Délais de prescription : Mémo à l’attention des journalistes (et des autres !)

Le lundi 6 mars, le parquet de Paris a sans surprise classé sans suite les plaintes de quatre femmes politiques contre Denis Baupin pour cause de prescription. Le procureur de la République de Paris a pris le soin de motiver sa décision. La moindre des choses ? Sans doute, mais la quasi-totalité des victimes de harcèlement sexuel dont les plaintes sont classées sans suite (autour de 90% de ces plaintes) doivent se contenter d’une croix dans une case à cocher, le plus souvent la « case 21 », « infraction insuffisamment caractérisée ».

Le procureur de la République a donc écrit qu’« À l’issue de l’ensemble des investigations, il apparaît que les faits dénoncés, aux termes de déclarations mesurées, constantes et corroborées par des témoignages, sont pour certains d’entre eux susceptibles d’être qualifiés pénalement ».

Il précise que les femmes ayant témoigné « ont pu, pour plusieurs d’entre elles, exposer le désarroi dans lequel elles s’étaient trouvées face au comportement d’un cadre du parti politique auxquelles elles appartenaient, expliquant ainsi la tardiveté de leurs dénonciations ».

Le législateur a très récemment voté une loi modifiant les délais de prescription : la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, entrée en vigueur le 1er mars 2017, qui double les délais de prescription des crimes et délits, les faisant passer de 10 ans à 20 ans pour les premiers et de 3 ans à 6 ans pour les seconds.

Depuis hier, nous pouvons lire ou entendre ici ou là, y compris venant de médias considérés comme sérieux et tant qu’à faire à des heures de grande écoute, que si les accusatrices de Denis Baupin avaient porté plainte postérieurement à cette loi, leurs plaintes n’auraient pas été prescrites.

Cette information – fausse – est susceptible de générer beaucoup d’espoirs chez des victimes de violences sexuelles déjà prescrites à qui l’ont fait croire qu’elles peuvent bénéficier des nouveaux délais de prescription.

Un rappel est donc indispensable : ces nouveaux délais de prescription ne sont pas rétroactifs. Ils ne sont applicables qu’aux infractions commises après le 1er mars 2017.

A une exception près : conformément aux dispositions de l’article 112-2 du Code pénal, les nouveaux délais sont applicables aux infractions dont la prescription n’était pas encore acquise au moment de l’entrée en vigueur des nouveaux délais de prescription, soit le 1er mars 2017.

Récapitulons :

  • Les harcèlement sexuel et agressions sexuelles dénoncées à l’encontre de Denis Baupin étaient déjà prescrits le 1er mars 2017. Les victimes n’auraient donc en aucun cas pu bénéficier des nouveaux délais.
  • Si une femme a été victime de harcèlement sexuel le 15 janvier 2015 par exemple, ce harcèlement sexuel, au visa des anciens délais de prescription, n’était pas prescrit le 28 février 2017 (mais le 15 janvier 2018). Elle peut donc désormais porter plainte jusqu’au 15 janvier 2021.
  • Si une femme a été victime de viol par exemple le 28 février 2007, l’action publique était déjà prescrite, à un jour près, le 1er mars 2017. Elle ne bénéficie donc pas des nouveaux délais de prescription.
  • Si une femme a été victime de viol le 2 mars 2007, l’action publique n’était pas prescrite le 1er mars 2017. A un jour près. Elle peut donc bénéficier du doublement de la prescription.

Mais le moyen le plus sûr de ne pas se tromper pour les journalistes (et beaucoup d’autres y compris juristes), mais aussi le plus juste, le moins absurde et arbitraire réside dans l’abolition pure et simple des délais de prescription en matière de violences sexuelles.

Marilyn Baldeck
Déléguée générale

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