Pour l’abolition des délais de prescription en matière de violences sexuelles

Depuis l’entrée en vigueur le 1er mars 2017 de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, les crimes, dont les viols, commis sur une personne majeure, ne peuvent plus être poursuivis au bout de 20 ans (contre 10 ans auparavant). Lorsqu’un viol est commis sur un.e mineur.e, il ne peut plus être poursuivi 20 ans après la majorité de la victime.

Quant aux délits (dont le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles), ils ne peuvent plus être poursuivis au bout de six ans (contre 3 ans auparavant).

C’est ce qu’on appelle « la prescription de l’action publique », qui garantit à un agresseur de ne jamais être ni poursuivi, ni jugé et encore moins condamné si une plainte est déposée contre lui « trop tard ». Il se trouve que « trop tard » pour la justice est parfois le bon moment pour les victimes.

La Cour de cassation est la rigide gardienne de ce principe. Elle a par exemple refusé(1) de faire partir le délai de prescription du jour où une victime, frappée d’amnésie, s’est finalement souvenue du viol(2).

Les défenseur.es du principe de la prescription le motivent principalement par trois arguments :

  • Il ne serait plus possible de recueillir des preuves au-delà d’une durée arbitrairement définie par la loi.
  • La possibilité de poursuivre une personne, qui n’a pas été inquiétée pendant plus de 20 ans pour un viol, six ans pour du harcèlement sexuel ou une agression sexuelle, constituerait en soi un trouble l’ordre public.
  • L’existence d’une date butoir encouragerait les victimes à porter plainte plus précocement, voire constituerait un déclic pour déposer une plainte qu’elles n’auraient pas déposée si cette date impérative ne les y avaient pas contraintes.

Parlez-en à toutes ces femmes en butte aux délais de prescription !

Par exemple Mmes B et D, qui ont saisi l’AVFT respectivement 36 ans et 38 ans après les viols dont elles avaient été victimes.

L’une et l’autre étaient prêtes parler.

A affronter le violeur.

A le confronter.

A dire publiquement, dans l’enceinte d’une salle d’audience, ce qu’ils leur avaient fait.

Pour l’une et l’autre, les viols étaient prescrits, juridiquement effacés, mais bel et bien vivaces, dans chacun des gestes de leur vie.

Aux adeptes de la prescription, nous leur répondons :

Ce ne sont pas les victimes de violences sexuelles qui mettent trop de temps avant de porter plainte, mais la justice qui leur ferme ses portes.

Si elles mettent du temps, le temps qu’il faut, le temps qu’elles veulent, avant de porter plainte, pour celles qui portent plainte, c’est parce que porter plainte pour des violences sexuelles est encore beaucoup trop risqué.

Si certaines mettent du temps, le temps qu’il faut, le temps qu’elles veulent, avant de porter plainte, c’est qu’ « il y a des choses qui ne sont pas faites pour être dites car elles ne sont pas faites pour être vécues »(3).

36 ans et 38 ans plus tard, Mme B et D seraient-elles forcément confrontées au dépérissement des preuves ? Le meilleur moyen de ne pas répondre à cette question est de ne pas rechercher d’éléments de preuve. Pourtant, rien n’interdirait que ces hommes reconnaissent, au moins en partie, les faits qui leur seraient reprochés. Rien n’exclurait de retrouver d’autres victimes qui dénonceraient des violences comparables, ce qui crédibiliserait leur parole respective. Il y aurait peut-être encore des témoins indirects, des personnes à qui elles se seraient confiées. Un dossier médical reflet des violences. Soit, un faisceau d’indices graves et concordants. L’argument de « la preuve » est donc récusable.

Si l’on admet que « l’ordre public » est maintenu par la « prescription de l’action publique » en matière de violences sexuelles, par l’injonction à l’oubli, il faut alors considérer que les victimes de ces violences, essentiellement des femmes et des petites filles, n’appartiennent pas à cette fiction et se trouvent hors de la société dont l’État a la responsabilité de défendre les intérêts. Car pour Mmes B et D, pour les femmes, « l’ordre public » est bel et bien troublé par la fin de non-recevoir opposée à leurs plaintes considérées comme trop tardives. La paix sociale se fonde donc sur l’oubli des victimes. L’argument de « l’ordre public » est inacceptable.

Mmes B et D sont les exemples même de femmes que l’existence d’un délai de prescription du viol n’a pas convaincu de porter plainte plus tôt. Elles sont très nombreuses. Forcément, mathématiquement beaucoup plus nombreuses que celles qui se sont décidé à porter plainte du fait de la prescription. L’argument de la prescription comme déclencheur des plaintes est donc irrecevable.

Par ailleurs, la prescription crée une discrimination de fait entre les victimes, entre celles qui sont prêtes quand la justice l’exige, et les autres.

Enfin, nous n’avons jamais connu une justice pénale sans prescription(4). Nous n’avons donc jamais connu un monde dans lequel les agresseurs sexuels ont un risque de poursuite et de condamnation perpétuelles au dessus de la tête et non pas la perspective d’une absolution du fait du temps qui passe. A quand ?

Marilyn Baldeck et Laure Ignace

Notes

1. Cass.crim. 18 décembre 2013

2. Voir http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/12/18/une-amnesie-ne-modifie-pas-la-prescription-apres-un-viol_4336444_3224.html#.

3. Christine Angot, invitée de l’heure bleue sur France Inter le 7 mars 2017.

4. Voir : https://www.senat.fr/rap/r06-338/r06-3382.html.

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