#ArroseurArrosé 1 : Jeanne, relaxée de poursuites en diffamation publique

Jeanne est gardienne d’immeuble et est victime de harcèlement sexuel commis par le président du conseil de copropriété.

Elle finit par adresser une lettre à la société gestionnaire de la copropriété, qui est le mandataire de son employeur, et en a envoyé une copie à l’inspection du travail. Voici un extrait :

« En effet, depuis presque un an, ce monsieur se permet de me faire des remarques sexistes, jusqu’à me faire des avances. Ces derniers temps, vu que j’essaie de l’éviter à tout prix, il m’a fait comprendre que je risquais de perdre mon travail si je ne cédais pas, et depuis lors, il remet systématiquement en question la qualité de mon travail, ne cessant de me faire des réflexions à tout propos, comme s’il cherchait un prétexte pour me prendre en faute et ainsi pouvoir mieux faire pression sur moi. ».

Le 20 février 2018, le TGI de Paris la relaxait au terme d’un raisonnement juridique qui ne nous semble pas conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation mais qui a l’avantage d’amener l’argumentation sur le fond du dossier(1).

En effet, Jeanne a dénoncé des agissements de harcèlement sexuel à son employeur et à l’inspection du travail. Or la Cour de cassation interdit les poursuites pour diffamation à l’encontre des salariées ayant relaté de tels agissements tant auprès de leur employeur que des « organes chargés de l’application des dispositions du Code du travail » (Cass, 1ère civ., 28 septembre 2016).

Le tribunal aurait donc pu se contenter de ce constat pour relaxer Jeanne.
Mais il y ajoute une condition : il faudrait en plus qu’elle établisse sa bonne foi. Ceci n’a aucun sens, puisque cela revient à aligner les droits des salariées dénonçant du harcèlement sexuel dans le cadre de leur travail sur ceux des personnes se plaignant de harcèlement sexuel en dehors de tout contexte professionnel et des canaux ci-dessus évoqués, alors que la Cour de cassation a justement voulu apporter une protection maximale aux premières dans un attendu d’une simplicité biblique : « La relation de tels agissements, auprès des personnes précitées, ne peut être poursuivie pour diffamation ».

Il semblerait que le tribunal ait fait une lecture en diagonale de l’attendu qui lui succède immédiatement :

« Que, toutefois, lorsqu’il est établi, par la partie poursuivante, que le salarié avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués, la mauvaise foi de celui-ci est caractérisée et la qualification de dénonciation calomnieuse peut, par suite, être retenue ; »

La Cour de cassation précise donc justement que lorsqu’un.e salarié.e a dénoncé de mauvaise foi des agissements constitutifs de harcèlement moral ou sexuel auprès de son employeur ou « des organes chargés de l’application du Code du travail », il-elle ne peut être poursuivi.e pour diffamation, mais pour dénonciation calomnieuse.

Il n’était donc point besoin pour le tribunal d’établir que Jeanne était de bonne foi pour la relaxer du délit de diffamation. Peut-être était-ce une façon pour les juges de ne pas éluder le fond pour mieux renvoyer le plaignant dans ses buts ?

Car en fait d’établir la bonne foi de Jeanne, en listant les pièces qu’elle produit (témoignages et certificat médical), le tribunal dessine les contours de la culpabilité du plaignant, au point de conclure que tous ces éléments sont de nature « sinon à démontrer, en tout cas à corroborer les faits dénoncés ».

Ce faisant, les juges ont savonné la planche de celui qui a aussi cité Jeanne pour dénonciation calomnieuse devant le tribunal correctionnel. Souhaitons-le amateur d’architecture contemporaine car pendant l’audience du 13 mai prochain, il pourra tout aussi bien visiter le nouveau Palais de justice tant nous pouvons en prédire l’issue. La bonne foi de Jeanne, établie par un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée, interdit en effet toute condamnation pour dénonciation calomnieuse.

Et ce n’est pas tout : l’AVFT s’est aussi servie de ce jugement pour soutenir la plainte pénale de Jeanne pour harcèlement sexuel en écrivant au procureur de la République.

Marilyn Baldeck

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Notes

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1Jeanne était défendue par Me Elodie Tuaillon-Hibon.
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