PROCÉDURE D’ANNE : CONSÉCRATION PAR LA COUR DE CASSATION LE 17 MAI 2017 D’UN ACTE UNIQUE DE HARCÈLEMENT SEXUEL

Cette procédure a été solidairement financée par les soutiens de l’AVFT : MERCI !

Souvenez-vous : le 24 mars 2011, la Cour d’assises de la Moselle acquittait A.P du chef de viols commis à l’encontre d’Anne, sa subordonnée et de plusieurs dizaines d’années sa cadette.

Outre son dépôt de plainte pénale, Anne avait engagé la responsabilité de son employeur devant le Conseil de prud’hommes, pour d’une part faire reconnaître le harcèlement sexuel dont elle avait été victime, ce dont la Cour d’assises n’avait pas été saisie, et d’autre part faire requalifier sa démission en licenciement nul.

Le 29 avril 2015, la chambre sociale de la Cour d’appel de Metz déboutait Anne et l’AVFT de leurs prétentions dans un arrêt politiquement et juridiquement honteux, incarnation de la négation du droit du travail, la Cour d’appel allant jusqu’à prétendre que l’employeur ne pourrait être tenu pour responsable des fautes commises par ses préposés.

Le 10 juin 2015, nous lancions un appel à soutien visant à financer des procédures stratégiques et notamment un pourvoi en cassation contre cet arrêt, auquel vous avez été nombreux et surtout nombreuses à contribuer.

Le principal enjeu du pourvoi en cassation(1) était la reconnaissance d’un harcèlement sexuel pouvant prendre la forme d’un acte unique, la Cour d’appel ayant considéré un acte isolé comme établi tout en n’admettant pas qu’il suffise à caractériser un harcèlement sexuel du fait de l’absence de répétition.

L’avocate générale avait rendu un avis de cassation notamment sur ce point, soulignant au passage l’apport de l’AVFT dans l’évolution juridique du régime probatoire du harcèlement sexuel.

Dans un arrêt du 17 mai 2017 (Arrêt n°872 FS-P+B), la Cour de cassation censure l’intégralité de l’arrêt de la Cour d’appel de Metz, renvoie les parties devant la Cour de Nancy et énonce notamment :

« Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l’association à son obligation de sécurité, l’arrêt retient que le seul fait établi à l’encontre du président de l’association est isolé, qu’il ne peut « constituer un harcèlement qui suppose la répétition d’agissements » ni un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur ».

Qu’en statuant ainsi, alors qu’un fait unique peut suffire à caractériser le harcèlement sexuel et qu’elle avait constaté que le président de l’association avait « conseillé » à la salariée qui se plaignait de coups de soleil de « dormir avec lui dans sa chambre », « ce qui lui permettrait de lui faire du bien », ce dont il résultait que la salariée établissait un fait qui permettait de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »

La Cour se prononce donc à la fois sur la preuve du harcèlement sexuel et sur sa définition.

Sur la preuve. L’article L1154-1 du Code du travail qui fixe les règles relatives à la preuve du harcèlement sexuel (et moral) dispose :
« Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».

La victime doit donc présenter plusieurs indices (certificats médicaux, attestation de témoins indirects, preuve des démarches effectuées etc.) pour laisser supposer l’existence d’un tel harcèlement.

Pour la Cour de cassation en revanche, si un agissement à connotation sexuelle est établi, même isolé, il permet de présumer l’ensemble du harcèlement sexuel.

Sur la définition : Elle se prononce sur la possibilité qu’un fait unique puisse caractériser le harcèlement sexuel, sans imposer qu’il revête un degré de gravité particulier et que le harceleur ait recherché un acte de nature sexuelle, à rebours des dispositions légales actuellement applicables.

Cet arrêt est doublement essentiel puisqu’il permet d’engager la responsabilité de l’employeur devant la juridiction sociale pour un agissement qui, bien qu’unique, préjudicie aux droits des salariées ou dans les cas où un seul acte, parmi d’autres, peut être établi.

Il trace la voie d’un arrêt de la Cour de cassation à venir, dans une procédure dans laquelle l’AVFT est également intervenante volontaire et qui a aussi été financé par nos soutiens.

Il n’efface pas le désastre judiciaire qu’a constitué la procédure pénale et ne doit pas escamoter la réalité des violences subies par Anne, qui ne se limitent pas à un acte unique. Sa ténacité depuis 14 ans, aura permis la consolidation des droits des salariées victimes de harcèlement sexuel.

Nous serons à ses côtés devant la Cour d’appel de Nancy, en 2018.

Marilyn Baldeck et Laure Ignace

Notes

1. Anne et l’AVFT étaient représentées par Me Alice Meier-Bourdeau

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