Pas de barème pour les victimes de harcèlement sexuel ayant pris acte de la rupture de leur contrat de travail, selon le ministère du travail

La réponse ne s’est pas faite attendre une fois nos inquiétudes rendues publiques : « le barème ne s’appliquera pas si le juge reconnaît que la prise d’acte est bien fondée sur des actes de harcèlement », affirme la Direction Générale du Travail à l’AFP. Et c’est tant mieux.

Mais alors, comment avons-nous pu nous fourvoyer ainsi ?

« Nous », juristes féministes, mais également les avocates spécialistes du droit du travail avec qui nous travaillons ? Et aussi Michel Miné, un professeur de droit du travail spécialiste du droit des discriminations, dont l’analyse est reprise dans l’avis sur les ordonnances « travail » rendu le 8 septembre par le Conseil Supérieur de l’Egalité Professionnelle entre les Femmes et les Hommes :

« Pour Michel Miné, le texte présenté ne réserve pas la situation où l’action du salarié (de la salariée) est consécutive à un harcèlement sexuel ou à des agissements sexistes (question de la résiliation judiciaire ou de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur). Seule la réparation forfaitaire de droit commun serait applicable alors qu’il s’agit de situations relevant de la discrimination. Il y aurait donc contournement de la jurisprudence en matière de prise d’acte faisant suite à des faits de harcèlement moral, sexuel, d’agissement sexiste et de discrimination ».

Ou encore le Syndicat des Avocats de France, qui dès le 15 septembre, soulignait également la difficulté ?

Avons-nous toutes et tous lu ou compris de travers, nous qui travaillons tous les jours sur ces questions ?

Nous vous proposons de juger par vous-même.

L’Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail contient dans son chapitre II, article 3, un 3e et un 4e que nous copions-collons ci-après :

« 3° L’article L. 1235-3-1 est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. L. 1235-3-1.-L’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

« Les nullités mentionnées à l’alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d’une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu’aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

« L’indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 et du statut protecteur, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle. » ;

Ce qui précède est donc, comme chacun.e peut le lire, la liste des hypothèses dans lesquelles le juge sera tenu par un minimum légal d’indemnisation équivalent à six mois de salaires et pourra s’affranchir des plafonds prévus en matière d’indemnisation des licenciements illégaux.

4° Après l’article L. 1235-3-1, il est inséré un article L. 1235-3-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 1235-3-2.-Lorsque la rupture du contrat de travail est prononcée par le juge aux torts de l’employeur ou fait suite à une demande du salarié dans le cadre de la procédure mentionnée à l’article L. 1451-1 , le montant de l’indemnité octroyée est déterminé selon les règles fixées à l’article L. 1235-3 . » ;

Ce qui précède est donc, comme chacun.e peut le lire, une disposition qui prévoit qu’en cas de prise d’acte du contrat de travail, l’indemnisation du licenciement illégal sera limitée par un plafond.

Nous avons beau retourner cette ordonnance dans tous les sens, il n’est écrit nul part que les victimes de harcèlement sexuel échappent aux barèmes limitatifs en cas de prise d’acte.

Nous n’avions aucun moyen de le deviner, d’autant que les interpellations du gouvernement sur ce point, venant d’organisations syndicales ou du Syndicat des Avocats de France, étaient restées sans réponse.

Il faut dire que l’inconvénient de légiférer par ordonnances, c’est qu’aucun débat parlementaire ne peut venir lever un doute ou, comme dans le cas présent, trancher un conflit juridique entre deux dispositions légales.

Praticiennes tout au long de l’année du droit du travail, nous pouvons donc parier sur ce qui se passera in concreto devant les juridictions sociales : Les salariées victimes de harcèlement sexuel brandiront la dérogation au plafonnement et les employeurs leur répondront : Que nenni, vous avez volontairement rompu votre contrat de travail !

Bien sûr, nous avons déjà réfléchi à une parade et commençons à affûter des arguments. Bien sûr, cela peut fonctionner. Mais pas forcément. Pas devant tous les juges. Et ça peut prendre beaucoup de temps.

Il aurait été tellement plus simple que le gouvernement inscrive dans cette ordonnance qu’il n’existe aucun plafonnement des dommages-intérêts pour les salariées harcelées sexuellement (et pour toutes les autres atteintes particulièrement graves) quel qu’ait été le mode de rupture de leur contrat de travail.

Sans cette précision et à défaut de débats parlementaires éclairants, lorsque cette question se posera devant un Conseil de prud’hommes, nous produirons la dépêche AFP intitulée : « Le ministère du travail dément les accusations de militantes féministes » dans laquelle une avocate, par ailleurs membre du MEDEF des Hauts-de-Seine selon son site internet, affirme que le barème ne s’appliquera pas.

Si même le MEDEF le pense, c’est imparable.

Marilyn Baldeck
Déléguée générale

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