Le 30 septembre 2016, Mmes B. et Ba ont été déboutées de leur demande au titre du harcèlement sexuel dirigée contre la société PROTECTIM : la Cour d’appel de Douai résiste à l’application du régime de preuve en matière de harcèlement sexuel.

Le 7 juin 2013, Mme Ba saisissait l’AVFT du harcèlement sexuel qu’elle venait de subir de la part de M. M., responsable de l’agence Protectim de Lille ainsi que les représailles qu’il avait exercées sur elle suite à son refus de subir plus longtemps ce harcèlement, représailles qui ont conduit à la rupture de sa période d’essai.

Elle avait enquêté elle-même pour retrouver la trace d’autres victimes : elle avait appelé l’ex-employeur de M. M. et ce dernier lui avait transmis la plainte pénale pour harcèlement sexuel déposée par une ancienne salariée, Mme V., contre le même homme mais aussi la procédure qui avait conduit au licenciement du harceleur pour « injures et menaces » sur son supérieur hiérarchique de l’époque.

Suite à la plainte de Mme V., le parquet de Lille avait convoqué le harceleur devant le délégué du Procureur(1). Forte de ces éléments accablants, Mme Ba s’était rendue au commissariat central de Lille pour déposer une plainte.

Cinq mois plus tard, le 7 novembre 2013, Mme B. dans une très grande détresse, saisissait l’AVFT du harcèlement sexuel, des viols puis des représailles professionnelles commis par le même homme. Elle avait remplacé Mme Ba sur le poste duquel elle avait été évincée !

Elle déposait plainte à son tour au commissariat de Lille et savait que Mme Ba s’était plainte de harcèlement sexuel puisqu’elle avait du rédiger sous la pression une attestation pour le compte de Protectim indiquant qu’elle-même n’avait aucun problème à son poste… L’employeur en avait besoin pour se défendre car Mme Ba avait saisi le Conseil de prud’hommes de Lille en août 2013 afin de voir reconnaître le harcèlement sexuel et faire requalifier la rupture de sa période d’essai en licenciement abusif.

Mme B. se mettait en contact dans la foulée avec Mme Ba et saisissait le même avocat, qui déposait pour Mme B. une requête devant le Conseil de prud’hommes de Lille en résiliation judiciaire de son contrat de travail, reconnaissance et réparation du harcèlement sexuel.

Le 28 janvier 2014, Laure Ignace et Gisèle Amoussou rencontraient ces deux femmes dans les locaux de la délégation régionale aux droits des femmes de Lille, lors d’entretiens qui ont duré plus de trois heures chacun.

Elles ont réitéré avec force et constance les violences sexuelles commises à leur encontre par leur supérieur hiérarchique au sein de Protectim et l’absence totale de mesures prise par l’employeur pour les prévenir, y mettre fin, les sanctionner et protéger ses salariées.

Nous faisions parvenir une lettre à la société Protectim Security Services le 20 février mettant l’entreprise face à ses graves manquements :

  • Alors que Mme Ba avait informé la direction de l’entreprise fin mai 2013 des raisons pour lesquelles M. M. avait en réalité mis fin à sa période d’essai, c’est-à-dire après qu’elle avait refusé ses avances, l’employeur ne diligentait aucune enquête et ne revenait pas sur la décision du harceleur ;
  • Alors que l’employeur était informé de cette dénonciation, il laissait le mis en cause gérer le recrutement de la salariée qui allait remplacer Mme Ba. Il a ainsi choisi une jeune femme dont il s’était assuré dès l’entretien d’embauche qu’elle était particulièrement dépendante à son emploi, puisque célibataire avec un enfant à charge et au chômage depuis sept mois ;
  • L’employeur ne s’est à aucun moment enquit auprès de Mme B. de savoir si elle n’était pas à son tour victime de harcèlement sexuel durant sa période d’essai ;
  • Lorsqu’en décembre 2013, Mme B. a dénoncé sur nos conseils à son employeur le harcèlement sexuel et les viols commis par M. M., la direction de Protectim lui a répondu avoir diligenté une « enquête » concluant en toute mauvaise foi : « nous n’avons recueilli aucun témoignage en ce sens (…) nous avons décidé de conserver M. M. dans nos effectifs » !
  • Protectim proposait comme solution à Mme B. une mutation à Paris, mutation qui doit s’analyser comme une discrimination sanctionnée par le Code du travail.

L’AVFT concluait sa lettre en indiquant à l’entreprise Protectim : « Ainsi, le droit de cuissage a-t-il encore le droit de cité dans certaines entreprises ».

Mais pourquoi en irait-il autrement alors que la justice française fait preuve de la plus totale complaisance ?

Le classement sans suite des procédures pénales engagées par Mmes Ba et B.

La plainte déposée par Mme Ba le 5 juin 2013 était classée au cours de l’été par le parquet de Lille alors que M. M. avait déjà fait l’objet d’une convocation devant le délégué du procureur pour le harcèlement sexuel qu’il avait exercé sur Mme V., son ancienne subordonnée quatre ans auparavant dans une autre entreprise.
La plainte pour viol et harcèlement sexuel déposée par Mme B. le 10 décembre 2013 était également classée sans suite le 4 février 2014.

Ainsi l’addition des plaintes n’a-t-elle visiblement qu’un effet : les annuler entre elles, alors que la mise en cause, par plusieurs femmes, à plus forte raison si elles ne se connaissent pas, d’un même individu pour des agissements de même nature, constitue généralement (et heureusement) un faisceau d’indices concordants suffisamment solide pour justifier des poursuites ou à tout le moins l’ouverture d’une information judiciaire.

A la réception de la copie de son dossier pénal, Mme B. découvrait l’existence d’une 4ème victime de M. M. dans sa précédente entreprise, grâce à l’audition du DRH de l’époque qui la mentionnait. Cette dernière n’avait pas été auditionnée par les services d’enquête.
Sans compter les témoignages de femmes travaillant dans le centre commercial Euralille où est située l’agence, qui décrivent M. M. comme « un coureur de jupons » expression dont nous savons qu’elle peut euphémiser et dissimuler l’existence d’autres victimes, voire d’autres plaintes restées sans effet.

Rien ne sert plus de s’étonner du faible taux de plaintes déposées par les femmes en matière de violences sexuelles. Le message que l’institution judiciaire leur adresse est relativement clair : l’impunité des agresseurs sexuels est assurée.

La décision rendue par le Conseil de prud’hommes de Lille

Constatant le peu de diligences du premier avocat des deux salariées, nous les avons orientées vers Maître Maude Beckers pour la poursuite du litige prud’homal.
L’audience s’est tenue devant le Conseil de prud’hommes pour les deux salariées le 20 novembre 2014. L’AVFT était représentée par Laure Ignace. Nous avons alors fait la connaissance de l’avocate de la société Protectim, extrêmement agressive à notre égard, ce qui n’a pas adouci une situation particulièrement grave. En effet, l’entreprise n’a rien trouvé de mieux que de venir au CPH avec l’agresseur, entraînant une crise d’angoisse et de larmes chez Mme B.
Me Beckers a du exiger qu’il sorte de la salle en début d’audience pour rétablir un semblant de sérénité.

L’audience a été tendue, avec une avocate adverse ne cessant de nous couper ou de faire des commentaires pendant nos plaidoiries…
Elle a essentiellement plaidé que cette « affaire » n’avait rien à faire devant des conseillers prud’homaux, que c’était à la justice pénale d’en juger et que si le procureur avait classé sans suite, c’est qu’il n’y avait pas de preuves…Bref, une défense bien connue.

Nous avions de notre côté deux dossiers en béton armé avec pour Mme Ba, un récit constant, des démarches cohérentes (saisine de l’employeur, de l’inspection du travail, dépôt de plainte, saisine de l’AVFT, enquête réalisée auprès de l’ancien employeur de l’agresseur) les attestations de ses proches faisant état de ses confidences et de la dégradation de son état de santé, un certificat médical pour syndrome dépressif consécutif aux agissements, outre l’existence d’autres victimes décrivant des stratégies et comportements similaires.

Du côté de Mme B., nous présentions les mêmes éléments, notamment des attestations de témoins indirects très circonstanciés mais également un dossier médical lourd décrivant un stress post-traumatique grave, un signalement pour « agressions sexuelles aggravées » envoyé au parquet par l’inspection du travail après enquête contradictoire, des échanges de SMS où Mme B. confie à une amie concomitamment aux violences, ce que l’agresseur lui fait endurer, ainsi que l’enquête très sérieuse de la CPAM suite à sa demande de reconnaissance en maladie professionnelle.
Cette dernière enquête permettait de démontrer que M. M. s’était contredit et avait clairement menti à l’enquêtrice sur certains faits dénoncés par Mme B. Elle permettait en tout point de corroborer la dénonciation de la salariée.

Le Conseil de prud’hommes déboutait les deux salariées sur le harcèlement sexuel en rendant une décision identique dans les deux dossiers : « Même si les éléments versés aux débats soulèvent effectivement la problématique d’un harcèlement sexuel de la part de Monsieur M., il apparaît que lesdits éléments sont toujours soutenus selon les dires de (…) qui ne peut prévaloir d’une présomption de harcèlement sexuel tel que définit par les articles L 1153-1 et 2 du code du travail et du contrôle du juge visé à l’article L 1154-1 du même code ».

C’était d’une part parfaitement faux mais surtout, il a fallu pour cela au Conseil de prud’hommes écarter purement et simplement les pièces les plus significatives de leurs dossiers, notamment les plaintes des autres victimes.

Le Conseil ajoutait, dans les deux décisions : « les éléments apportés par la salariée doivent être regardés au travers de la distance entre le lieu effectif de travail et celui où les décisions concernant le contrat de travail s’établissent » motif totalement…singulier !

Dans le cas de Mme B. le Conseil motivait en outre sa décision en disant : « sur les allégations concernant particulièrement M. M., le Conseil dit et juge qu’il n’a pas à se substituer à la juridiction compétente pour vérifier et statuer si effectivement ce dernier aurait effectué des actes de harcèlement sexuel à l’endroit de Mme B. », suggérant donc que seule la juridiction pénale pouvait en décider. Le Conseil de prud’hommes de Lille procédait ainsi à une omission de statuer et à un déni de justice, les juridictions sociales devant apprécier les faits de harcèlement sexuel qui leur sont soumis indépendamment de la juridiction pénale, sur le fondement des dispositions édictées par le Code du travail en la matière.

Mais cette décision était encore plus saugrenue car les conseillers prononçait tout de même la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme B. aux motifs qu’ « il est patent que l’employeur a eu connaissance des faits relatés par Mme B. en date du 10 décembre 2013 ; qu’il avait eu à connaître de faits ressemblant de la part de Mme B. ; il savait que M. M. avait été inquiété par la justice sur des faits similaires ; (…) l’employeur ne fait qu’affirmer avoir effectué une enquête interne sans en apporter la moindre preuve ; au surplus le fait de proposer une mutation sur Paris à Mme B. constitue une modification essentielle de son contrat de travail qui ne se justifie pas et ne répond pas à son obligation de prévenir des faits de harcèlement (…) ».

Le Conseil retenait ainsi comme établis des faits (les dénonciations de Mme Ba et de Mme V.) qu’il n’a pourtant pas retenus pour reconnaître le harcèlement sexuel au titre d’un faisceau de présomption… Il a octroyé à Mme B. 12000 €? de dommages-intérêts pour la rupture du contrat aux torts de l’employeur(2).

Mme Ba était quant à elle entièrement déboutée de ses demandes.

L’AVFT et les deux salariées ont relevé appel de ces décisions, persuadées que la Cour d’appel de Douai ne pourrait laisser les choses en l’état.

Il est important de souligner pour ce qui va suivre, que le jour de l’audience (qui a ressemblé à celle devant le Conseil de prud’hommes quant à l’agressivité de l’avocate de Protectim), ce sont deux magistrats différents qui ont fait le rapport de chaque affaire. Dans le cas de Mme Ba, il s’agissait d’une femme, dont le rapport était favorable à la salariée ; dans celui de Mme B., il s’agissait d’un homme, qui semblait plutôt… à côté du dossier(3).

Analyse croisée des deux arrêts rendus par la Cour d’appel de Douai

1) Sur le harcèlement sexuel

– Pour Mme Ba :
La Cour après avoir rappelé les violences dénoncées par Mme Ba (des propos et comportements à connotation sexuelle dès le début du contrat, puis des propositions sexuelles explicites lors d’un déplacement à Paris où elle logeait à l’hôtel avec M. M. et enfin les représailles professionnelles exercées par lui dès le lendemain), énumère dans le détail tous les éléments présentés par la salariée au titre du faisceau d’indices laissant présumer le harcèlement sexuel.

Elle conclut : « le SMS du 1er mai 2013 (envoyé par Mme Ba à un ami et disant : « l’horreur l’hôtel avec mon boss !! ») et le témoignage rapportant les confidences de Mme Ba faites au moment même de son séjour professionnel parisien, ainsi que le brutal changement d’humeur constaté par ses proches à l’issue de ce voyage établissent que M. M. a bien eu à Paris le comportement à connotation sexuelle dénoncé par l’appelante consistant en des gestes démontrant sa volonté d’obtenir un acte de nature sexuelle ;
Que toutefois, Mme Ba n’établit aucun propos ou geste de nature sexuelle autre que ceux qui se sont produits à l’hôtel à Paris (…) ; qu’en conséquence, le comportement de M. M. à l’occasion de ce déplacement, aussi déstabilisant qu’il ait pu être pour Mme Ba (…) ne revêt pas le caractère d’agissements répétés au sens de l’article L. 1153-1 du Code du travail susceptible de caractériser une situation de harcèlement sexuel ; que par ailleurs, la salariée n’allègue aucune forme de pression grave visée par l’article L. 1153-1 – 2ème du Code du travail, exercée dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle ; qu’elle a au contraire précisé que M. M. l’avait laissée tranquille lorsqu’elle avait refusé ses avances
».

La mauvaise foi de la Cour d’appel de Douai sur la question de la répétition est criante sur plusieurs points :

  • Même en estimant ne pouvoir examiner que le harcèlement sexuel commis dans cette chambre d’hôtel, la répétition n’était pas un obstacle pour caractériser le harcèlement sexuel : il suffit en effet de deux actes à connotation sexuelle, même rapprochés. Or, Mme Ba dénonçait bien plus de deux actes : « il m’a fait venir dans sa chambre d’hôtel pour faire la liste des pointages manquants. Une fois le travail fini, il m’a demandé si je savais faire des massages et m’a caressé les cheveux. Lorsque j’ai voulu me lever pour retourner dans ma chambre, il s’est mis devant moi, a posé ses mains sur mes épaules pour me faire comprendre que je devais rester assise. Je l’ai repoussé en lui disant non et il m’a laissé partir après m’avoir dit : « je ne comprends pas pourquoi tu mets des barrières ».
  • Toujours dans cette hypothèse, Mme Ba invoquait l’application de la loi du 27 mai 2008, loi civile applicable devant le Conseil de prud’hommes, qui n’exige aucunement des actes répétés(4).
    La Cour avait donc un fondement légal clair pour sanctionner ce qu’elle considère, à tort, comme un acte unique.
  • Par ailleurs, Mme Ba faisait valoir que les agissements dont elle a été victime dans cette chambre d’hôtel constituaient une pression grave puisque contrairement à ce qu’affirme la Cour, M. M. n’a pas « laissé tranquille » Mme Ba après l’hôtel : il a exercé contre elle des représailles jusqu’à mettre fin à sa période d’essai !
  • Quoi qu’il en soit, Mme Ba dénonçait une multitude d’autres agissements de harcèlement sexuel, que les nombreux éléments qu’elle apportait au débat permettaient de laisser présumer.

Mais comme pour Mme B., la Cour d’appel de Douai se refuse à faire une bonne application des règles de preuve en matière de harcèlement sexuel.

– Pour Mme B. :
La Cour a procédé à une appréciation séparée de chaque élément présenté par Mme B., prétendant déterminer s’ils sont « matériellement établis » et nous dit : « Attendu que les proches de Mme B. se contentent de relater les propos de cette dernière et ne font état d’aucun faits impliquant M. M., auteur prétendu du harcèlement, qu’ils auraient constatés. Que les attestations correspondantes ne permettent donc de retenir aucun fait matériellement établi.
Que les échanges de SMS entre Mme B. et Mme D. reposent sur les seules affirmations de la première et qu’il n’en résulte pas non plus le moindre fait matériellement établi.
Attendu ensuite que les accusations de harcèlement sexuel portées par Mmes V. et Ba à l’encontre de M.M. ne permettent pas d’établir la réalité d’agissements de même nature à l’encontre de Mme B. et ne peuvent donc être considérées comme des faits matériellement établis pouvant être pris en compte au titre de l’action engagée par elle.
(…)
Attendu que la plainte déposée par Mme V. à l’encontre de M. M. n’a pas donné lieu à condamnation pénale ni même rappel à la loi. Quel les faits dénoncés par elle, n’ont donné lieu à aucune sanction disciplinaire de l’intéressé, l’employeur indiquant qu’il n’était pas en mesure d’établir l’existence d’un harcèlement sexuel mais l’ayant sanctionné par un avertissement pour des motifs tirés de con comportement inapproprié envers ses subordonnés.
Qu’il en va de même des faits dénoncés par Mme Ba qui n’ont donné lieu à aucune sanction de la part de l’employeur ni à aucune poursuite pénale » (!)
« Que le signalement au parquet par l’inspection du travail des faits dénoncés par Mme B. ne permet pas non plus de retenir un quelconque fait matériellement établi.
Que les faits de violence de la part de M. M. dénoncés à sa direction par M. N. sont étrangers à la problématique litigieuse du harcèlement sexuel et ne peuvent donc être pris en compte à ce titre. Qu’il en va de même des menaces et injures qui auraient été proférées par l’intéressé envers son supérieur hiérarchique chez son précédent employeur.
(…)
Qu’il résulte de ce qu’il précède que les seuls faits allégués par Mme B. à être matériellement établis sont les éléments médicaux faisant apparaître un symptôme dépressif avec suspicion de harcèlement moral et sexuel et la reconnaissance de sa maladie professionnelle, lesquels sont insuffisants à eux seuls à établir la présomption requise par les textes précités
Qu’en l’absence de toute présomption, il convient de dire que la preuve de ce dernier n’est pas établie (…)
».

Huit ans après que la Cour de Cassation a été contrainte de rappeler aux juges du fond comment les règles de preuve s’appliquent en matière de harcèlement moral et sexuel(5) et alors qu’elle l’a réitéré clairement le 8 juin 2016(6), la Cour d’appel de Douai ne comprend pas, toujours pas.

Ce qu’a fait la Cour d’appel, c’est rechercher si Mme B. « prouvait » le harcèlement sexuel ce qu’on comprend avec son lapsus final.

En analysant ces deux arrêts ensemble, il est clair que la Cour d’appel a trouvé une parade pour ne pas reconnaître le harcèlement sexuel, escomptant qu’en faisant droit sur les autres demandes présentées par les deux salariées et en leur octroyant des sommes conséquentes, elles ne se pourvoiraient pas en cassation (parce qu’elles sont précaires, en procédure depuis trois ans, lasses…etc.)
Que ce soit en recherchant des preuves matérielles du harcèlement sexuel dans le cas de Mme B. ou en se réfugiant derrière la carte de l’acte unique dans celui de Mme Ba, les magistrats avaient visiblement décidé par avance de ne pas reconnaître les violences sexuelles et ont bricolé des motifs pour pouvoir le faire.

Ce qui suit conforte notre analyse.

2) Les demandes de nullité de la rupture de leur contrat respectif

  • Pour Mme Ba :
    La Cour d’appel fait droit à la demande de Mme Ba de nullité de la rupture de sa période d’essai. Par une analyse des faits de la cause, très pertinente cette fois, elle relève que c’est en réalité M. M. qui a mis fin à sa période d’essai, que ce n’est qu’après la rupture et les contestations de Mme Ba auprès de la direction située à Paris que cette dernière s’est enquise auprès de M. M. des raisons susceptibles d’expliquer la rupture de la période d’essai, sur lequel elle n’est pas revenue « sans mener la moindre enquête, en se bornant à recueillir les explications du mis en cause ». La société ne prouvant aucun des reproches adressés à Mme Ba justifiant sa prétendue insuffisance professionnelle, « la rupture de la période d’essai apparaît donc bien avoir été initiée par M. M. et en réalité décidée sans autre motif que le refus de Mme Ba de céder à ses avances à Paris ». Et puisque la nullité est acquise dans ce cas même en cas d’agissements non-répétés (article L. 1153-2 combiné à L. 1153-4 du Code du travail), la Cour peut condamner. Ce qui est le plus marquant, c’est l’octroi de 15000? € de dommages-intérêts à Mme Ba en réparation de la rupture. De droit, elle devait obtenir 12150 €? (six mois de salaire plancher en cas de nullité) mais les salariées qui ont seulement 3 mois d’ancienneté et ont retrouvé du travail ensuite, même précaire, n’ont d’habitude guerre plus que ce plancher.
  • Pour Mme B. :
    La Cour a accepté la demande de résiliation judiciaire présentée par Mme B. mais en raison du non-règlement par l’employeur d’un nombre « aussi important d’heures supplémentaires » rendant « impossible la poursuite de l’exécution du contrat de travail ». Elle porte le montant des dommages-intérêts en réparation de la rupture du contrat à 16000 €? (elle avait obtenu 12 000 ?€ par le Conseil de prud’hommes).

3) L’indemnisation des deux salariées sur le fondement de l’obligation de prévention

Mme B. et Mme Ba ont chacune obtenu une indemnisation du manquement de l’employeur à son obligation de prévention de 5000 €?.

– Pour Mme Ba :
La Cour justifie le manquement de l’employeur et l’indemnisation à hauteur de 5000? € par le fait qu’il « n’a pas mis en place de système de prévention pour préserver les salariés du harcèlement sexuel et qu’informé par Mme Ba (du harcèlement sexuel et de la rupture de son contrat pour avoir refusé de le subir), il n’a pas pris les mesures propres à faire cesser cette situation en se bornant à recueillir les observations de la personne dénoncée comme harceleur et en dispensant Mme Ba de travailler avec lui ; que les pièces médicales produites montrent que Mme Ba a présenté en juin 2013 un syndrome dépressif, une anxiété généralisée rapportée à un problème professionnel et des troubles du sommeil ».
C’est ainsi la première fois que la Cour évoque les conséquences médicales du harcèlement sexuel sur Mme Ba dans son arrêt.

– Pour Mme B. :
« Attendu qu’alors que l’employeur reconnaît dans ses conclusions disposer d’un CHSCT, il n’a pas saisi cet organisme à la suite de la plainte pour harcèlement de Mme Ba ; qu’il n’a pas mené d’enquête auprès des salariés de l’entreprise et s’est contenté de convoquer M. M. et d’entendre ses explications ; que par ailleurs, il ne s’est à aucun moment préoccupé auprès de Mme B. de s’assurer du comportement irréprochable de ce dernier alors même qu’il venait d’être gravement mis en cause par la salariée ayant précédemment occupé le poste ; que ce manquement de l’employeur aux prescriptions de l’article L. 1153-5 du Code du travail ayant exposé la salariée à un risque éventuel justifie la condamnation de ce dernier à une somme de 5000? € à titre de dommages-intérêts, bien que la concrétisation de ce risque ne soit pas établie ».

Le fondement juridique de cette condamnation est le manquement de l’employeur à son obligation de prévention au visa de l’article L. 1153-5 du Code du travail qui dispose : « L’employeur prend toutes mesures pour prévenir les agissements de harcèlement sexuel, y mettre un terme et les sanctionner » alors que pour Mme Ba, c’est sur le fondement de l’obligation de sécurité de résultat que cette partie de l’arrêt est rendue.

Si ce n’était pas encore clair pour vous, il est évident qu’il ne s’agit pas du même magistrat qui a rédigé ces deux arrêts (une divergence de position telle que nous l’avions ressentie au moment du rapport à l’audience ? On ne saura jamais !). Par exemple, dans le cas de Mme B., il est fait état de l’absence de saisine du CHSCT lors de la dénonciation de Mme Ba alors que cet argument n’est pas repris dans la motivation pour la salariée concernée… !

Elles reçoivent la même indemnisation alors qu’elles sont objectivement dans des situations différentes puisque Mme B. s’est retrouvée sous les ordres d’un homme que l’employeur savait être un harceleur sexuel (et la Cour est d’accord bien qu’elle considère qu’il a commis un acte unique). Protectim a ouvertement mis Mme B. en danger, n’a à nouveau mené aucune enquête, mais elle obtient la même somme que sa prédécesseuse sur le poste. Ça n’a aucun sens.

Ce qui continue de nous convaincre que les magistrats n’étaient pas d’accord entre eux dans ces deux dossiers est d’une part la somme que l’AVFT a obtenue au titre de son préjudice moral et d’autre part les sommes obtenues par les deux femmes et l’AVFT relativement à leurs frais de justice.

Alors que nous sommes systématiquement déboutées d’habitude dès lors que le harcèlement sexuel n’est pas reconnu, exceptionnellement l’association a été indemnisée.
Dans le dossier de Mme Ba notre préjudice résultant de l’atteinte portée par l’employeur à l’intérêt collectif que l’AVFT a pour objet de défendre est réparée par l’octroi de 1500? € de dommages-intérêts, sans qu’on sache à quel comportement de l’employeur la Cour rattache cette atteinte. Dans le dossier de Mme B. la Cour condamne Protectim à nous verser 1000 €?.

Pourquoi 500 €? de différence et alors que les manquements de l’employeur dans le cas de Mme B. sont bien plus flagrants ? Impossible de le savoir.

Alors que Mme Ba obtient 2500 ?€ pour ses frais de justice et l’AVFT 1000 €, Mme B. obtient 1000 ?€ pour ses frais de justice tandis que l’AVFT obtient 500 ?€. Elles ont la même avocate, qui a pris le même nombre de jeux de conclusions, fait les mêmes déplacements…etc. dans les deux dossiers.

4) Les autres demandes présentées par Mmes B. et Ba

Mme Ba a été déboutée de sa demande au titre de la discrimination sans que la Cour ne motive particulièrement ce rejet.

Mme B. présentait à nouveau une demande au titre d’heures supplémentaires que la Cour a jugé entièrement fondée (118 heures en 4 mois, soit 2241 euros brut !) et a réformé le jugement du Conseil de prud’hommes en lui accordant en outre six mois de salaires pour travail dissimulé, ce qui équivaut à 13303? € d’indemnités.

Mais concernant sa demande de dommages-intérêts présentée pour discrimination (l’acte discriminant visé étant la proposition de mutation sur Paris), la Cour déboute Mme B. au motif que ce moyen « manque en fait, l’employeur ne lui ayant imposé aucun changement d’affectation mais lui ayant seulement proposé un tel changement par courrier du 17 janvier 2014 ».
Or, la société Protectim en faisant « cette proposition » de mutation à Paris tout en conservant M. M. dans les effectifs de Lille puisqu’il n’y a eu aucune enquête de l’employeur, le lui imposait en réalité…si elle n’acceptait pas cette « proposition », elle ne pouvait de toute façon jamais reprendre son travail.

Un pourvoi en cassation est en cours

Pour Mme Ba et Mme B., la question s’est immédiatement posée. Mme Ba a rapidement jeté l’éponge et a renoncé à exercer ses droits devant la Cour de cassation, déjà satisfaite d’avoir obtenu une telle somme (en tout environ 20 000 €?) alors qu’elle n’avait que trois mois d’ancienneté.
Mais Protectim a fait un pourvoi en cassation de son côté, la maintenant contre son gré dans la procédure.

Pour Mme B., cette décision a été un coup de massue. Elle a décidé de continuer le combat, l’AVFT avec elle. Un pourvoi, confié à Me Bourdeau-Meier, a été formé contre cet arrêt inique.

Merci car c’est grâce à vous. En effet, Mme B. ne peut pour l’instant toucher à aucune des sommes qu’elle a obtenues devant la Cour d’appel de Douai au risque de devoir les rembourser si la Cour de cassation réformait l’ensemble de l’arrêt. Grâce aux dons que nos fidèles donatrices/donateurs ont fait à l’AVFT lors de l’appel à soutien du 10 juin 2015, nous avons pu financer le pourvoi de Mme B. En effet, dans cet appel, nous récoltions de l’argent pour un pourvoi dans la procédure de Mme G. en matière correctionnelle. Or, elle a fini par y renoncer, ce dont nous rendons compte ici.

Ce pourvoi pourrait servir à toutes les femmes victimes de harcèlement sexuel en France. Pour l’effectivité des droits des femmes, il nous faut toujours mener de front avec les femmes cette course de fond juridique épuisante.

Que le courage et la ténacité de ces deux femmes, comme de tant d’autres, soit ici salués.

Rendez-vous dans 18 mois pour savoir si nous aurons l’occasion de plaider à nouveau son dossier, avec Me Beckers, devant la Cour d’appel d’Amiens. Nous ne manquerons pas de vous en tenir informées.

Laure Ignace,
Juriste.

Notes

1. Sans que l’on sache si cette convocation avait débouchée sur un rappel à la loi

2. …outre le préavis, les congés payés et l’indemnité de licenciement. Mme B. obtenait par ailleurs, le rappel de salaires qu’elle demandait au titre des heures supplémentaires non rémunérées pour certaines, non majorées pour d’autres mais était déboutée de sa demande d’indemnité au titre du travail dissimulé.

3. Cette précision n’indique pas que le sexe des magistrat.es est déterminant dans le traitement de ces dossiers.

4. La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations vise en son article 1er : « Tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant »

5. Cass. Soc., 24 septembre 2008, n°1611, 1612, 1613 et 1614, publiés au bulletin

6. Cass., soc. 8 juin 2016, n°14 – 13418, publié au bulletin

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