Condamnation de la société H.REINIER pour harcèlement sexuel

La roue tourne pour les nettoyeuses de la Gare du Nord

Vendredi 10 novembre 2017, le Conseil de prud’hommes de Paris, en formation de départage, a condamné la société H. REINIER pour harcèlement sexuel et discrimination et a prononcé la nullité de toutes les sanctions (dont deux licenciements) prises par l’employeur à l’encontre de quatre femmes et un homme, qui, témoin des violences sexuelles, avait été le premier à les dénoncer et l’avait payé très cher.

Ces cinq salarié.e.s étaient (et sont toujours pour trois d’entre elles) des nettoyeuses et nettoyeur des trains de la Gare du Nord, H.REINIER étant prestataire de la SNCF.

Les montant des dommages-intérêts, tous chefs de préjudices confondus, s’élève à environ 300 000 euros (dont 12 500 euros pour l’AVFT et Sud Rail, parties intervenantes volontaires(1).

L’AVFT avait été saisie en novembre 2012 par les cinq salarié.e.s, et depuis n’a eu de cesse de les soutenir, notamment, dans un premier temps, en se rapprochant de l’employeur pour le convaincre de respecter ses obligations légales. En vain. Dans le même temps, nous avions alerté le syndicat Sud Rail sur les violences sexuelles commises par leurs syndicalistes. La réaction de Sud Rail ne s’était pas faite attendre, qui avait immédiatement dissout la section de la Gare du Nord et pris le parti des victimes. La CFDT, syndicat d’appartenance de l’homme « lanceur d’alerte », avait également été mis dans la boucle. L’association avait à son tour saisi le Défenseur Des Droits, qui a présenté ses observations dans la procédure, fruit d’un important travail d’instruction du dossier, et avait orienté les victimes vers le cabinet de Me Maude Beckers. Ce résultat judiciaire est le fruit d’un travail de recueil des récits des victimes, de collectes d’éléments de preuve et de coopération de différents acteurs qui se compte en centaines d’heures.

Depuis 2012, l’association a été saisie par six autres salariées qui dénoncent des violences sexuelles commises par leurs supérieurs hiérarchiques. L’une d’entre elles a porté plainte pour viol. Les cinq autres sont terrorisées par les représailles qui pourraient s’abattre sur elles si elles sortent du silence, d’autant qu’elles ont été témoins des multiples pressions exercées sur les victimes « déclarées » et les sanctions, pouvant aller jusqu’au licenciement, qui leur ont été infligées.

Pour ces femmes victimes de violences sexuelles au travail, entre « parler », « porter plainte », injonctions – y compris gouvernementales – qui pèsent lourdement sur les victimes, et continuer à travailler dans des conditions décentes, percevoir un salaire pour ne pas voir se dégrader ses conditions d’existence, il faut toujours ««««« choisir »»»»».

L’une des salariées avait été licenciée sur la base du témoignage d’un chef d’équipe lui reprochant des fautes imaginaires. Lors de l’audience de départage, l’AVFT avait produit un témoignage du même chef d’équipe, s’étant spontanément présenté à l’association, expliquant le chantage à l’emploi dont il avait fait l’objet de la part de sa hiérarchie pour rédiger ce témoignage et le fait qu’il ne dormait plus à cause du licenciement de sa collègue. Il est actuellement en arrêt-maladie et craint évidemment de reprendre son poste.

Le jugement du Conseil de prud’hommes est accablant pour l’employeur :

« Il ressort des éléments du dossier qu’un certain nombre de salariés ont confirmé, de façon très circonstanciée, avoir été témoins de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle au sein de l’entreprise sur le site de la Gare du Nord. 

Si d’autres salariées ont de leur côté affirmé ne jamais avoir été victimes de tels faits, ni les avoir constatés sur d’autres personnes ni en être les auteurs, ces éléments sont totalement insuffisants à discréditer  ». 

Il est, en effet, extrêmement difficile pour des victimes de harcèlement sexuel, a fortiori dans un milieu de travail sexiste, où les victimes sont sous lien de subordination et toujours en contact avec leur agresseur, de révéler des faits de cette nature. Il est d’autre part établi qu’un certain nombre de salariés ont subi des pressions pour faire des déclarations mensongères et que la peur pour les salariés de perdre leur emploi les a manifestement empêché de parler librement. 

Si l’on peut concevoir que l’employeur ait pu avoir quelques difficultés à se faire juge de la véracité des allégations faites par les quatre salariées alors qu’il existait au sein de l’entreprise et, plus particulièrement sur le site de la Gare du Nord, de fortes tensions d’ordre communautaire ou syndical entre les personnes concernées, il apparaît néanmoins, que d’une part, les mesures prises pour protéger les quatre salariées concernées ont été totalement inexistantes et les mesures de prévention insuffisantes et que, d’autre part, l’employeur a pris le parti délibéré de ne leur accorder aucun crédit de bonne foi et de les sanctionner de façon systématique après la dénonciation des faits. 

Ainsi, s’agissant des mesures, la société H.REINIER s’est contentée d’informer l’inspection du travail, et après avoir procédé à une enquête interne, et mandaté une psychologue dans le cadre « d’une démarche globale de prévention des risques psychosociaux et du mal être au travail » de mettre en place une cellule psychologique et un numéro vert. 

Ces mesures à elles seules ne pouvaient suffire à protéger les salariés et à prévenir la réitération des faits de harcèlement moral et sexuel. 

Cette absence de mesure réelle et efficace, que l’employeur reconnaît d’ailleurs en partie, est d’autant plus préoccupante qu’il ressort des auditions des responsables de la société H.REINIER par le Défenseur Des Droits que ces derniers connaissaient parfaitement l’environnement de travail sexiste établi au sein de l’entreprise, et le comportement déplacé de M.B. 

Il ressort des éléments du dossier qui certaines mutations ou changements d’horaires imposés aux salariées se disant victimes ont au contraire eu pour effet de les remettre ou les maintenir en contact avec ceux qu’elles dénonçaient (…) 

Ces éléments pris dans leur ensemble, et qui s’inscrivent au surplus, comme l’a relevé  juste titre le Défenseur Des Droits, dans un contexte de hiérarchisation des fonctions, de division sexuée du travail, au profit des hommes, sur fond de précarité et de dépendance économique, caractérisent des faits de harcèlement sexuel . »

Pour se débarrasser du salarié « lanceur d’alerte », l’employeur était allé jusqu’à tenter de le faire passer lui-même pour un harceleur sexuel, plainte d’une salariée de l’entreprise à l’appui, dont nous avons la certitude qu’elle a elle aussi été instrumentalisée par sa hiérarchie. Pour contredire l’employeur, le Conseil de prud’hommes relève que « l’AVFT, saisie par écrit par Mme G. des faits, n’est jamais parvenue à la rencontrer, et fait état des plus grands doutes quant à la crédibilité de ses déclarations ».

Cette décision est susceptible d’appel.

Contact : Marilyn Baldeck, déléguée générale, 06 09 42 80 21

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Notes

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1L’AVFT était représentée par Marilyn Baldeck et Sud Rail par Nazima Benbabaali
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