Harcèlement sexuel : condamnation du gérant d’une entreprise employant des personnes handicapées

Actualisation : Suite à la publication de notre article, nous avons reçu un courrier de l’entreprise Handirect services que vous retrouverez ici

En dépit de sa condamnation, il peut continuer à gérer son entreprise

Le 4 juillet 2018, le tribunal correctionnel de Paris a condamné un chef d’entreprise à douze mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans, avec une obligation de soin, d’indemnisation et une interdiction d’entrer en contact avec la victime, pour des faits de harcèlement sexuel à l’encontre d’une salariée de 28 ans reconnue travailleuse handicapée, qui avait porté plainte à peine six mois plus tôt(1).

L’AVFT, qui soutenait la victime depuis le 13 septembre 2017, était partie civile dans la procédure.

Il s’agissait d’une procédure singulière car le gérant avait reconnu les délits qui lui étaient reprochés au cours de l’enquête. L’enjeu du procès ne portait donc pas sur la preuve et la condamnation mais essentiellement sur la qualité de l’audience et la pertinence de la peine. Mais le tribunal correctionnel de Paris est passé à côté.

Maud est embauchée en 2011 par une franchise de l’entreprise Handirect services (qui vend des prestations administratives et de publipostage) qui a la particularité de fonctionner avec 80 % de salarié.es handicapé.es, dont elle promeut l’intégration dans le monde du travail. Elle se définit comme une « entreprise sociale et solidaire » et communique sur le fait que recourir à ses services est un « moyen de véhiculer des valeurs de solidarité et de citoyenneté » et de concrétiser « des stratégies de responsabilité sociale, de développement durable et de diversité ».

Pour Maud, ce travail représente évidemment beaucoup car il lui offre une stabilité et un épanouissement professionnel. Pour rappel, seules 35 % des personnes en situation de handicap occupaient un emploi en 2017(2).

Un soir de l’été 2013, alors qu’elle est seule au bureau avec son employeur, celui-ci lui touche la poitrine, passe sa main sous son t-shirt, tout en complimentant son soutien-gorge. Maud, choquée, se protège des mains et lui demande d’arrêter. Cela ne le dissuade pas, puisqu’il lui demande ensuite de toucher son « bassin » (qui correspond à son sexe dans le langage de Maud), avant de la laisser partir face à ses refus répétés.

Maud est extrêmement choquée et fait part de ces agissements à son unique collègue dès le lendemain. Elle n’aura d’ailleurs de cesse de relater à sa collègue les agissements de son employeur qui vont perdurer jusqu’en juillet 2017.

A la fin de l’été 2013, lors de la livraison annuelle des fournitures, il s’exhibe nu devant elle dans le sous-sol alors qu’elle doit lui faire passer des cartons de livraisons, comme si de rien n’était. Maud en éprouve un profond malaise. Il recommencera deux années de suite, en août 2014 et août 2015 et arrête parce que Maud a le courage de le lui demander lors de son entretien annuel de 2016.

Le gérant avait également pour habitude de se masturber régulièrement dans les toilettes de son bureau, la porte ouverte, face à un miroir qu’il avait placé « à cet effet »- comme il le reconnaît devant les services de police – de façon à ce que Maud le voie quand elle travaille.

Plusieurs fois elle essaie d’aller fermer sa porte pour ne plus être contrainte de le voir, mais il prétexte avoir « peur d’être dans le noir ». Devant les services de police, il reconnaîtra également que cet argument n’était qu’une manipulation et un  « prétexte fallacieux » pour contraindre Maud à le voir se masturber.

Il lui pose des questions sur sa vie intime et sexuelle, lui dit qu’il se masturbe en pensant à elle sous la douche, il lui demande de venir sans soutien-gorge, de mettre des collants plus fins, et lorsqu’elle est seule avec lui au bureau, il soulève sa jupe, ce contre quoi elle protestera par SMS. Mais Maud préférera plutôt ne plus jamais porter ni de robes ni de jupes au bureau, sachant pertinemment que son agresseur n’a pas l’intention d’arrêter.

Comme c’est souvent le cas, c’est après une période d’éloignement de l’entreprise, les vacances d’été 2017, que Maud réalise qu’elle ne peut plus retourner travailler ; l’angoisse qu’il se mette à nouveau nu lors de la livraison annuelle la taraude. Elle réussit enfin à en parler à ses parents. Elle dépose immédiatement une main courante, est placée en arrêt de travail par son médecin et contacte l’AVFT. Nous l’orientons vers la médecine du travail pour qu’elle soit déclarée inapte et licenciée, et vers une avocate spécialisée, Maître Maude BECKERS. Pendant plusieurs mois, nous la soutenons dans toutes ses démarches, notamment celles qui débouchent sur l’audience pénale du 4 juillet 2018 du tribunal correctionnel de Paris.

L’audience pénale, ou comment parler le moins possible de violences sexuelles

Lors de cette audience, le tribunal a été la parfaite illustration de l’euphémisation des violences sexuelles par le langage.

Le gérant de l’entreprise, Monsieur C., a été interrogé sur son « attirance » envers Maud, il lui a été demandé : « à partir de quand vous êtes vous rendu compte que vous avez des « envies », que vous avez commencé à « ressentir » quelque chose à son égard ? ».

Ce à quoi il a donc pu tranquillement répondre, sans être repris, qu’il n’avait « jamais « dragué » auparavant dans le cadre du travail ».

« Attirance », « séduction », « drague », champ lexical qui n’a pas manqué de faire réagir l’avocate de Maud, Maître BECKERS, et Clémence JOZ, qui représentait la constitution de partie civile de l’AVFT.

Monsieur C. admet simplement qu’il a « pété les plombs ».

Au stade de l’audience, Monsieur C. ayant reconnu ce dont il est accusé, le tribunal ne semblera pas chercher d’explication, au-delà de ce soi-disant « pétage de plomb ». A aucun moment, le tribunal ne le pousse dans ses retranchements et estime qu’une autre explication est plus réaliste : celle de l’abus de pouvoir et du sentiment d’impunité d’un employeur sur une salariée vulnérable sur qui les conséquences des violences sexuelles ont occasionné 180 jours d’ITT (interruption totale de travail).

Quant au procureur de la République, il demande d’abord à Monsieur C. quelle est la réaction qu’il attendait de la victime en se masturbant devant elle. Il répond qu’il voulait « être vu mais pas touché ».
Le procureur lui demande alors de préciser : « Vous n’aviez donc pas pour but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ? ».

Cette question est surprenante et même sans intérêt eu égard à l’objet de la poursuite, car Monsieur C. était renvoyé devant le tribunal correctionnel pour harcèlement sexuel, soit pour avoir imposé à Maud, « de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui ont, soit porté atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, en l’espèce notamment en lui tenant des propos de nature sexuelle, en lui soulevant sa jupe, en lui demandant de toucher son sexe, en se masturbant face à elle, en se déshabillant intégralement face à elle et en exhibant son sexe ».

Nul besoin de caractériser l’intention de l’auteur d’obtenir un « acte de nature sexuelle » comme le requiert le délit « assimilé au harcèlement sexuel(3) », qui n’était pas visé à la prévention.

Six ans après le vote de la loi 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel, qui a redéfini les contours du délit, il faut croire que les magistrats sont encore peu familiers de cette définition juridique du fait du taux stratosphérique de classement sans suite(4) et encore emprunts des réflexes liés à l’ancienne définition, abrogée par le Conseil constitutionnel(5). Le procureur de la République qualifiera même ce procès de « cas d’école » !

Un harceleur sexuel qui conserve le droit de diriger des personnes handicapées

Après trente minutes de délibéré, Monsieur C. a été condamné à une peine de douze mois d’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve pendant deux ans avec des obligations de soins, d’indemnisation de la victime et l’interdiction de rentrer en contact avec elle.

Il devra en outre verser 8.000 euros à Maud et 400 euros à l’AVFT au titre de leur préjudice moral, ainsi que 1.000 euros et 500 euros au titre des dépens.

Dans sa plaidoirie, la représentante de l’AVFT avait suggéré que la peine complémentaire d’interdiction de gestion de cette entreprise soit prononcée, pour ne pas laisser le harceleur en situation d’autorité sur des personnes potentiellement vulnérables.

Le tribunal n’a pas jugé utile de la prononcer. Cette peine complémentaire est peut-être davantage appliquée en matière de détournements de fonds ou d’abus de biens sociaux… A défaut d’interdiction judiciaire, l’AVFT entend interpeller directement le franchiseur en l’informant de la condamnation de Monsieur C., gérant de l’une de ses entreprises franchisées.

Le combat de Maud se poursuivra désormais devant le Conseil de prud’hommes, qui sera saisi après l’été.

L’AVFT sera intervenante volontaire à ses côtés.

Clémence Joz, Juriste-chargée de mission
Marine Delmotte, Juriste-stagiaire

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Notes

Notes
1Maud a subi des faits de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle qui ont duré pendant près de 4 ans. Une partie des faits étant prescrite, son agresseur n’a été jugé que sur le harcèlement sexuel commis entre 2015 et 2017
2INSEE, Emploi, chômage, revenus du travail (Fiche travail, santé et handicap), Édition 2018
3Article 222-33, alinéa 2 du Code Pénal « Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers« 
4Selon les derniers chiffres du ministère de la justice, 93,8% des plaintes pour harcèlement sexuel sont classées sans suite
5Qui définissait le harcèlement sexuel comme « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle »
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