Violences sexuelles au travail : la grande braderie continue !

Après le Parquet de Lyon, qui vient de contraventionnaliser des agressions sexuelles aggravées en outrage sexiste, c’est maintenant le Parquet de Bordeaux qui casse les prix sur le harcèlement sexuel au travail !

Mme X., employée de mairie dans une commune de Nouvelle-Aquitaine depuis plus de 20 ans, reprend le travail à mi-temps thérapeutique après un arrêt maladie. Sa vulnérabilité est donc connue de son supérieur hiérarchique, directeur général des services de la commune, lorsqu’il lui adresse des SMS à caractère sexuel sur son portable un soir, après une brève discussion téléphonique à caractère professionnel.

Il lui écrit notamment : « J’adorerais te lécher », ce à quoi elle répond tu tac au tac : « Là tu délires !!!! ». Il réplique : « Oh c’est bon » ; « Non pas du tout ». Puis « juste un câlin ». Il revient à la charge quelques heures plus tard : « Ton sexe… du bonheur » ; « Grr… j’aimerais que tu te bouges ».

Il prétend avoir écrit ces SMS sous l’empire de l’alcool.

L’histoire aurait pu s’arrêter là.

Sauf que son supérieur hiérarchique change d’attitude : il devient agressif et la met à l’écart de réunions. Lorsqu’elle cherche à connaître la raison de sa mise à l’écart des réunions de cadres, il esquive la réponse. Alors qu’elle insiste, il la somme de ne pas lui manquer de respect. En d’autres termes, il exerce des représailles. C’est l’élément déclencheur de sa plainte.

Quinze jours plus tard, la fille d’une deuxième agente municipale porte plainte pour des faits similaires qui sont déroulés postérieurement.

Trois ans plus tard (!), cette deuxième femme et elle-même reçoivent un avis d’audience à victime du Parquet de Bordeaux… pour une audience de… Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC) qui aura lieu en janvier 2019, portant sur l’infraction… d’envoi de messages malveillants.

Exit la qualification de harcèlement sexuel, au profit d’un délit défini et réprimé comme suit :

« Les appels téléphoniques malveillants réitérés, les envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques ou les agressions sonores en vue de troubler la tranquillité d’autrui sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». (Article 222-16 du Code pénal)

La dimension sexuelle et sexiste est balayée sous le tapis judiciaire puisque les appels deviennent seulement « malveillants », au mépris du vécu de la victime.

Le parquet met sur le même plan un acte à caractère sexuel et sexiste dans le cadre du travail (donc dans le cadre d’un rapport de subordination, et dans un contexte de contrainte économique), et des appels revanchards à un voisin, par exemple.

Le vécu spécifique des femmes victimes de harcèlement sexuel au travail est nié, le caractère pédagogique de la réponse pénale fortement amoindri.

Les faits sont banalisés, minimisés, tant symboliquement que concrètement :

– Le harcèlement sexuel est deux fois plus lourdement sanctionné que les appels téléphoniques malveillants et, contrairement à cette dernière infraction, des motifs d’aggravation sont prévus (comme l’abus d’autorité).

– La dimension stigmatisante d’une condamnation pour des infractions de nature sexuelle disparaît également.

On fait (presque) comme si de rien n’était.

La nécessaire prophylaxie dans l’entreprise ou la collectivité est rendue impossible par ce travestissement des faits, et tend également à détourner l’employeur de ses obligations spécifiques en la matière.

La procédure de CRPC quant à elle, peut se décrire comme un arrangement entre le Parquet et le prévenu, sur le dos de la victime.

Comme son nom l’indique, le principe de la CRPC est la reconnaissance des faits par le prévenu. En l’occurrence, celui-ci n’avait guère de choix, ses messages à caractère sexuel imposés à sa subordonnées étant matériellement établis.

La première phase de la procédure de CRPC est une proposition, par le procureur, d’une peine au prévenu. Dans la pratique, il s’agit d’une négociation dont la victime est écartée. Elle n’a non seulement pas son mot à dire, mais encore, elle en est totalement absente physiquement, même comme témoin, cette phase se déroulant dans un tête à tête entre le prévenu (assisté par son avocat) et le Parquet.

La victime ne peut pas s’opposer au choix de cette voie procédurale.

En cas d’accord, le parquet saisit le.la président.e du tribunal pour une audience dite d’homologation. Lors de cette audience, la victime n’aura, la plupart du temps, droit à la parole que pour chiffrer son préjudice et demander des dommages-intérêts, dans un temps très court, qui n’a rien à voir avec ce qui lui serait réservé en cas de procès correctionnel.

Excluante pour la victime, cette procédure utilisée en matière de harcèlement sexuel contrevient directement à l’article 48 de la Convention du Conseil de l’Europe dite « d’Istanbul » contre la violence à l’égard des femmes, ratifiée par la France le 4 juillet 2014 et entrée en vigueur le 1er novembre 2014, qui interdit « les modes alternatifs de résolution des conflits obligatoires, y compris la médiation et la conciliation, en ce qui concerne toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention . »

Or si le parquet de Bordeaux a fait usage du principe d’opportunité des poursuites pour disqualifier le harcèlement sexuel au profit de l’infraction d’appels téléphoniques malveillants, cette procédure s’impose sans alternative à la victime : elle est bien « obligatoire » pour elle.

Et pour les harceleurs, les promos continuent !

Elodie Tuaillon-Hibon et Marilyn Baldeck

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