Condamnation d’un journaliste pour harcèlement sexuel par la Cour d’appel de Versailles

Le 24 mai 2018, la Cour d’appel de Versailles a rendu un arrêt de condamnation pour harcèlement sexuel particulièrement satisfaisant à l’encontre d’un journaliste de la chaîne Africa 24.

Sa motivation est en effet irréprochable.

Après avoir rappelé la définition du harcèlement sexuel, la Cour d’appel de Versailles condamne M. E., ex-supérieur hiérarchique de Mme N., en faisant une bonne application de la technique du faisceau d’indices graves et concordants :

« En l’espèce Mme N. a dénoncé de façon constante les comportements, attouchements et propos à connotation sexuelle effectués de façon répétée de la part du prévenu.

D’autres employées qui n’ont pas déposé plainte ont dénoncé également ce même type de comportement à leur encontre, caresses, bises au coin de la bouche, regard insistant et propos déplacés.

Même les employés qui n’ont pas été victimes de mêmes faits décrivent M. E. comme « un homme à femmes », tactile, les regardant avec insistance et ont indiqué qu’un tel comportement était de notoriété publique.

Ces différents témoignages attestent qu’il était notoire au sein de l’entreprise que le prévenu avait un comportement tactile inadapté avec les femmes, leur faisant la bise au coin des lèvres ou les touchant dans le dos au niveau du soutien-gorge et qu’il avait des regards insistants.

Ce comportement était subi par les journalistes, notamment Mme N., qui sous son autorité, ne pouvait le dénoncer sans risquer de perdre son emploi. (…)

Ces dénégations n’apparaissent en rien convaincantes.

La matérialité et la répétition dans le temps des faits de harcèlement, sont en l’espèce suffisamment caractérisées par la crédibilité des propos de Mme N., la constance de ses déclarations et le nombre de témoignages recueillis sur le comportement habituel du prévenu.

Ces agissements en ce qu’ils ont été répétés et imposés de façon habituelle ont porté atteinte à la dignité de Mme N. par leur caractère humiliant et dégradant. Les certificats médicaux produits attestent que Mme N. a présenté des troubles digestifs, du sommeil et un syndrome anxio-dépressif.

M. E., supérieur hiérarchique de Mme N. a abusé de son autorité et n’a pu ignorer es conséquences humiliantes et dommageables de ses propos et comportements de nature sexuelle sur la partie civile ».

Il a été condamné, comme devant le Tribunal correctionnel de Nanterre, à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et à verser 5000 € de dommages-intérêts à Mme N. et 2500 € à l’AVFT, partie civile.

Cette salariée avait par ailleurs obtenu en 2016 la condamnation de son ancien employeur, AFRIMEDIA, par la Cour d’appel de Versailles notamment pour harcèlement sexuel et nullité de la rupture de son contrat.

Retour sur l’inaction initiale du parquet de Nanterre

Mme N. avait déposé plainte le 10 avril 2013 et l’AVFT avait fait parvenir une lettre au procureur de Nanterre pour la soutenir fin janvier 2014, sans réponse.

L’avocate de Mme N., Audrey Leguay, avait écrit en octobre 2015 de nombreuses lettres de relance au parquet de Nanterre afin de connaître sa décision et obtenir copie du dossier pénal, en vain.

Nous finissions par entrer directement en contact par mail avec un substitut du parquet qui écrivait à Me Leguay le 3 mai 2016 : « En réponse à votre mail du 19 avril 2016, je vous informe que la plainte déposée par Mme N. à l’encontre de M. E. a été envoyée en enquête le 15 juin 2015 auprès du commissariat de Saint-Cloud. Je m’étonne que ce service n’ai pas encore pris contact avec votre cliente et je l’ai relancé aujourd’hui pour faire avancer cette enquête et être informé de son avancée. Je ne peux évidemment vous communiquer le dossier pénal qui est couvert par le secret de l’enquête ».

Contre toute attente, Me Leguay était destinataire dans les jours suivants d’une infime partie du dossier pénal (alors que la plainte n’était officiellement pas classée et donc toujours couverte par le secret !). Ces pièces nous apprenaient que M. E. était inscrit au FIJAIS (Fichier des Auteurs d’Infractions Sexuelles), donc qu’il avait déjà été condamné définitivement pour un crime ou un délit à caractère sexuel.

Laure Ignace, en charge du dossier de Mme N. à l’AVFT avait alors écrit au procureur en lui rappelant que Mme N. avait déposé plainte plus de trois ans auparavant, que nous savions que plusieurs autres victimes avaient été auditionnées par la police alors que le dossier pénal reçu par Me Leguay ne comprenait que deux procès-verbaux : l’audition de M. E. en date du 22 mai 2015 (soit deux ans après la plainte!) et l’information selon laquelle il est fiché au FIJAIS « nous laissant perplexe sur l’impunité d’un homme visiblement récidiviste ». Nous apprendrons plus tard dans la procédure que ce dernier avait été condamné en 1997 à 10 ans de réclusion criminelle pour viol sur mineur.

L’AVFT demandait au parquet si nous devions « déduire de la réception de ces premiers PV qu’un classement sans suite a été décidé ? ».

Le substitut de la procureure de la République(1) se lançait dans un travail d’archéologie pour faire la lumière sur ce dossier. Le 3 juin 2016, il nous écrivait : « Je vous informe que j’ai (enfin) retrouvé le dossier concernant la plainte de madame N. (…) Ce dossier n’était apparemment pas classé et je ne m’explique pas comment une copie, même partielle, a pu vous parvenir en cours d’enquête. Après une lecture attentive de cette procédure, j’ai décidé de poursuive monsieur E. des chefs de harcèlement sexuel (…) »

Une persévérance qui, une fois n’est pas coutume, a été couronnée de succès.

Laure Ignace,
Juriste.

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Notes

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1Mme Catherine Denis, en fonction au TGI de Nanterre depuis janvier 2015
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