Combattre nos idées reçues

Les violences sexistes et sexuelles dans les relations de travail sont largement répandues et cependant elles sont aujourd’hui encore peu dénoncées. En effet, la société française actuelle repose encore sur un système patriarcal, même si certaines avancées, notamment juridiques, ont permis une plus grande liberté des femmes. Des a priori et stéréotypes hérités de cette vision inégalitaire des rapports entre les hommes et les femmes sont portés par tous et toutes : femmes comme hommes, agresseurs, victimes, employeurs, services de ressources humaines, professionnel-les du droit, de la santé, collègues…

La plupart de ces idées reçues ont pour conséquence, si ce n’est pour rôle, de renverser la responsabilité des violences sur les femmes, de les banaliser et de leur trouver des justifications. Plus largement, ces stéréotypes brident notre réflexion en brouillant nos repères. C’est pourquoi les victimes se sentent rarement légitimes à refuser certains «comportements», a fortiori à les dénoncer. La confrontation à des violences sexistes, et plus encore à des violences sexuelles, génère chez chacun-e d’entre nous un sentiment compréhensible de malaise et de déni : nous ne voulons pas croire que cela existe sous nos yeux, si près de nous. Le rôle de ces clichés est aussi de mettre une barrière de protection entre les violences et nous.

En voici quelques-uns, que nous allons nous attacher à déconstruire :

• Les stéréotypes sur les victimes

«C’est elle qui l’a cherché» ; «Ne l’auriez-vous pas provoqué ?»
Quelles que soient les variantes de cette affirmation -«Comment étiez-vous habillée ce jour-là ?»- c’est une manière d’opérer un transfert de culpabilité, en rendant la victime responsable de l’agression dont elle est l’objet. C’est également déresponsabiliser (et éventuellement outrager) les hommes que de considérer qu’ils ne sont pas capables de se contrôler. De toute façon, il n’est pas question de désir -au sens commun du terme- dans les violences sexuelles, mais de volonté d’exercer une domination sexuelle.

«Elle n’a pas d’humour»
Les harceleurs se justifient souvent en faisant passer leurs agissements pour des plaisanteries, dans un contexte où les comportements sexistes prêtent encore à rire. Ils exercent leur domination sexuelle en se retranchant derrière une soit-disant tradition de «gauloiserie à la française». Le vécu des violences est invalidé et la victime est accusée d’être trop sérieuse, trop «coincée» et de ne pas comprendre leur humour. Les blagues sexistes et/ou à connotation sexuelle, les supports pornographiques et les propositions/allusions sexuelles n’ont pas leur place dans le cadre de travail, contrairement à l’idée selon laquelle cela contribuerait à «détendre l’atmosphère».

«Elle fait ça pour l’argent»
Cette assertion méconnaît gravement la réalité de ces violences et le difficile parcours des victimes. Les conséquences professionnelles pour les victimes sont très importantes : elles finissent souvent par perdre leur emploi, après de longues périodes d’arrêt maladie, et éprouvent de grandes difficultés à reprendre leur travail, de peur que les violences se reproduisent. Il n’est pas rare que les indemnisations qu’elles obtiennent à l’issue des procédures pénales et prud’homales couvrent à peine leur préjudice financier direct.

«À sa place moi je» ou «Vous n’aviez qu’à» (réagir plus tôt, dire non, partir, donner une gifle…)

Cette approche occulte d’emblée l’agression et l’agresseur en mettant au premier plan le comportement de la victime et ses capacités à réagir. C’est rejeter la responsabilité sur la victime, en partant du postulat, erroné, qu’elle devrait pouvoir maîtriser une agression. C’est également ignorer que l’agresseur a souvent utilisé une stratégie visant à la sidération de la victime telle qu’elle ne peut immédiatement comprendre ce qui lui arrive et donc riposter comme elle l’aurait souhaité.

«On ne va pas chambouler les relations entre les hommes et les Femmes ! »
Le recours à la permanence de certains comportements sert à légitimer et à perpétuer toutes les injustices et les rapports de domination. On a tenté de justifier ainsi l’esclavage, la torture, l’apartheid… jusqu’à ce qu’ils soient interdits.

 

• Stéréotypes sur les auteurs

«C’est un malade» ou «Il est malheureux, sa femme l’a quitté» ou «C’est un tactile»
Chercher des justifications à l’agresseur le déresponsabilise. Lorsqu’il décide de passer outre les refus de sa victime, il le fait consciemment. Ainsi, très peu d’auteurs de violences sont des «malades» au sens pathologique du terme. Les expertises psychiatriques réalisées sur les agresseurs au cours de la procédure pénale relèvent qu’ils sont «conscients de leurs actes» et savent «parfaitement faire la différence entre le bien et le mal». Quelles que soient les raisons qui peuvent expliquer ces agissements, cela ne les rend pas plus acceptables.

«C’est normal, les hommes ont des pulsions»
Les violences sexuelles sont régulièrement justifiées par «les pulsions incontrôlables» dont les hommes seraient l’objet, voire les victimes. Les stratégies mises en place par les agresseurs invalident cette assertion. Et quand bien même, il n’en resterait pas moins que, pour la victime, il s’agit d’une agression.

 

• Stéréotypes sur les violences

«C’est pas si grave que ça»
Cette affirmation sous-entend que certaines formes de violences ne sont pas assez importantes pour être dénoncées et notamment les violences sexuelles. Nous entendons trop souvent : «on ne vous a pas violée» pour une agression sexuelle, ou «vous n’êtes pas morte» pour une femme violée et plus généralement : «allez voir en Afghanistan, vous allez voir ce que c’est les violences faites aux femmes». Quelle que soit la violence vécue, elle ne semble jamais assez grave pour valoir d’être dénoncée. Outre la banalisation généralisée de ces violences confortant les agissements de leurs auteurs, ces assertions nient le ressenti de la victime. Seule la victime sait ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a ressenti et personne ne peut et ne doit se substituer à elle. Chacun-e réagit de façon différente en fonction de sa personnalité, de son histoire, du contexte de travail… et les limites acceptables ne sont pas les mêmes pour toutes/tous. «C’est grave» lorsque l’on outrepasse le consentement de la personne et que sa volonté n’est pas prise en considération.

«Des compliments sur votre poitrine ? Ça fait pas de mal… vous devriez être flattée» ou encore «À votre âge c’est un plus !».
Au delà de la banalisation de la violence vécue, ce présupposé nie la liberté sexuelle de la personne et opère un déplacement du champ des violences vers celui de la séduction ou plus communément de la «drague». Toute personne a le droit de choisir avec qui elle souhaite entretenir une relation intime et à ce qu’on ne lui impose aucun comportement non désiré. Par ailleurs, ces assertions sont pleines de mépris à l’égard de la victime qui devrait ressentir de la joie d’être soit-disant assez désirable pour mériter de l’attention de la part d’un homme. Ces affirmations occultent la dimension réelle et concrète de l’agression.

 

• Stéréotypes sur les procédures

«Y’a pas de témoin»
Quelles que soient les variantes -«Il n’y a pas de preuve»- cette affirmation repose sur une conception erronée et dépassée de la constitution de la preuve. Il n’y a presque jamais de témoins directs dans les situations de violences sexuelles. C’est pourquoi le régime de la preuve en matière pénale est aménagé : la parole de la victime, élément central de la dénonciation, sera complétée par d’autres éléments de preuve (témoignages, confrontations, attestations, certificats médicaux, écrits…). En outre, la charge de la preuve ne repose jamais uniquement sur la victime : le rôle de l’employeur, des officier-e-s de police judiciaire, inspecteurs-trices du travail, juge d’instruction, est aussi d’établir la réalité des agressions dénoncées.
Devant les juridictions sociales, les règles de preuve sont plus souples pour les salariées car elles doivent «présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement», tandis que «au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse (l’employeur) de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement»(1), ce qui n’est pas chose aisée.

«La justice est saisie»
Cette réalité ne décharge pas l’employeur de ses responsabilités : il doit garantir des conditions de travail exemptes de risques pour les salarié-e-s, mettre en oeuvre une enquête sérieuse et impartiale, prendre des mesures conservatoires, ne sanctionner en aucune manière la victime, exercer son pouvoir de direction et disciplinaire…
Ne pas prendre en considération une dénonciation, c’est, de fait, cautionner l’injustice commise.

«Ici ça va devenir comme aux États-Unis»
Un prétendu abus à l’américaine est invoqué comme un danger qui menacerait la société française. Il s’agit en réalité de dissuader les femmes en France de porter un regard critique sur les relations hommes/femmes, sur la liberté-sexuelle-à-la-française, sur une certaine conception de la galanterie ou de la séduction. Cet argument permet de rejeter aussi bien la réalité de l’agression que le débat de société sur les relations entre hommes et femmes et sur les relations de travail.

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Notes

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1Article L.1154-1 du Code tu travail
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