Dénonciation calomnieuse : Après 6 ans d’application, une réforme qui a encore du mal à rentrer chez certains juges

Le 2 novembre 2016, le tribunal correctionnel de Montpellier a condamné Mme SB du chef de dénonciation calomnieuse, sur la base d’un « raisonnement » qui a déjà valu à l’État Français une condamnation de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et en violation du principe d’application in mitius de la loi pénale.

«Le message que je reçois, c’est qu’il vaut mieux passer à la casserole plutôt que de se plaindre » ; Telle aura été la réaction de Mme SB, abasourdie par la décision du Tribunal correctionnel qui la condamne pour dénonciation calomnieuse, elle qui avait saisi la justice pour qu’elle reconnaisse les appels téléphoniques malveillants, le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles commises à son encontre par son supérieur hiérarchique.

Mme SB a par ailleurs beau lire et relire le jugement, elle ne comprend pas sur la base de quels éléments ni comment le Tribunal s’est déterminé pour décider qu’elle avait menti.

Et pour cause, le Tribunal correctionnel de Montpellier fait application d’un raisonnement – c’est un bien grand mot – juridique déjà jugé contraire au droit à un procès équitable et au principe de présomption d’innocence par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui a valu à l’État français d’être condamné le 30 juin 2011.

Cette décision est d’ailleurs intervenue trois semaines après que la Cour d’appel de Paris, en formation de réexamen après ladite condamnation de l’État français par la CEDH, a relaxé Mme K. du chef de dénonciation calomnieuse et a condamné l’État à l’indemniser.

Une demi-page de « motivation » illégale

Le Tribunal correctionnel de Montpellier nous fait donc revivre une période sombre et que nous pensions lointaine du droit des femmes à dénoncer les violences sexuelles dont elles sont victimes, en faisant purement et simplement découler de l’arrêt de relaxe de DB des chefs d’agression sexuelle et d’appels téléphoniques malveillants la culpabilité de Mme SB du chef de dénonciation calomnieuse :

«  faisait valoir qu’à la suite d’une plainte de Mme SB, une procédure pénale avait été diligentée à son encontre qui avait abouti à un arrêt définitif de relaxe de la Cour d’appel de Montpellier par arrêt en date du 15 septembre 2014.

Il résulte des termes de l’article 226-10 que « la fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision devenue définitive…de relaxe… »

En l’espèce la dénonciation des faits par Mme SB aurait, s’ils avaient été avérés, entrainait (orthographe d’origine) une sanction pénale puisqu’une procédure avait été diligentée à la suite de sa plainte et des poursuites engagées ;

Qu’il est établi que ces faits sont faux et qu’elle avait nécessairement conscience lors du dépôt de plainte du caractère faux compte tenu de la nature très intime des faits reprochés, dès lors qu’une relaxe est intervenue.

Que dès lors Mme SB sera déclarée coupable des faits de la prévention ».

L’avantage d’un tel raisonnement pour des juges est son extrême simplicité. Nul besoin de réfléchir, de confronter des arguments, de nuancer, de perdre un temps précieux en rédaction de jugement… Pourquoi s’embêter alors qu’il suffit d’appliquer l’équivalence : relaxe du prévenu = dénonciation calomnieuse de la partie civile ? Facile.

Le problème, c’est que cette motivation repose sur l’application de l’ancien article 226-10 du Code pénal sur la dénonciation calomnieuse et sur une affirmation… calomnieuse des juges.

L’application d’un article de loi qui n’est plus applicable

Le tribunal correctionnel de Montpellier cite l’article qu’il va appliquer : « la fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision devenue définitive… de relaxe… ». Mais «oublie » la fin de l’article, ce qui est dommage, puisque tout le sens de cet article repose sur la fin de la phrase.

On comprend alors que le tribunal applique l’ancien délit de dénonciation calomnieuse, qui disposait que « La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que la réalité du fait n’est pas établie (…) ». Alors que le texte en vigueur(1) dispose : « La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n’a pas été commis (…)».

Ce qui fait toute la différence, puisque la décision de relaxe de DB n’affirme en aucun cas que les « faits dénoncés » par Mme SB n’ont pas été « commis ». La relaxe est fondée, comme c’est presque toujours le cas, sur une insuffisance de charges, laquelle veut simplement dire ce qu’elle veut dire : la justice estime qu’elle n’a pas assez d’éléments pour prononcer une condamnation, mais de là à considérer que les faits dénoncés n’ont pas existé, c’est un pas qu’il n’est pas possible de franchir. Pour reprendre la formule limpide de l’arrêt CEDH Mme K c/ France : « De telles décisions signifient que les faits dénoncés ne sont pas nécessairement vrais mais l’on ne saurait en déduire qu’ils sont nécessairement faux ».

C’est en cela que l’affirmation du tribunal, selon lequel l’arrêt de relaxe a établi que les faits étaient « faux » est, disons-le, calomnieuse.

Le seul moyen pour le tribunal correctionnel de Montpellier de se défendre contre cette accusation serait de plaider sa bonne foi. Mais comment le pourrait-il ? En disant qu’il n’a pas lu l’arrêt de relaxe de DB ? Cela ferait tout de même mauvais genre, puisque c’est cet arrêt qui a déclenché la plainte pour dénonciation calomnieuse.

Autre problème : cette histoire de « nature très intime des faits reprochés », qui aurait pour conséquence que Mme SB ne pouvait en ignorer la fausseté. Autre équation inepte bien connue de l’AVFT : dénonciation de faits faux + faits « intimes » ou commis sur soi-même = culpabilité automatique.

C’est exactement du fait de cette équation douteuse que la CEDH a condamné la France : « La requérante se trouvait ainsi confrontée à une double présomption qui réduisait de manière significative les droits garantis par l’article 6 de la Convention, le tribunal ne pouvant peser les diverses données en sa possession et devant recourir automatiquement aux présomptions légales posées par l’article 226-10 du code pénal ».

Une justice sourde

Sourde, parce que ce n’est pas faute pour Me Epailly, avocat de Mme SB, d’avoir attiré l’attention du tribunal sur le fait que la citation directe de DB était fondée sur un article de loi qui n’avait plus cours, par voie de conclusions et lors de sa plaidoirie. Ce n’était pas faute pour le Tribunal d’avoir été parfaitement informé que Mme SB devait être jugée sur le nouveau délit de dénonciation calomnieuse issu de la loi du 9 juillet 2010, et qu’il avait dès lors l’obligation d’évaluer « la pertinence des accusations » de Mme SB.

Comment interpréter cette résistance à l’évolution législative de la loi du 9 juillet 2010 en matière de dénonciation calomnieuse ? Comment comprendre qu’une condamnation de la France par la CEDH soit balayée d’un revers de manche ? S’agit-il d’une soumission aveugle à une vision totalitaire de l’autorité de la chose jugée ? de… paresse intellectuelle ? En tout état de cause, de quoi suspecter l’institution judiciaire de ne pas vouloir encourager les plaintes de femmes victimes de violences.

Une justice sourde, jusque dans son refus d’entendre Mme SB à la barre lors du procès, au mépris des droits de la défense : « Madame, nous n’avons aucune question à vous poser ». Le tribunal ne s’est donc même pas donné la peine de comprendre, l’affaire était pliée, Monsieur avait été relaxé, Madame allait être condamnée.

Une justice versatile

Versatile, parce que ce même Tribunal correctionnel de Montpellier qui a condamné Mme SB pour dénonciation calomnieuse, avait condamné DB pour agression sexuelle et appels téléphoniques malveillants à l’encontre de Mme SB, avant que ce jugement ne soit réformé par la Cour d’appel.

Pourtant, ce sont exactement les mêmes dossiers qui ont été soumis à l’appréciation des juges.

Une dispense de peine, mais pas de colère  

Tout en condamnant Mme SB, le tribunal la dispense de peine (mais pas d’indemniser DB), au visa de l’article 132-59 du Code pénal qui dispose : « La dispense de peine peut être accordée lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé ».

Un genre de « compensation » par rapport à une condamnation mal fondée ?

Si le tribunal avait parié, en décidant d’une dispense de peine, sur le renoncement de Mme SB à faire appel, pari perdu.

La Cour d’appel de Montpellier devra donc… appliquer la loi.

Marilyn Baldeck
Déléguée générale

Notes

1. En vigueur, puisque la Cour de cassation a dès septembre 2010 rappelé que la loi « plus douce » s’appliquait rétroactivement.

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