Chronique de Cour d’assisesLes mots de la justice patriarcale et les justes mots

Du 10 au 12 février 2014, nous étions quatre membres de l’AVFT à Aix en Provence pour soutenir Colette dont l’ex-mari, R. Schembri, était mis en accusation devant la Cour d’assises pour tortures et actes de barbarie.

Outre la condamnation de R. Schembri pour le crime de tortures, le principal enjeu du procès de notre point de vue était la reconnaissance des viols dont Colette a été victime par l’accusé pendant toute la durée du mariage et donc la condamnation de ce dernier également pour ces crimes (lire communiqué du 24 janvier 2014). Le président de la Cour d’assises a balayé cette demande en une phrase, dès le début de la session : « On s’en tient à ce qui a été retenu par l’ordonnance de mise en accusation ». Il sera question pourtant pendant trois jours de viols ou de « relations sexuelles imposées ». Cette négation des viols quotidiens que Colette a subis pendant 32 ans de mariage illustre le gouffre qui sépare les femmes de la justice et rend déjà ce procès révoltant en soi.

La critique du procès aurait pu s’arrêter là mais je voulais vous faire partager ce que nous avons vu, entendu, analysé pendant les trois jours très éprouvants que nous avons traversés.

La Cour d’assises est un moment judiciaire très singulier du fait du déroulement du procès, sa longueur, la procédure qui s’y applique, la place de chacun.e dans la salle, « l’ambiance » particulière qui y règne…

J’ai eu l’impression, comme il est habituel qu’on décrive ces procès, d’être spectatrice d’une pièce de théâtre, d’être au c?ur d’une fiction où tout est bien à sa place, avec un décor, des costumes (les avocat.es et magistrat.es sont en robe), une cadence bien orchestrée. En outre, la disposition sur un promontoire des personnes qui vont faire le procès, surélevés par rapport au public, ressemble à une scène. Cette apparence d’irréalité a probablement pour objet justement de permettre aux jurés, au public, à la Cour de supporter l’effroi qui se présente à eux pendant plusieurs jours, là où sont jugés des criminels.

Dans notre cas, un rapport de force trop rare a été instauré sur le banc de la partie civile. En effet, nous avons, Sophie Péchaud, Marilyn Baldeck et moi, obtenu l’autorisation du président d’être assises à côté de Colette durant les trois jours, Colette ayant de son côté eu l’autorisation d’être assise juste à côté de son avocat, Laurent Epailly. Elle était donc sur le promontoire, surélevée par rapport à l’accusé, R.Schembri, que nous (les trois de l’AVFT) avions en face de nous, à la même hauteur, à 1m50 de distance.

Nous avons ainsi passé trois jours à lui faire baisser les yeux haineux qu’il portait sur Colette. La plupart du temps, les femmes victimes de violences sont seules face à l’agresseur, à affronter sa toute puissance d’homme violent qui tente encore d’intimider celle qu’il a réduite à un punching ball durant toutes les années de vie commune.

Nous faisions bloc, nous étions solidaires. Il était seul, son avocat derrière lui. Par cette seule disposition, Colette avait repris du pouvoir.

Les autres « personnages » de la scène sont le président de la Cour d’assises et ses deux assesseurs autour desquels sont disposés les six jurés. A droite, du même côté que la partie civile, se trouve le ministère public qui était incarné par une femme, Martine ASSONION. Devant la Cour d’assises, elle prend le nom d’avocate générale. Elle a été remarquable, ce dont ne peuvent se vanter tous ses collègues à la même place.

Il y a également le public, qui était là essentiellement composé de journalistes et d’élèves en école de journalisme. Deux femmes soutenues par l’AVFT dans leurs procédures avaient fait le déplacement, l’une de Marseille, l’autre de Montpellier. Clémentine Pirlot, qui était en service civique à l’AVFT, nous a accompagnées depuis Paris : elle a filmé tous nos échanges à l’extérieur de la salle d’audience. Merci à elles.

Mais sans le défilé des témoins à la barre, point de Cour d’assises. En effet, ce qui est particulier à cette audience criminelle, c’est que les jurés, seuls juges à la fin du procès (qui peut parfois durer plusieurs semaines) de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé, n’ont pas accès aux procès-verbaux de l’enquête, aux pièces, constatations, témoignages écrits recueillis au cours de l’instruction. Il faut en quelque sorte jouer l’enquête devant eux. Toutes les personnes qui ont été auditionnées ou qui ont expertisé la victime et l’agresseur pendant 2, 3, 4 années d’instruction, doivent donc (re)faire leur témoignage ou faire part de leurs constatations à la barre.

Nous avons donc entendu les un.es après les autres, un florilège de personnes, notamment d’expert.es judiciaires, psychologues, psychiatres, médecins, gynécologues, policiers en charge de l’enquête.

Le président, qui lui a accès à toute la procédure écrite, mène les débats, assure la police de l’audience, décide des ordres de passage des témoins, leur pose des questions pour éclairer les jurés, interroge quand il veut l’accusé au milieu, avant ou après les témoignages, questionne la partie civile à tout moment ou encore peut lire une pièce de la procédure à haute voix, sans jamais que les jurés ne puissent en prendre connaissance d’eux-mêmes. Sa manière de présider et de mener l’audience, sa personnalité, influence énormément la tonalité des débats et varie donc d’une session d’assises à l’autre.

Après ce bref décorum de la cour d’assises, je retranscrirai de manière non-exhaustive(1), ce que j’ai entendu pendant trois jours, dans l’ordre des débats. Il y a eu de tout, du bon comme du très violent, il y a les mots, les expressions, les impensés, les non-dits, l’horreur du patriarcat ; il y a aussi la justesse, les mots importants, la colère légitime et le féminisme qui couve.

Je ne raconterai pas tous les à côtés du procès, nos déjeuners, nos apéros, nos soirées, nos dîners, nos nuits parfois agitées ; les longs débats, les colères, les joies, les doutes, les malaises, les crises de larmes et les fous rires qui nous ont animés si intensément ces quelques jours.

La suite, ici, illustrée par les dessins réalisés par Sophie Péchaud pendant le procès.

Laure Ignace, juriste – chargée de mission

Notes

1. Les citations procèdent d’un tri que j’ai effectué à partir d’une prise de notes qui ne peut retracer au mot près toutes les phrases dites au cours de ces 3 jours. Ne sont retranscrites que les phrases les plus significatives et les plus importantes de mon point de vue.

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