X a donc été confortée d’une part par les dires de sa collègue de bureau (…) ».

Le Tribunal fait donc découler la bonne foi de Mme X de sa prudence, alors qu’elle ne peut juridiquement découler que de la dénonciation de faits qu’elle pensait vrais(4).

Du reste, quel message envoyé aux femmes ? Qu’il faudrait se taire, attendre que l’agresseur recommence ou en agresse une autre avant de pouvoir légitimement dénoncer ?

M.Y a fait appel de la décision.

En l’absence d’appel du ministère public, sans doute revenu à de plus raisonnables considérations, la décision pénale de relaxe de Mme X est définitive. La Cour d’appel aura donc à statuer sur les seuls intérêts civils de M.Y.

Marilyn Baldeck
Déléguée générale

Notes

1. En l’absence d’une décision définitive de relaxe, acquittement ou non-lieu, déclarant que le fait n’a pas été commis.

2. Le dernier alinéa de l’article 226-10 relatif à la dénonciation calomnieuse dispose en effet : « (…) le tribunal saisi des poursuites apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci ».

3. A contrario, la mauvaise foi ne peut se déduire de la seule intention de nuire. Il est en effet possible de vouloir nuire en disant la vérité (Cass. Crim. 17 juil 1947, Bull. Crim. 1947, n°180).

4. Par ailleurs, pour la Cour de cassation, la légèreté ou la témérité de la dénonciation n’implique pas nécessairement la mauvaise foi (Cass. Crim., 20 juin 1963, Bull. crim. 1963, n°217).

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