Cour d’appel d’Amiens, 08 avril 2015 : Mme G. essuie de nouveau la négation par les juges du caractère sexuel des violences dont elle a été victime. Pourtant, restituer aux faits leur exacte qualification n’est pas du féminisme mais du droit !

Nous avons déjà communiqué par deux fois sur les dédales procéduraux que Mme G., soutenue par l’AVFT depuis avril 2011, a affronté. Elle a atteint le bout du tunnel mais il a un goût amer.

Monsieur H. a été condamné le 8 avril 2015 par la Cour d’Appel d’Amiens, pour s’être livré, de 2007 à 2010 dans le cadre professionnel, envers Mme G. à « des agissements répétés , en particulier en lui passant la main sur les fesses, en lui faisant des pincettes, en la serrant très fort dans ses bras, en l’enveloppant dans un film plastique ou en lui portant des coups sans gravité, qui ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail, laquelle dégradation était susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, et d’altérer sa santé physique ou mentale et à même produit ces effets ». Pour un rappel des agissements dénoncés par Mme G. voir « Cour d’Appel de X, 9 mars 2012 » .

M. H. a (enfin) été condamné, d’aucuns pourraient s’en satisfaire mais vous avez lu accolés « en lui passant la main sur les fesses » et « harcèlement moral ». C’est bien là tout le problème.

Par ailleurs, les dommages et intérêts octroyés à la victime (4000? €) sont ridicules compte tenu des violences qu’elle a subies, de leur durée et des difficultés rencontrées dans son travail après les avoir dénoncées. En effet, affectée dans un autre service après son dépôt de plainte, Mme G. est régulièrement confrontée à l’agressivité de certaines collègues au courant de sa situation.

Rappel de la laborieuse et coûteuse procédure endurée par Mme G.

Renvoyé devant le Tribunal correctionnel d’Avesnes sur Helpe pour harcèlement moral par citation du Procureur, M. H. a d’abord été relaxé le 1er juin 2011, pour défaut d’élément intentionnel, au motif que « ses agissements étaient habituels et collectifs ». Le parquet ainsi que la victime interjetaient appel de la décision et, sur conseil de l’AVFT, Mme G. changeait d’avocate. Elle sera défendue par Maître Cittadini en cause d’appel.

Devant la Cour d’appel, Mme G. demandait la requalification des « mains aux fesses » visées à la prévention en agressions sexuelles, c’est à dire en ce qu’elles sont.

Par un arrêt du 13 avril 2012, la Cour d’appel de Douai confirmait la décision de relaxe du chef de harcèlement moral et répondait à la demande de requalification qu’elle ne pouvait y faire droit au motif que le délit d’agression sexuelle était plus gravement réprimé que celui de harcèlement moral et que M. H. n’avait pas accepté de comparaître volontairement pour ce chef d’accusation.

Sur les conseils de son avocate et de l’AVFT, Mme G. formait un pourvoi en cassation, qui serait quasi-assurément couronné de succès étant donné la méprise par la Cour des règles de procédure pénale en la matière.

Ce fut chose faite le 28 mai 2013. Conformément à sa jurisprudence, la Cour de cassation a cassé l’arrêt en rappelant aux juges leur obligation de requalification quand les conditions sont remplies, ce qui était le cas en l’espèce. (voir « Agressions sexuelles « déguisées » en harcèlement moral : la Cour de cassation rappelle que les juridictions ont le devoir de restituer aux faits leur exacte qualification»).

Sans surprise donc, la Cour de cassation demandait aux juges du fond d’appliquer le droit et l’affaire était renvoyée devant la Cour d’appel d’Amiens.

« Avant dire droit », l’avocate de Mme G. a réclamé une expertise psychiatrique de M. H., conformément à l’article 706-47-1 du Code de procédure pénale qui oblige les personnes poursuivies pour agression sexuelle, à être soumises avant tout jugement au fond à une expertise médicale(1).

Aucun obstacle procédural n’empêchait plus les juges de se prononcer sur la demande de requalification en agression sexuelle. Pourtant…

L’affranchissement par la Cour d’appel d’Amiens de son obligation de requalification juridique des faits.

Devant la Cour d’appel de renvoi, le procureur de la République, prenant acte de l’arrêt de la Cour de cassation, soutenait la demande de Mme G. en considérant que « la caresse pratiquée sur les fesses est un geste à caractère sexuel accompli par surprise et donc susceptible de revêtir la qualification d’agression sexuelle ».

La Cour d’appel infirme le jugement de relaxe et condamne M. H. pour harcèlement moral à 4 mois d’emprisonnement avec sursis en continuant de faire entrer les attouchements sur les fesses dans la qualification du harcèlement moral. Elle ne prononce pas un mot sur la demande de qualification en agression sexuelle !

En toute bonne foi, deux hypothèses peuvent être envisagées à la lecture de cet arrêt.

En tout bon droit, dans ces deux hypothèses l’arrêt rendu est scandaleux.

Le refus d’application du droit…

Soit la Cour d’appel d’Amiens a ignoré purement et simplement la demande de requalification de la partie civile et du parquet et par la même occasion a fait un pied de nez au recadrage de la Cour de cassation.

C’est inadmissible du point de vue des sommes engagées par la victime afin de faire valoir ses droits et reconnaître la totalité de ses préjudices, mais aussi de la durée de la procédure, l’obligeant à répéter à de nombreuses reprises ce qu’elle a vécu, à se replonger sans cesse dans ce récit éprouvant, participant à l’aggravation de son préjudice moral.

…traduisant la négation du caractère sexuel des agissements commis par M. H.

Soit la Cour aurait pu décider, et s’en expliquer, qu’au regard des circonstances, cette agression n’avait pas de caractère sexuel, qu’elle faisait partie d’un tout, d’agissements qui pris dans leur ensemble étaient constitutifs de harcèlement moral.

Comme elle n’en dit rien, on ne saura jamais avec certitude.

Mais nous pensons qu’elle a délibérément nié le caractère sexuel des violences subies par Mme G.

Notre hypothèse est d’autant plus flagrante que la Cour d’appel d’Amiens pour caractériser l’élément intentionnel du harcèlement moral, utilise une argumentation qui correspond parfaitement à ce qu’elle aurait du dire pour qualifier une agression sexuelle.

En effet, pour condamner M.H., elle dit : « M.H ne pouvait se méprendre sur l’absence de consentement de la victime et sur le caractère préjudiciable de ses actes(…) compte tenu de la nature de certains de ces agissements…».

Parler de consentement n’a rien à faire dans la caractérisation du délit de harcèlement moral ; évoquer la « nature de certains agissements » fait clairement référence au caractère sexuel des agissements.

Nous ne pouvons donc qu’être témoin de la réticence, pour ne pas dire de la résistance, des magistrats à reconnaître une agression sexuelle quand il y en a une, à appeler un.e chat.te un.e chat.te.

Par ailleurs, la condamnation du prévenu à payer à Mme G. 1500? € au titre des frais de procédure est sans commune mesure avec la bataille judiciaire qu’elle a du affronter, aussi coûteuse financièrement que moralement, emblématique de la difficulté pour les victimes à voir condamner des violences à caractère sexuel.

Ainsi au terme de cette procédure, c’est un peu plus de 9500? € qui ont été payés par Mme G. en frais d’avocats et de déplacements aux audiences. Actuellement elle n’est remboursée, au titre de la protection fonctionnelle, qu’à hauteur de 3500? €. Il nous reste à demander la prise en charge à son administration de la différence, demande dont l’issue est incertaine.

Suite à l’arrêt de la Cour d’Appel d’Amiens, M. H. a formé un pourvoi en cassation obligeant Mme G. à continuer la procédure dans des circonstances financières et morales très difficiles étant constamment dans l’angoisse de ne pas avoir la force ni le courage de tenir jusqu’au bout.

Elle nous écrivait alors : « J’imagine tous ces gens qui doivent l’admirer dans son beau costume et le flatter alors qu’il n’est rien de ce qu’il donne à voir. J’ai vu cette image et je me suis rappelée tous mes bleus, tous les non, les larmes, la souffrance, l’épuisement à se battre et à rester debout, ne jamais s’agenouiller ».

L’AVFT avait lancé un appel à soutien afin de l’aider dans le financement de cette procédure.

Finalement M. H. s’est désisté de son pourvoi et Mme G. a préféré s’arrêter là, elle était arrivée au bout de ses forces : « Il est vrai que j’ai renoncé au pourvoi au civil. Je voulais une condamnation pour agression sexuelle mais au pénal. Un bout de papier ne m’aurait rien apporté. J’ai pris le temps de la réflexion en tenant compte des avis de . Ce ne fut guère facile et cela l’est encore car pour moi, il s’en sort trop bien. Certes, il s’est bien rendu coupable de harcèlement moral pendant toutes ces années mais le caractère sexuel … et la condamnation… ».

Alors que Mme G. demandait 15.000 euros devant la Cour d’appel en réparation de son préjudice moral, c’est 4.000 euros que les juges lui ont octroyé, c’est-à-dire une somme ridicule très habituelle devant les tribunaux correctionnels, osant tout de même le motiver ainsi : « en réparation de l’important préjudice moral et psychologique occasionné par un harcèlement qui a duré de nombreux mois et a altéré de manière effective sa santé physique et mentale. »

En niant le caractère sexuel de l’agression dont a été victime Mme G., les magistrats l’ont privée de la faculté de saisir la CIVI afin d’obtenir une meilleure indemnisation(2).

La Cour d’appel d’Amiens, à l’instar des conclusions de l’expertise médicale du prévenu « reconnaît les faits, tend à les banaliser, les intégrant dans un contexte particulier ».

Mylène HADJI,
Juriste

Notes

1. Ce qu’a encore rappelé la Cour de cassation récemment dans un arrêt du 23 septembre 2015 (n°14-84842).

2. Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infraction. L’art. 706-3 du code de procédure pénale énumère de façon limitative les conditions d’accès à la CIVI pour les victimes. Il faut avoir subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction et qu’ils aient :

  • entraîné la mort ;
  • ou entraîné une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois ;
  • ou que ces faits soient constitutifs d’infractions limitativement énumérées (l’agression sexuelle est visée) dont sont exclus le harcèlement moral et sexuel.

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