Le pot de terre contre le pot de fer. Quand une victime obtient « justice » face à son ancien avocat

Récemment, nous avons commis un crime de lèse-barreau en publiant l’interview d’une victime décrivant ses déconvenues avec ses avocat.es dans sa longue procédure pénale, qui semble avoir fait grincer quelques dents. Cela n’était pas prévu, mais notre actualité nous invite à récidiver…

Mme S., auprès de qui nous intervenons dans ses procédures sociales et pénales depuis presque deux ans, nous apprenait lundi 29 juin la condamnation de son ancien avocat, ancien bâtonnier, par la Cour d’appel de Nancy, au remboursement de l’intégralité des honoraires versés par sa cliente ainsi que le paiement de 300 euros au titre des frais de procédure.

Petit retour en arrière.

Depuis 2007, Mme S. travaille comme cuisinière dans un restaurant de Verdun.
Au premier trimestre 2013, elle est victime de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle commis par le beau-frère de son employeur. Elle dénonce très rapidement ces violences. Son employeur ne prend aucune mesure de protection et va, au contraire, exercer des représailles professionnelles. Lorsqu’elle saisit l’AVFT, fin août 2013, elle est en arrêt de travail depuis trois mois.

Nous la rencontrons quelques mois plus tard à Verdun et établissons ensemble une stratégie. L’AVFT s’engage à rédiger une plainte auprès du procureur de la République et à rechercher un avocat sur Verdun qui accepterait de s’occuper de la procédure prud’homale à venir.
Nous pensons rapidement à Me X., un avocat que nous avions rencontré quelques années plus tôt dans un colloque à Verdun sur « les violences sexistes au travail ». Nous étions intervenus à la même table ronde sur « la prise en charge des victimes ». Son discours avait alors été irréprochable.
Début avril 2014, nous le contactons donc par mail. Nous lui présentons rapidement le « dossier », l’informons du souhait de Mme S. d’engager une procédure prud’homale et lui expliquons que nous travaillons déjà de notre côté à la rédaction de la plainte au procureur. Nous lui demandons, pour finir, s’il accepte de recevoir Mme S. en rendez-vous, de la représenter et, le cas échéant, de nous renseigner sur ses honoraires.

Il nous répond dix jours plus tard et nous apprend qu’il accepte de rédiger la plainte (!) et, précise-t-il, si l’AVFT s’en occupe déjà (sic !), il accepte de la représenter devant le Tribunal. Aucun mot de la procédure prud’homale. Pour la fixation de ses honoraires, il nous indique «attendr de connaître exactement les termes de a mission».

Or ce même jour, il lui adresse un courrier dans lequel il lui propose de rédiger la plainte pénale (re sic !) et fixe ses honoraires.

Un hiatus loin d’être de très bon augure pour la suite. Et nous avions malheureusement raison…

En mai 2014, nous transmettons à Me X. – dans un souci de transparence, d’efficacité et avec l’accord de Mme S. – le projet finalisé de plainte au procureur (6 pages). Nous profitons de notre mail pour à nouveau tenter de savoir s’il accepte de s’occuper du volet social de cette procédure et d’obtenir des éclaircissements concernant ses honoraires.

Il ne nous répondra jamais.

Quelques jours plus tard, Mme S. reçoit de son avocat une note d’honoraires. En dépit de ses difficultés financières, elle s’en acquitte aussitôt.

Malgré l’envoi de cette facture,
Malgré son paiement immédiat,
Malgré les mois d’attente et de relance de Mme S.,
Malgré les engagements réitérés de Me X.,
Et alors que nous avions intégralement rédigé la plainte pénale,
il ne l’enverra jamais au procureur de la République.

Fin juillet 2014, très angoissée et fragilisée par ces mois d’attente, Mme S. envoie finalement elle-même la plainte rédigée par l’AVFT au procureur de la République et dessaisit son avocat. Dans ce courrier, elle lui rappelle ses manquements, son désaccord avec la stratégie choisie concernant l’articulation des procédures pénales et prud’homales. Elle lui demande, pour finir, de lui transmettre les pièces de son dossier et de lui faire part de ses intentions quant aux honoraires versés pour des diligences qu’il n’a à ce jour toujours pas accomplies.

Sans réponse à ce premier courrier, elle lui écrit à nouveau un mois plus tard. Elle ne recevra pas plus de réponse.

Dans le même temps, Mme S. tente de trouver un.e nouveau-elle avocat.e qui accepte de la représenter. En vain.
Elle y consacre plusieurs semaines, beaucoup d’efforts et d’énergie. Elle se rend à plusieurs rendez-vous avec des avocats :

L’un demande des honoraires qu’elle n’est, compte tenu de son récent licenciement, pas en mesure de payer.

Un autre représente déjà son ancien employeur.

Un troisième accepte de travailler à l’aide juridictionnelle mais ne veut pas se déplacer jusqu’à Verdun (situé pourtant à moins d’une heure du cabinet dudit avocat)…

Un autre encore ne veut tout simplement «pas passer derrière même s’il n’a rien fait depuis avril». Cet avocat-là la décourage même de trouver un avocat sur Verdun. Elle sort de son cabinet en pleurs.

Face à ces difficultés, nous pensons alors à une alternative. Puisque aucun avocat ne semble vouloir la représenter dans sa procédure prud’homale, pourquoi ne pas solliciter un défenseur syndical ?
Nous interrogeons alors Maddy Parmentier, militante syndicale à l’Union Locale de la CGT et membre de la Commission Femmes :
«(…) Comme tu le sais nous sommes (désespérément) à la recherche d’un-e avocat-e humain-e, pratiquant des honoraires raisonnables et compétent-e en matière prud’homale et pénale. S. va de RDV avocats en RDV avocats depuis quelques semaines sans résultat. C’est un véritable parcours de la combattante qui lui demande beaucoup d’énergie et la conduit de déception en déception.
Je désespère également de mon côté. Je me dis que l’ultime solution serait une avocate parisienne de notre réseau mais cela coûterait un bras à en frais de déplacement (transport, hébergement and co).
Pour l’instant, la procédure pénale ne nécessite pas l’intervention d’une-e avocat-e. La priorité est donc la procédure prud’homale. Et notamment la requête CPH. Je me demandais si votre conseiller CGT ne pouvait pas (exceptionnellement) la représenter pour sa procédure prud’homale ? J’avais bien noté qu’il était débordé et ne s’occupait plus des gros dossiers de harcèlement mais je ne vois malheureusement pas d’autres solutions. Nous pourrions peut-être travailler en binôme CGT/AVFT pour le soulager un peu (sachant que le dossier de est déjà très fourni).
Qu’en penses-tu ? La Commission Femmes ne pourrait-elle pas intervenir d’une manière ou d’une autre ? (…)
».

Maddy Parmentier et l’UL CGT de Verdun répondent présents.

Depuis, la CGT – représentée par Julien Hilaire – assiste Mme S. devant le Conseil de prud’hommes ; procédure qu’elle vient d’ailleurs récemment de gagner contre son ancien employeur !

En novembre 2014, toujours sans nouvelle de Me X., Mme S. est contrainte de saisir la Bâtonnière de la Meuse. Quelques mois plus tard, Mme S. reçoit une réponse lui demandant si «le problème a été réglé avec Me » !. Comme s’il avait pu se régler tout seul !

Fin janvier 2015, sur les conseils de Julien Hilaire, Mme S. saisit le Tribunal d’Instance de Verdun. Elle demande le remboursement des honoraires versés à Me X., la réparation du préjudice (lié au non-respect de ses engagements et aux conséquences sur les procédures engagées) estimé à 2500 ? et 500 ? au titre des frais de procédure.
L’AVFT, témoin et actrice du parcours de la combattante de Mme S., rédige une attestation.

Après quelques péripéties procédurales, la Cour d’appel de Nancy statue en faveur de Mme S. : Me X. devra rembourser l’intégralité des honoraires versés par son ancienne cliente et payer 300 ? au titre des frais de procédure.

Les femmes qui nous saisissent concentrent leur énergie et leurs moyens sur les procédures… pour lesquelles ont fait appel à un.e avocat.e. Devoir faire valoir leurs droits contre celles et ceux qui sont supposé.es les défendre est incompréhensible et décourageant.
C’est l’occasion de rappeler que ces abus de pouvoir-là peuvent et doivent aussi être sanctionnés.

LB

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