Le 5 novembre 2015, la Cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de la société C. pour harcèlement sexuel

L’AVFT était intervenante volontaire

Mme K. est embauchée en qualité de secrétaire, en septembre 2010, au sein de l’une des agences de la société C. – entreprise de serrurerie et d’installation de systèmes de télésurveillance – située dans l’Essonne. Âgée de 22 ans, c’est son premier CDI.

Le directeur de cette agence, M. A., va, durant plus de trois ans, tenir à son encontre des propos connotés sexuellement, l’inviter à dîner et lui toucher les cheveux, les épaules ou encore le cou. Il va également l’agresser sexuellement en lui touchant les cuisses, les seins et en tentant de l’embrasser sur la bouche.
Le 10 décembre 2013 en fin de journée, M. A. profite qu’ils soient seuls dans les bureaux de l’entreprise pour l’agresser à nouveau sexuellement. Cette agression, encore plus violente que les précédentes, peut être assimilée à une tentative de viol.

Le lendemain, Mme K. dénonce ces violences à ses collègues de travail et à son employeur. Elle découvre alors qu’elle n’est pas la seule victime. La plupart des autres salariées de l’agence ont également été victimes des propos connotés sexuellement du directeur. Certaines ont aussi été victimes d’attouchements sexuels et l’une d’entre elles de viols.
Mme K. porte plainte le jour suivant contre M. A.

Malgré ces dénonciations, aucune mesure de protection n’est mise en place par l’employeur. Un mois plus tard, sur nos conseils, Mme K. dénonce donc par écrit les violences sexuelles et demande à ce dernier d’intervenir afin de lui permettre de travailler dans un climat serein et sécurisé.
M. A. sera finalement mis à pied quinze jours plus tard. C’est également à cette période que le médecin du travail déclare toutes les salariées de l’agence inaptes temporairement pendant une semaine.

Quelques mois plus tard, le médecin du travail déclare à nouveau Mme K. inapte mais cette fois-ci « définitive et totale à tous postes dans l’entreprise pour raison de danger immédiat sur la santé en un seul examen ».
Elle est licenciée pour ce motif en juin 2014 et saisit rapidement le Conseil de prud’hommes d’Evry afin d’obtenir la nullité de son licenciement.

Le 28 janvier 2015, le tribunal correctionnel d’Evry déclare M. A. coupable de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles et retient la circonstance aggravante d’abus d’autorité conféré par ses fonctions. Il est condamné à quinze mois d’emprisonnement avec sursis.
Toutes les parties ont fait appel.

La procédure prud’homale se poursuit et par décision du 30 mars 2015, le Conseil de prud’hommes d’Evry déclare :
– que Mme K. a bien été victime d’un harcèlement sexuel ;
– que son licenciement pour inaptitude est nul et
– que son ancien employeur a manqué gravement à ses obligations de sécurité de résultat.
Il condamne la société C. à lui verser la somme de 5 000 €? à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié au harcèlement sexuel. Mais, « en son pouvoir discrétionnaire », il déboute Mme K. de toutes ses autres demandes indemnitaires.
Mme K. a bien évidemment fait appel de ce jugement.

L’AVFT, qui n’était pas partie intervenante volontaire en première instance, a décidé d’intervenir devant la Cour d’appel. C’est une première puisque nos interventions volontaires se font d’ordinaire dès le Conseil de prud’hommes.
Pourquoi avons-nous pris cette décision ?

Tout d’abord parce que les arguments de l’entreprise pour tenter de se dédouaner de ses responsabilités sont inacceptables. Elle affirmait en effet, aussi bien dans ses écritures qu’à l’audience – à laquelle nous avons assisté pour soutenir Mme K. -, ne pas « être tenue, en matière d’agression sexuelle sur le lieu de travail, s’agissant d’un délit pénal à une obligation de sécurité de résultat supérieure à celle qui n’est pas imposée, d’ailleurs, aux forces de l’ordre et au Ministère de l’Intérieur. » !

Ensuite parce que la décision rendue par le Conseil de prud’hommes d’Evry le 30 mars 2015 nous a révoltées.

Mais aussi parce que nous intervenons auprès d’une autre salariée victime des agissements de M. A.. Or, il semblerait qu’aucun changement ne soit intervenu dans cette entreprise, depuis le licenciement de Mme K., pour lutter contre le harcèlement sexuel.

Enfin parce que, tout en ne niant pas les violences sexuelles dont Mme K. a été victime sur son lieu de travail, la société C. demande à la Cour d’appel de limiter sa condamnation à l’euro symbolique !

Le 5 novembre 2015, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance. Elle reconnaît le harcèlement sexuel et la nullité du licenciement de Mme K.

L’arrêt est ainsi rédigé : « Force est de constater que l’inaptitude physique pour laquelle Mme K. a été licenciée est en lien direct avec le harcèlement , non remis en cause par l’employeur, dont elle a été victime (…).

Il importe de rappeler que selon l’article L.1153-5 du Code du travail, l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel.
Même s’il a pris les mesures propres à mettre fin au harcèlement sexuel dont Mme K. a été victime, à compter de la réception de la lettre recommandée que lui a adressé cette dernière le 14 janvier 2014, en procédant au licenciement de l’auteur des faits, il n’en demeure pas moins qu’il a failli à son obligation de sécurité de résultat à l’égard de celle-ci comme des autres salariées, en ne justifiant pas avoir mis en ?uvre les mesures propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement sexuel, et notamment avoir respecté les dispositions de l’alinéa 2 de l’article précité(1)., ce d’autant plus que le personnel est réparti dans différentes agences, éloignées du siège social pour la majorité.

La C. ne peut arguer de son ignorance des faits, la situation propre à cette agence témoignant d’une faille dans l’organisation de la prévention.
Il incombe à l’employeur de favoriser les moyens et outils (charte, désignation d’un référent…) lui permettant d’être informé dans les meilleurs délais de tout comportement susceptible de recevoir une telle qualification.

Dès lors Mme K. est fondée à se prévaloir de la nullité de son licenciement. ».

La Cour condamne la société C. à lui verser 19 500 ?€ d’indemnités pour ce motif, somme qui correspond à environ 7 mois de salaire alors que, rappelons-le, les premiers juges avaient refusé de faire droit à ses demandes indemnitaires en leur (prétendu) « pouvoir discrétionnaire ».

Le deuxième élément positif de cet arrêt porte sur l’intervention volontaire de l’AVFT.
La partie adverse – qui ne contestait pas la recevabilité de notre intervention volontaire – demandait en revanche à la Cour de rejeter nos demandes indemnitaires pour ne pas avoir été débattues devant le Conseil de prud’hommes.

La Cour statue ainsi : « L’AVFT (…) est recevable en son intervention dès lors qu’elle agit une cause conforme à son objet qui dépasse l’intérêt propre de Mme L. et concourt à prévenir de nouvelles violences » et nous alloue 1 000 €? de dommages et intérêts pour préjudice moral et 500 €? sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Un arrêt satisfaisant aussi bien pour Mme K. que pour les futures interventions volontaires en cause d’appel de l’AVFT !

Laetitia Bernard
Juriste – chargée de mission

Notes

1. Alinéa 2 de l’article L1153-5 du Code du travail : « Dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l’embauche, les personnes mentionnées à l’article L.1153-2 sont informées par tout moyen du texte de l’article 222-33 du code pénal. »

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