Condamnation pour harcèlement sexuel de la société Transplumes par le Conseil de Prud’hommes de Brive-la-Gaillarde

En août 2009, Mme V., assistante commerciale au sein de la SARL TRANSPLUMES, informe l’AVFT des violences sexuelles dont elle est victime au travail. Sur les conseils et avec le soutien de l’association, elle les dénonce à la hiérarchie et entreprend immédiatement les démarches nécessaires afin de sauvegarder ses droits.

Mme V. dénonce les faits suivants :
Embauchée en mars 2007, elle est victime à partir de juillet 2009 de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles commis par son supérieur hiérarchique, M. C.

Elle est licenciée le 9 décembre 2009 pour inaptitude définitive à tout poste dans l’entreprise constatée par le médecin du travail, en raison de graves conséquences de ces agressions sur sa santé.

Le harcèlement sexuel prend au départ la forme de regards insistants, d’avances sexuelles puis s’accompagne rapidement d’agressions sexuelles caractérisées.

Le 3 juillet 2009, M. C. lui dit : «Vous voulez que je vous dise mon problème? Mon problème c’est vous. Si je viens vous voir souvent, je vais craquer.»

Profitant un autre jour d’une pause-café avec Mme V., il se lève soudain et lui lance: «Vous allez peut-être détester ce que je vais vous faire» puis s’approchant d’elle, il s’agenouille et l’embrasse sur la cuisse gauche. Alors que Mme V., sous le choc, se dirige vers la sortie, il lui met par surprise une main aux fesses.

Le lendemain, Mme V. procédera à une mise au point avec M. C. pour marquer clairement son désaccord avec ses agissements et lui interdire de les réitérer.

Mais à l’occasion d’une séance de travail avec Mme V. le 12 août 2009, il l’agresse sexuellement : il l’interrompt en lui lançant : «Bon! On passe à autre chose», puis joignant le geste à la parole, il enfonce soudainement ses deux mains dans le soutien-gorge de Mme V. et lui « tripote » les seins.

Mme V. le repousse énergiquement, s’indigne et menace de démissionner : « Vous voulez que je démissionne, je ne pourrai plus travailler comme ça, en plus vous avez 58 ans, je pourrais être votre fille».

M. C. s’obstine et refuse de s’excuser : «Ça ne vous arrive jamais d’avoir des pulsions incontrôlables? Vous n’êtes pas ma fille et je ne suis pas votre père, c’est une histoire entre un homme et une femme».
Il poursuit: «Ne me demandez pas de m’excuser je ne le ferai pas, je suis persuadé qu’il ne faut jamais rien regretter dans la vie, et au contraire, j’aurais regretté, si je n’avais pas tenté le coup avec une si belle femme!»

Le 17 août, il change de stratégie et tente de déstabiliser Mme V. en lui tenant des propos incompréhensibles : «J’ai pensé à vous ce samedi et en fait vous n’êtes pas irréprochable; J’ai beaucoup bougé ce week-end et j’ai pris des renseignements sur vous; C’est grave ce que vous faites».

Mme V. est exaspérée, elle craque et quitte en pleurs son lieu de travail pour aller consulter son médecin traitant; Celui-ci lui prescrit un arrêt de travail pour syndrome dépressif réactionnel à un harcèlement physique et sexuel au travail lequel sera renouvelé jusqu’à son licenciement pour inaptitude le 9 décembre 2009.

Le 28 août 2009, elle dépose une plainte pour agressions sexuelles à l’encontre de M. C. classée sans suite après deux ans et demi d’enquête. Le procureur maintient sa décision, en dépit de l’intervention de l’AVFT pour contester ce classement.

Le 27 février 2013, elle saisit le Conseil de Prud’hommes de Brive-la-Gaillarde, afin d’obtenir la requalification de son licenciement pour inaptitude définitive à tout poste, en licenciement nul.

L’audience a lieu le 4 février 2014 et elle se déroule dans des conditions plutôt satisfaisantes; en effet, c’est le seul procès qui aura lieu dans l’après-midi. Le mari de Mme V., en soutien depuis le début de la procédure, est présent.

A l’appel du dossier, l’avocat de la société Transplumes soulève l’irrecevabilité de l’intervention volontaire de l’AVFT.

Il se montre véhément et argue que :
«Seul un syndicat peut agir en justice en faveur d’un salarié. L’AVFT non seulement n’a aucune forme syndicale, ne justifie pas d’un mandat donné par Mme V., mais encore ne se fonde sur aucun texte lui permettant de faire valoir une quelconque parole.»
«Le Conseil de prud’homme n’est pas une arène judiciaire ouverte à tous les vents pour que chaque association ayant quelque chose à défendre ou à représenter puisse y trouver tribune.»
Il demande en conséquence de condamner l’AVFT à verser à la société Transplumes une somme de 1500 euros !

Après avoir entendu les arguments de l’AVFT, représentée par Gisèle Amoussou, le Conseil suspend l’audience une demi-heure pour délibérer sur ce point. Il déclarera l’intervention volontaire de l’AVFT recevable.

Après la plaidoirie de l’avocat de Mme V et les observations présentées par l’AVFT, l’avocat de l’employeur s’emporte : «C’est intéressant de réécrire l’histoire, de la dérouler, et de la vendre à son médecin à ses amis; vous alléguez, vous montez une histoire, vous faites mousser et vous contactez tout le monde».

«Quelle est cette histoire? c’est inadmissible, c’est une invention. La réalité est que Mme V a imaginé un scénario afin de négocier chèrement son départ après que M. C. l’a surpris en train de consulter des sites de recrutement.»

«Mme V. doit établir des faits, c’est à dire les prouver, or elle ne prouve rien; un accent de sincérité ne vaut pas preuve et ce sont de tels comportements qui vont faire que le harcèlement sexuel se sera plus sanctionné.»

L’employeur soutient en outre que la dénonciation par Mme V. d’agressions sexuelles est incompatible avec le fait que les époux V. aient maintenu le contrat d’assistante maternelle de leur fils avec Mme C., l’épouse de l’agresseur.

Mme V. explique qu’elle a rompu, dans le respect des formes légales, ce contrat d’assistante maternelle dès sa dénonciation des faits. Le Conseil ordonne donc la production sous quinzaine des pièces en attestant, ce qu’elle a fait(1) .

Le 9 septembre 2014, le Conseil de prud’hommes condamne l’employeur pour harcèlement sexuel et déclare abusif le licenciement de Mme V.

Pour cela, il relève qu’elle décrit de manière précise, circonstanciée et constante les faits et que ceux ci sont corroborés par trois attestations. Par ailleurs, il juge comme étant pour le moins douteux le retournement d’un salarié de l’entreprise qui, dans un premier temps avait attesté du comportement déplacé de M. C., avant de se rétracter.

Il balaie ensuite la défense de l’employeur considérant :
«Qu’il ressort de ces témoignages, pour celui de M. R qu’il n’a rien vu, mais entendu dire.
Quant à celui de M. M., celui-ci rapporte que Mme V. indiquait « s’ennuyer entre 18h et 20h », ce qui en soi, ne relève pas d’une quelconque incitation à des actes répréhensible de nature sexuelle. Qu’il ressort que la description faite également par M. M. sur la tenue vestimentaire ne justifie pas non plus les agissements tels que décrits par Mme V.
Que la prétendue volonté de quitter l’entreprise soutenue par M. C. est attestée par un procès-verbal de constat d’huissier. Que cependant, ledit constat d’huissier ne met en valeur aucune consultation qui ne soit pas concomitante avec les faits de harcèlement sexuel dont se déclare victime Mme V. Qu’il n’y apparaît donc aucune recherche qui aurait été faite bien avant les faits incriminés et qui pourrait induire une volonté de quitter l’entreprise
Que le Conseil dit que Mme V. a bien été victime de harcèlement sexuel conformément aux dispositions de l’article L1153-1 du code du travail.
Qu’ainsi le licenciement dont elle a été victime ne repose sur aucun motif réel et sérieux. Que le Conseil dit ce licenciement abusif.
»

Le Conseil de prud’hommes de Brive-la-Gaillarde ne s’est pas laissé abuser par la défense truffée de stéréotypes de l’employeur. Il a fondé son jugement sur des éléments objectifs du dossier après avoir déconstruit tous les clichés énumérés par la société Transplumes.

En déclarant le licenciement sans cause réelle ni sérieuse et non «nul», le Conseil s’écarte du droit applicable sans toutefois que cela n’ait d’incidence sur la réparation du préjudice de Mme V. puisqu’il fait intégralement droit à ses demandes : il condamne l’employeur à lui verser une somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts tous préjudices confondus (là où son avocat demandait 20.000 euros à titre d’indemnités pour licenciement nul – équivalent à 18 mois de salaires – et 10.000 euros en réparation du préjudice moral).

L’employeur est également condamné à verser 3000 euros à l’AVFT, conformément à sa demande.

La société Transplumes a fait appel du jugement.

Gisèle AMOUSSOU
Juriste chargée de mission

Notes

1. Nous estimons cependant que le Conseil de prud’hommes n’aurait pas pu déduire du maintien du contrat d’assistante maternelle l’inexistence des violences sexuelles.

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