Condamnation de la SAS AVIS Location de voitures par la Cour d’appel de Paris pour harcèlement sexuel

Le 13 mai 2014, nous étions convoquées devant la Cour d’appel de Paris aux côtés de Mme M., victime cinq ans plus tôt de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles par le responsable du parking d’une agence AVIS de Paris.

Après une période de chômage, Mme M., âgée de 21 ans, débute un contrat de professionnalisation dans une agence AVIS le 9 mars 2009.

L’ambiance qui règne dans l’agence, qui lui semble d’abord conviviale et « bon enfant », est en réalité très sexiste. Les salariés du parking, majoritairement des hommes, tiennent des propos grossiers et les « blagues » et confidences sexuelles sont nombreuses.

Peu à peu ce type de remarques commence à la concerner directement, notamment sur son physique : «  t’as un trop bon cul ». Un matin, à 6h, M. G, le responsable du parking, lui tient les propos suivants : « ça va pour toi, dès quatre heures du matin, tu t’es bien fait baiser ».

Elle exprime plusieurs fois son désaccord avec ces propos et explique que ça la dérange. En vain.

Le 8 juin 2009, M. G. lui demande d’aller chercher une voiture. Lorsqu’elle lui tend la main pour récupérer les clés, il lui effleure la poitrine, devant un collègue M. D. Elle lui demande ce qu’il vient de faire. Il répond en rigolant «  Moi ? Rien. ». Elle pense que c’est peut-être un accident.

Quelques jours plus tard, en passant près d’elle, il recommence et met très franchement ses deux mains sur les seins de Mme M., ce qui constitue une agression sexuelle caractérisée. Elle lui demande de cesser immédiatement ses agissements.

Mais le 14 juin, dans l’ascenseur, il lui impose à nouveau des attouchements sur les seins, plus prolongés. Elle lui demande une nouvelle fois d’arrêter. Il joue avec un briquet qui projette une image du Kâma-Sûtra. En lui montrant, il lui dit : « T’aimerais bien que je te fasse la même chose ? ». Son désaccord le fait rire. Le même jour, dans l’après-midi, alors qu’elle parle avec M. D, au parking, M. G lui touche les fesses en lui disant « C’est trop mou, tu ne voudrais pas que je t’aide à te remuscler ? ».

Elle refusera ensuite catégoriquement d’aller travailler au parking.

Cinq jours après elle dénonce ces agressions sexuelles oralement à la responsable de l’agence, qui lui dit « Il rigole, s’il recommence on fera quelque chose ».

Mme M. dépose plainte et une enquête préliminaire est immédiatement diligentée. Elle est par ailleurs arrêtée par son médecin traitant, elle saisit la médecine du travail, l’inspection du travail et l’AVFT. Face à la détermination de la salariée et pour toute réaction l’entreprise lui a proposé d’être mutée dans une autre agence et a sanctionné M. G. par trois jours de mise à pied, malgré les témoignages d’autres collègues femmes à l’encontre du responsable du parking.

Devant l’inaction de son employeur et sur les conseils de l’AVFT, Mme M. a pris acte de la rupture de son contrat de travail trois mois plus tard.

Tel que commenté ici, M. G a définitivement été condamné pour agressions sexuelles par le tribunal correctionnel de Paris le 17 juin 2010. Mme M et l’AVFT, parties civiles, ont été indemnisées par l’agresseur.

Une requête devant le conseil de prud’hommes de Paris a parallèlement été introduite afin que la prise d’acte de la rupture du contrat produise les effets d’un licenciement nul et faire condamner l’employeur pour les nombreux manquements à ses obligations légales en matière de harcèlement sexuel.

La première audience de jugement devant le Conseil de prud’hommes en décembre 2010, avait abouti, comme trop souvent, à une décision de départage, les conseillers prud’hommes employeurs refusant quasi-systématiquement une condamnation de leurs pairs quand il s’agit de harcèlement sexuel, nonobstant les qualités objectives des dossiers.

Le juge départiteur avait rendu le 9 mars 2012 une décision en demi-teinte : il reconnaissait le harcèlement sexuel et condamnait l’employeur à verser 10 000 €? de dommages et intérêts à la victime à ce titre. L’AVFT était indemnisée en temps qu’intervenante volontaire de 500? € en réparation de son préjudice moral. Mais contre toute attente, il ne prononçait pas la nullité du licenciement, pourtant de droit.

Mme M. a interjeté appel de cette décision et l’AVFT a formé appel incident.

L’audience devant la Cour d’appel de Paris s’est tenue le 13 mai dernier, dans des conditions remarquables. Le juge unique qui présidait, M. Renaud Blanquart, avait déjà étudié les conclusions et pièces de toutes les parties, il connaissait les faits dénoncés, dont il a fait un rapport, et avait seulement des questions précises sur le plan juridique à poser.

Calme, clairvoyant et manifestement sensible sinon sensibilisé à la question des violences sexuelles commises dans les relations de travail, il a d’abord souligné que nous n’étions pas là pour parler de la responsabilité pénale de M. G. mais bien de celle de l’entreprise et des dispositions du code du travail qui s’appliquent.

Il a demandé à la société AVIS si elle contestait toujours le fait qu’il s’agisse d’une prise d’acte. L’avocate de l’entreprise a hésité, a fini par dire que Mme M. avait… abandonné son poste !

Ses autres questions sont simples et tiennent au cadre légal, notamment au degré d’autorité du jugement correctionnel sur la décision du juge en matière sociale.

L’avocate de Mme M. a plaidé essentiellement sur la condamnation pénale de M. G. et sur le non-respect par l’employeur de ses obligations de prévention, de réaction et de sanction de l’agresseur suite à la saisine de Mme M.

Le président a donné la parole ensuite à Mme M. pendant près de 15 minutes, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Elle était en pleurs et disait ne plus supporter d’entendre les dénégations de l’entreprise. En défense, AVIS versait des attestations de salariés dépeignant Mme M. comme une « allumeuse », l’entreprise arguant que « Mme M. a eu une attitude équivoque contribuant, par son comportement, à la réalisation des incidents » !

Avec la colère accumulée depuis la dernière audience où elle n’avait pas pu s’exprimer, elle dit : « Il fallait qu’il me viole pour que l’entreprise réagisse, c’est ça qu’ils attendaient pour dire que c’était des agressions sexuelles !? »

L’AVFT, représentée par Laure Ignace, a pu présenter des observations orales sans être interrompue par le magistrat, très à l’écoute. Le président a montré un intérêt évident à notre présence, à nos arguments et à notre connaissance du cadre légal qui régit le harcèlement sexuel en droit du travail et en droit pénal.

Dans un arrêt de 23 pages ( !) rendu le 26 juin, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande de nullité du licenciement. Cet arrêt est à l’image de la tenue de l’audience : complet, pédagogique et venant reconnaître le préjudice de Mme M.

La Cour ne se basant pas uniquement sur la condamnation pénale de M. G. mais sur l’ensemble des éléments versés par Mme M. décide qu’elle « établit l’existence matérielle de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel à son encontre » (…)

« Qu’avec l’intention d’exonérer M. G. de toute faute, les salariés qui attestent, « confirment en fait l’ambiance délétère décrite par Mme M. au sein du garage de l’agence, en considérant, manifestement, qu’elle était normale pour des hommes » (…)

« Qu’elle a laissé s’instaurer, au sein de son agence, un climat délétère et sexiste, propice à tous débordements que ses acteurs banalisent totalement » (…) ; « que la SAS n’apparaît pas, en mettant à pied M. G. pendant 3 jours et en l’affectant à une autre agence, avoir pris les mesures de prévention et de sanction que nécessitait le comportement de ce dernier » (…)

« Que manifestement informée en la personne de ses responsables d’agence successifs, du climat qui régnait au sein de l’agence, elle l’a laissé perdurer, sans prendre la moindre mesure de prévention de nature à éviter qu’il se traduise ultérieurement, à l’égard d’une jeune salariée en formation, par un harcèlement et des agressions sexuelles et a réagi, pour l’essentiel, en contestant les dires et initiatives de cette dernière ».

La reconnaissance de la nullité du licenciement permet à Mme M. d’obtenir une indemnité équivalent à au moins six mois de salaires, quels que soient son ancienneté et l’effectif de l’entreprise, ce qui n’est pas le cas lorsque le licenciement est considéré sans cause réelle ni sérieuse (comme ce fut le cas en première instance). Elle est donc mieux indemnisée à ce titre.

Sur les dommages et intérêts au titre du harcèlement sexuel, Mme M. avait obtenu 10 000? € par le conseil de prud’hommes de Paris. Pour lui accorder en appel 15 000 €?, la Cour prend en compte que le « harcèlement ne se résume pas aux seuls faits d’agressions sexuelles dont M. G. a été déclaré coupable et qui ont donné lieu à l’allocation d’une indemnité de 3500? € à Mme M. par le tribunal correctionnel ; » la Cour tient compte également « du très jeune âge de Mme M. à la date des faits, de ce que le harcèlement dont elle a été victime est intervenu dans le cadre de sa première expérience professionnelle, prévue pour une formation et de l’ensemble des circonstances précédemment décrites » faisant référence ici aux manquements de l’employeur à ses obligations de prévention, de réaction et de sanction de l’auteur.

Par ailleurs, les dommages et intérêts que la société AVIS est condamnée à payer à l’AVFT sont plus importants que ceux que nous obtenons habituellement : 2000,00 €? en réparation de notre préjudice moral, « constitué par le temps consacré à notre intervention auprès de Mme M., temps pendant lequel nous avons été écartées de notre mission première de prévention ».

AVIS est également condamné à nous verser 1000,00 €? pour couvrir les frais engagés dans cette procédure.

La Cour reconnaît ainsi la réalité, et la qualité du travail effectué par l’association dans son intervention en justice aux côtés des victimes.

Elle a cependant rejeté notre demande de publication de l’arrêt dans un journal aux frais d’AVIS au motif que la publication ne serait pas nécessaire pour réparer l’atteinte à notre objet social et qu’elle pourrait porter préjudice à des tiers, non concernés par le présent litige.

Mme M. a gagné sur tous les fronts : en faisant condamner pénalement l’agresseur, en obtenant la reconnaissance des agressions sexuelles au titre de l’accident du travail par le Tribunal des affaires de sécurité sociale puis en faisant condamner l’employeur pour harcèlement sexuel.

Toutes les victimes ne peuvent pas en dire autant. Elles doivent pour cela affronter trois procédures judiciaires parallèles, soit un combat de plusieurs années, affronter le déni des agresseurs et l’attitude outrageante des employeurs.

Cette belle décision et ces cinq années de procédures fructueuses nous montrent que si la route est longue et semée d’embûches, elle n’est pas impossible.

Laure Ignace,
Juriste chargée de mission.

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