Le 23 juin 2016, le Tribunal administratif de Strasbourg a enjoint la commune de Metz d’accorder à Mme H., victime des violences sexuelles commises par son supérieur hiérarchique, le bénéfice de la protection fonctionnelle

Le Tribunal a retenu que les viols, exercés pendant le congé longue maladie de Mme H., étaient en lien avec les fonctions de policier municipal et n’étaient pas détachables du service

Engagée deux ans plus tôt par Mme H., cette procédure devant le Tribunal administratif de Strasbourg aboutissait le 23 juin à l’obligation, pour la ville de Metz, d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle(1) à son agente.

Mme H. est policière municipale à Metz depuis mai 2007. Début 2010, elle intègre une nouvelle unité d’intervention et est placée sous l’autorité hiérarchique de M. F., responsable de cette unité. Policier municipal comme elle, de treize ans son aîné, elle le décrit comme un homme «sûr de lui» qui «en imposait, comme si rien ne pouvait lui être refusé». Or ce supérieur, qui l’impressionne, lui fait régulièrement part de son admiration, évoquant sa force de caractère et son côté «battante». Mme H. est, en effet, atteinte d’une maladie chronique avec laquelle elle «co-habite» depuis une dizaine d’année. Elle est ainsi soumise à un traitement médical important qui – lorsqu’il ne suffit plus – la contraint à subir des interventions chirurgicales. Agée d’une trentaine d’années, elle en a déjà une dizaine «à son actif» avec à chaque fois plusieurs jours d’hospitalisation et un traitement médical lourd.
M. F. se montre également protecteur avec elle. Il lui dit: «Si les collègues t’ennuient ; viens me le dire de suite, je ne les laisserai pas faire» et à l’adresse de leurs collègues de travail : «Ne l’embêtez pas», «La p’tiote est bien plus courageuse que certains réunis ici», «C’est ma p’tiote ça, je suis fier d’elle !». Gênée par ses propos, elle lui demande d’arrêter de parler de cette manière-là. Mais il continue et commence aussi à lui faire des clins d’?il, se moque de la taille de sa poitrine, la regarde avec insistance lorsqu’elle arrive et/ou quitte son service en tenue civile.

Entre mai 2010 et septembre 2011, Mme H. est placée en congé longue maladie en raison de sa maladie.
M. F. va alors profiter de sa particulière vulnérabilité et de l’absence de réel soutien familial pour s’immiscer progressivement dans sa vie et créer un climat de dépendance et d’emprise. Il commence à l’appeler plusieurs fois par semaine pour prendre de ses nouvelles.
Puis un jour de mai 2011, il s’impose chez elle pour la première fois : «Ecoute, je suis ton chef, tu es mon agent. Quand mes agents ne vont pas bien, c’est mon rôle d’être là pour eux. Je ne peux pas te laisser comme ça. Je viens chez toi et tu n’as pas le choix». Il l’agresse ce jour-là sexuellement, l’embrasse sur la bouche, l’enserre, lui dit qu’il sera toujours là et essaie de lui toucher la poitrine. Elle parvient à le repousser. Il prétendra alors ne pas l’avoir fait exprès (!).
Cet été-là, il est omniprésent : il l’appelle et/ou vient chez elle presque tous les jours. Il devient son seul référent. Il lui fait également plusieurs promesses, comme celle de s’occuper de ses problèmes de maintien de prime (ce qui représente pour Mme H. une perte importante de salaire) ; promesses qu’il ne tiendra pas. Et lorsqu’elle subit deux interventions chirurgicales successives, il est encore là et il en profite pour l’isoler encore un peu plus. Il lui répète notamment que personne n’est présent pour elle et qu’elle ne peut compter que sur lui.
En septembre 2011, il vient chez elle et lui impose une fellation. Lorsqu’elle nous relate ce viol, lors de notre première rencontre en mars 2014 (soit 2 ans et demi après le viol), elle est encore en état de choc. Elle nous confie également : «Pour moi, c’est le jour où il m’a tuée. Je n’existais plus, je n’étais plus rien. Je me suis sentie sale, pire qu’un morceau de viande, un objet.».
Le lendemain soir, il exerce de nouvelles violences : il l’embrasse dans le cou, sur la bouche et lui attrape les seins. Elle le repousse, lui dit qu’elle a mal, qu’elle veut qu’il la laisse tranquille. Il n’en tient absolument pas compte, lui bloque les bras avec l’une de ses mains et la viole.

Fin octobre 2011, Mme H. reprend son travail à mi-temps thérapeutique. Elle parvient à se défaire de l’emprise de M. F.. Commencent alors les représailles : il surveille son travail, les conversations qu’elle a avec ses collègues et lui impose des patrouilles conjointes au cours desquelles il essaie de lui faire peur en conduisant dangereusement et en l’emmenant dans des endroits isolés.

Fin janvier 2012, elle tente de mettre fin à ses jours. Son médecin traitant la fait hospitaliser en urgence. A sa sortie, il lui délivre un arrêt de travail d’un mois ; arrêt qui sera suivi d’un placement en maladie longue durée.

En février 2012, elle entame les premières démarches. Elle dépose une première main courante et dénonce les viols à Mme L., secrétaire de direction de la police municipale, et lui confie sa récente tentative de suicide. Cette dernière lui conseille alors fermement de porter plainte, expliquant qu’elle a besoin de la copie de sa plainte pour la transmettre à sa direction et qu’«il soit suspendu». Elle ajoute : «il d(o)it être puni, ne plus exercer» parce qu’«en plus il (es)t en contact avec des femmes». Elle l’assure, pour finir, de son soutien, affirme qu’elle n’est «plus seule maintenant».
Quelques jours plus tard, Mme H. porte plainte à la gendarmerie. Elle en transmet immédiatement une copie à Mme L. qui lui renouvelle son soutien. Cette dernière l’appelle pendant quelques mois pour connaître les avancées de l’enquête de gendarmerie. Assurée de son soutien, Mme H. s’en remet entièrement à elle et attend patiemment que son employeur revienne vers elle. Très patiemment.

En septembre 2013 – après plusieurs demandes -, elle parvient finalement à obtenir un entretien avec le Directeur des Ressources Humaines de Metz M. J.. Ce jour-là, elle le rencontre enfin après 2 heures et demi d’attente et une nouvelle tentative du DRH de reporter cet entretien. Il est 20h30. Il la reçoit en présence de l’adjointe au maire chargée de la gestion des Ressources Humaines. Elle dénonce les violences sexuelles et leur montre plusieurs preuves matérielles qui confortent sa parole. Confiante, elle repart de ce rendez-vous avec l’engagement du DRH de trouver une solution pour sa mutation. Ils lui affirment, par contre, ne rien pouvoir faire contre M. F. (Sic !).

Fin octobre 2013, elle saisit l’AVFT. Sur nos conseils, elle adresse fin janvier 2014 une demande de protection fonctionnelle à la ville de Metz. Elle demande notamment que soit diligentée une enquête administrative sérieuse et indépendante, qu’une sanction appropriée soit prononcée à l’encontre de M. F. et qu’elle soit affectée dans une autre Police Municipale. Elle demande également une compensation financière liée à ses arrêts maladie et la prise en charge des honoraires d’avocat et des frais de procédure.

En février 2014, elle apprend par son administration que :

  • le Comité médical départemental émet pour la première fois depuis deux ans :
    «un avis défavorable au renouvellement de (son) congé de longue durée et
    un avis favorable à (sa) réintégration à temps plein
    » ;
  • la ville de Metz décide de suivre cet avis ;
  • elle doit reprendre «une activité professionnelle au sein de la collectivité» sur un poste différent et dans un autre service que celui de la Police Municipale.

Mme H. leur rappelle alors qu’elle a été violée par son supérieur hiérarchique et qu’elle n’arrive même pas à venir à Metz seule par peur de le croiser. Par deux fois, elle les interpelle par écrit : «Comment pouvez-vous me demander de reprendre une activité professionnelle AUTRE que la mienne et SURTOUT dans la même ville de M. F., mon agresseur ?? Comment voulez-vous que je me sente en sécurité et que j’aille au travail sereinement car lui est libre de faire ce qu’il veut et d’aller où il le souhaite dans la ville de Metz ???».
Elle ne recevra aucune réponse à ses questions.

Le médecin du travail la déclare immédiatement inapte temporairement à la reprise du travail.

En avril 2014 – après trois relances de Mme H. -, la commune de Metz lui notifie son refus d’accorder la protection fonctionnelle au motif qu’«au terme de ces investigations, il apparaît qu’aucun comportement anormal ou fautif n’a été révélé de la part de Monsieur F. à votre encontre ou à l’encontre d’autres agents au sein du service de la Police Municipale. Aussi, et faute de lien avéré avec le service des faits survenus, selon vos dires, à votre domicile, la mise en ?uvre de la protection fonctionnelle à votre profit ne peut donc avoir lieu».

En juillet 2014, l’AVFT écrit au maire de Metz. Nous lui rappelons les violences dénoncées par Mme H., les dispositions légales en matière de harcèlement sexuel et mettons lumière les nombreux manquements de la commune. Rien n’y fait, le maire ne modifie pas sa position.

Nous conseillons alors à Mme H. de saisir le tribunal administratif pour faire annuler cette décision. Mais la recherche d’un.e avocat.e pour s’occuper de cette procédure s’avère infructueuse… L’AVFT rédige donc la requête initiale et les deux mémoires complémentaires de Mme H..

Le 23 juin, le tribunal administratif de Strasbourg – au terme d’une décision encore une fois remarquable (Voir là et ) – accordait à Mme H. le bénéfice de la protection fonctionnelle et condamnait la commune à verser à son agente 200 euros au titre des frais de justice :
«Considérant que Mme H. exerçait ses fonctions au sein de l’unité d’intervention de soirée au sein de la police municipale de Metz, sous l’autorité de M. F. ; qu’il ressort des pièces du dossier que celui-ci avait à son égard, et à l’égard d’autres agents féminins, un comportement déplacé à connotation sexuelle et ce, alors même que son comportement aurait été admis par les autres agents et serait présenté sur le ton de l’humour ; que son attitude inappropriée à l’égard de la requérante s’est renforcée alors qu’elle se trouvait, à compter du 25 mai 2010 et en raison d’une maladie chronique lourde, en arrêt maladie ; qu’ainsi que cela résulte d’un procès-verbal d’audition de M. F. du 2 juillet 2012, il indique s’être rendu chez elle le 23 mai 2011 en qualité de chef d’unité pour la soutenir alors qu’elle était très diminuée ; qu’une relation intime se serait nouée entre eux ; que toutefois, Mme H. soutient avoir été violée par M. F. le 13 septembre 2011, a déposé plainte pour ce motif et produit en ce sens l’extrait du journal de M. F., relatant cet événement, de même qu’un SMS, extrait du téléphone de Mme H. au cours de l’enquête préliminaire par les services de police, où il reconnaît ce qu’il qualifie de rapport forcé ; qu’elle a mis un terme à leur relation ; que Mme H. a repris ses fonctions dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique à compter du 26 octobre 2011 et a, à nouveau, été placée sous l’autorité de M. F. et a été amenée, au moins une fois, à effectuer une patrouille seule avec lui ; que celui-ci aurait toujours eu à son égard un comportement déplacé ayant pour objet de l’isoler et de l’impressionner ; qu’elle a tenté de se suicider le 26 janvier 2012 ; que Mme H. présente un faisceau d’indices suffisamment probants permettant d’établir, pour le moins, le harcèlement sexuel dont elle se disait victime de la part de son supérieur hiérarchique ;

Considérant que si l’administration indique que la demande de Mme H. est tardive, aucune disposition législative ou réglementaire n’impose aux fonctionnaires un délai pour demander la protection prévue par les dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; que la circonstance qu’une partie des faits dont se prévaut Mme H. ait eu lieu pendant une période de congé est sans incidence dès lors que les agissements dont elle a été victime de la part de son supérieur hiérarchique direct n’étaient pas sans lien avec les fonctions ; que si les faits de viols alléguées peuvent être regardés, en raison de leur extrême gravité, comme une faute personnelle, ils s’inscrivent dans un contexte général de harcèlement de la part d’un supérieur hiérarchique sur une de ses subordonnées et ne sont pas détachables du service ; qu’enfin si l’enquête interne effectuée par un inspecteur général des services ne conclut pas à l’existence d’un comportement révélant des faits de harcèlement sexuel de la part de M. F., cette enquête a exclut, à tort, tous les évènements ayant eu lieu pendant les congés maladie de Mme H. ; que cette enquête confirme l’existence d’un climat à connotation sexuelle entretenu par M. F. même si, à tort, l’inspecteur tempère la gravité de cette ambiance par l’accord supposé des autres agents ; qu’ainsi Mme H. était fondée à demander le bénéfice de la protection fonctionnelle pour les faits de harcèlement sexuel dont elle a été victime de la part de son supérieur hiérarchique ; qu’il y a lieu d’annuler la décision du 8 avril 2014 lui refusant le bénéfice de ce dispositif».

Le combat de Mme H. se poursuit aujourd’hui sur le terrain pénal puisqu’une instruction est ouverte ; procédure dans laquelle l’AVFT se constituera partie civile.
Sur le terrain professionnel, Mme H. continue également de se battre puisqu’elle est, quatre ans et demi après la délivrance de son premier arrêt, toujours en arrêt. M. F. est, semble-t-il, toujours policier municipal à Metz et n’a jamais été sanctionné.

Laetitia Bernard
Juriste, chargée de mission

Notes

1. Article 11 de la loi du 13 juillet 1983 dispose : « Les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le codes pénales et les lois spéciales. / (…) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (…) ».

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