Enregistrements clandestins : la Cour d’appel de Paris rate le coche

L’homme : La seule chose qui viendrait entraver le professionnel ce sont les sentiments… Vous allez me trouver un peu lourd.

La femme : Vous savez très bien que je ne vous aime pas.

L’homme : Je sais je sais. Je le répète encore une fois. Ce que je veux c’est que nous ayons une aventure et rien d’autre. C’est une situation entre adultes (…) Je veux qu’il y ait un comportement d’adultes. L’homme semble tenir des propos en chuchotant, au sujet de la présence de sa femme au travail et que leur relation devra rester secrète.

L’homme : Oublie ma situation personnelle.

La femme : Oui que vous êtes marié. Je vous ai déjà dit que de l’amour, je n’en ai pas.

L’homme : L’amour vient peu a peu comme tout. Rapportons que les propos deviennent difficiles à entendre avec précision. Seules des portions de phrases sont entendues laissant penser que l’homme parle de sentiments et que la femme cherche à changer de sujet.

La femme : Je ne vous connais pas, je n’ai pas d’amour.

L’homme : on a passe l’âge du coup de foudre.

La femme : Oui peut être mais pour l’instant je n’en ai pas besoin.

L’homme : Je n’étais jamais sorti avec des gens avec qui je travaillais. Est-ce que c’est de ma faute si le courant passe entre nous ?

La femme : Mais je n’ai jamais rien fait.

L’homme : A mon âge, j’ai eu beaucoup de secrétaires et je n’ai jamais eu de relations avec elles. La femme semble vouloir changer de conversation.

La femme : Mais on travaille ensemble. Je vous ai déjà dit mes sentiments mais vous insistez quand même.

L’homme : Si on n’essaie pas on ne peut pas savoir. Il faut passer une nuit ensemble.

La femme : Je ne veux même pas y penser. Je vous l’ai dit plus d’une fois mais vous le voulez pas m’écouter.

Ce qui précède n’est pas un dialogue théâtral et ses didascalies, mais l’extrait d’un procès verbal de police retranscrivant un enregistrement clandestin réalise par Mme T., victime de harcèlement sexuel commis par son employeur.

Mme T. a subi de très nombreux « épisodes »de harcèlement sexuel comme celui-ci, mais aussi des attouchements sur les hanches, les épaules, le bas du dos, des mains dans les cheveux, des « baisers » sur le front, à compter du moment ou elle a entrepris de divorcer et que son employeur l’a su.

Mme T. l’a toujours éconduit, tantôt de manière relativement diplomatique, comme dans l’enregistrement précité, subordination hiérarchique oblige, tantôt en le menaçant de ne plus se taire s’il persévérait. Elle lui explique qu’elle n’est là que pour travailler, qu’il n’est pas son style, qu’il a l’âge d’être son père… Il lui répond : « je vous aurai, un jour vous serez mienne » ; Il la nargue : « C’est la mode, vous allez vous plaindre comme dans l’affaire DSK« .

Selon un scénario classique, plus elle le repousse, plus elle le paie professionnellement. De la secrétaire parfaite qu’elle était selon son supérieur hiérarchique, elle devient a ses yeux incapable, incompétente.

Au bout de neuf mois et plusieurs arrêts maladie, Mme T. qui est à bout, saisit le siège de son entreprise.

Selon un scénario éprouvé, elle est licenciée pour dénonciation calomnieuse et insubordination.

Elle porte plainte et fournit ses enregistrements clandestins aux enquêteurs. La procédure pénale ne peut persévérer en raison de l’abrogation du délit de harcèlement sexuel le 4 mai 2012 par le Conseil constitutionnel.

Reste alors la procédure contre l’employeur, devant le Conseil de prud’hommes, puis la Cour d’appel.

Comme devant le Conseil de prud’hommes, l’AVFT est intervenante volontaire, représentée par Marilyn Baldeck; Le Défenseur Des Droits présente des observations en soutien de la salariée.

L’avocate de Mme T, Me Maude Beckers, après avoir publié un article dans la semaine sociale Lamy sur « la licéité des enregistrements clandestins en matière de harcèlement sexuel », muscle ses conclusions et sa plaidoirie en développant notamment les raisons pour lesquelles ces enregistrements clandestins ne sont pas attentatoires à la vie privée du supérieur hiérarchique de Mme T et qu’en tout état de cause, ils sont strictement nécessaires à sa défense et que leur rejet serait attentatoire au droit a un procès équitable pour Mme T.

L’AVFT insistait sur le caractère « déloyal » d’une justice qui refuserait les preuves péremptoires d’une salariée victime de harcèlement sexuel n’ayant pas d’autre moyen d’établir ces agissements, et expliquait qu’un mode de preuve jugé « déloyal » devait tout de même être admis face à des agissements nécessairement déloyaux puisque profitant de la contrainte économique et de la subordination hiérarchique de la victime.

Quant au Défenseur Des Droits, il considérait que cet enregistrement n’était pas une « preuve » mais, conformément à l’aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination, un « fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement sexuel », devant donc déroger au principe de la prohibition des preuves déloyales en matière civile.

L’enjeu était de taille puisque il s’agissait d’aller a contre-courant d’une jurisprudence civile solidement ancrée, rejetant systématiquement les preuves déloyales.

Dans son arrêt du 21 septembre 2016, la Cour d’appel de Paris n’a pas brillé par son courage alors qu’elle avait le dossier parfait pour amorcer un salutaire revirement de jurisprudence ; Elle déclare irrecevables les enregistrements clandestins sans s’embarrasser d’une réflexion sur la protection de la vie privée, principe sur lequel l’irrecevabilité des enregistrements clandestins est généralement adossé : « (…) l’enregistrement (…) réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus, que la conversation relève ou non de la vie privée de la personne enregistrée, constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve. Il en est de même de toutes les déclinaisons d’un enregistrement réalisé dans ces conditions, telles que leur transcription par un agent de police judiciaire, un huissier de justice ou encore un témoin à qui on aurait fait entendre cet enregistrement« .

La Cour rejette les prétentions de Mme T au titre du harcèlement sexuel.

Cette décision est incompréhensible pour Mme T.

Le fait que son employeur l’ait harcelée sexuellement ne fait aucun doute. Et pourtant, la justice fait comme si de rien n’était.

Nous estimons que les autres éléments du dossier, pris dans leur ensemble, comme l’exige la Cour de cassation, constituaient par ailleurs un faisceau d’indices suffisant pour laisser présumer l’existence d’un harcèlement sexuel.

La Cour d’appel en a jugé autrement, et pour cause : elle a isolé chaque élément et a ignoré la règle de l’approche globalisante de la preuve en matière de harcèlement.

Mme T., éreintée par des années de procédure, n’a pas souhaité se pourvoir en cassation, d’autant que la Cour a tout de mémé déclaré son licenciement nul puisque prononcé en raison de la dénonciation de harcèlement sexuel par une salariée dont la mauvaise foi n’est pas établie et a condamné l’employeur à l’indemniser a hauteur de 16 mois de salaire.

La Cour d’appel de Paris a raté une occasion de faciliter la vie de salariées victimes de harcèlement sexuel.

Pour notre part, nous ne manquerons pas l’occasion de produire de nouveau ce type d’enregistrements jusqu’à l’obtention d’un revirement de jurisprudence.

Marilyn Baldeck

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