Poursuites-baîllons : on en sommes-nous ?

A l’approche du délibéré que la 17ème chambre du TGI de Paris rendra vendredi 19 avril suite aux poursuites en diffamation exercées par Denis Baupin à l’encontre de ses accusatrices, de témoins et de journalistes, nous avons souhaité faire le point (poing ?) sur les poursuites pour diffamation et dénonciation calomnieuse exercées à l’encontre des femmes que nous soutenons.

Notre point de départ est l’année 2010, année de la réforme législative du délit de dénonciation calomnieuse.

Depuis 2010 nous dénombrons sept procédures clôturées (trois pour diffamation, quatre pour dénonciation calomnieuse) et quatre procédures encore en cours, pour dénonciation calomnieuse.

Sur les quatre procédures en dénonciation calomnieuse clôturées, trois avaient démarré avant la modification législative du délit. Trois femmes ont été relaxées : Mme K. évidemment, au terme d’une procédure de réexamen après une condamnation de la France par la Cour européenne des Droits de l’Homme, Mme X, fonctionnaire d’État, et « Amanda », qui travaillait pour un tatoueur parisien, procédure sur laquelle nous allons prochainement revenir. Une femme a été condamnée par la Cour d’appel de Paris dont nous jugeons les motivations scandaleuses, comme nous l’avions déjà écrit. Les trois procédures pour diffamation clôturées se sont soldées par des relaxes (commentaires à venir).

Sur les quatre procédures en dénonciation calomnieuse actuellement en cours, l’une a été engagée avant 2012 (!). Mme SB, qui a été condamnée en première instance en application d’un texte qui n’était plus en vigueur (…), sera rejugée en appel le 16 mai prochain. Une autre procédure, audiencée le 13 mai prochain, concerne une femme qui a également été poursuivie pour diffamation par le même homme, et relaxée de ce chef. L’issue de cette procédure n’est donc pas un motif d’inquiétude. Les deux dernières visent deux collègues de travail qui se sont plaintes du harcèlement sexuel de leur employeur, dans un service déconcentré de l’État. L’audience aura lieu le 22 octobre 2019.

Qu’en dire ?

Tout d’abord, quantitativement : dans les procédures suivies par l’AVFT, nous dénombrons onze procédures en neuf ans. Onze de trop assurément, même si le risque judiciaire pour les femmes ayant révélé des violences sexuelles masculines est beaucoup moins élevé qu’avant la réforme du délit de dénonciation calomnieuse, obtenue au terme de plusieurs années de combat de l’AVFT(1).

Cette réforme n’a pas empêché la condamnation de Mme B., dans une procédure d’une rare iniquité(2).

Nous maintenons donc l’analyse que nous avons déjà exposée dans le cadre du rapport d’information parlementaire sur l’évaluation de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, publié le 16 novembre 2016(3) : même si la réforme du délit de dénonciation calomnieuse, en 2010, a constitué une étape importante dans la sécurisation des parcours judiciaires des victimes, la modification du délit demeure inachevée et doit être poursuivie; il en va de l’effectivité des droits des victimes de violences sexuelles.

Il est par ailleurs manifeste que le délit de diffamation a servi de délit de « repli » après la modification du délit de dénonciation calomnieuse pour exercer des représailles judiciaires à l’encontre des femmes ayant osé dénoncer les violences commises à leur encontre. Les poursuites pour diffamation étaient en effet quasi-inexistantes auparavant. Une jurisprudence protectrice pour les salariées ayant dénoncé du harcèlement sexuel auprès de leurs employeurs et les revers judiciaires de ceux qui les ont initiés vont peut-être y mettre un coup d’arrêt, d’autant que certaines procédures se sont complètement retournées contre eux.

Pour illustrer notre propos, nous allons entrer dans le détail des quatre procédures clôturées dont nous n’avions pas encore rendu compte, en quatre « épisodes ». Nous commençons aujourd’hui par la procédure en diffamation publique intentée à l’encontre de Jeanne, gardienne d’immeuble à Paris, et publierons les trois prochains jours au sujet des procédures qu’ont dû affronter Alice, comédienne à Paris, poursuivie pour diffamation non publique, Leila, agente territoriale en Bourgogne, poursuivie pour diffamation publique, et Amanda, qui travaillait pour un tatoueur parisien, poursuivie pour dénonciation calomnieuse.

Marilyn Baldeck

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Notes

Notes
1Pour en prendre connaissance, inscrire « dénonciation calomnieuse » dans le moteur de recherche de www.avft.org
2Notamment parce que Mme B a été condamnée alors que les deux hommes qu’elle accusait de harcèlement moral et sexuel avaient initialement été poursuivis par le parquet, avant d’être relaxés.
3« Proposition n° 7 : mener une réflexion sur la définition de la dénonciation calomnieuse figurant dans l’article 226-10 du code pénal.« 
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