Ce mercredi 8 décembre 2021, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Georges Tron (1). L’arrêt de la Cour d’assises d’appel de Paris du 17 février 2021, le condamnant pour viol en réunion et délits connexes d’agressions sexuelles à 5 ans d’emprisonnement, dont 2 assortis du sursis, et à 6 ans d’inéligibilité, est donc désormais définitif.
Brigitte Gruel, co-accusée, qui ne s’était pas pourvue en cassation, est condamnée à 2 ans d’emprisonnement totalement assorti du sursis simple, pour complicité de viol en réunion et délit connexe d’agressions sexuelles en réunion, commis sur Virginie Ettel.
La décision de la Cour d’assises d’appel était venue établir une vérité dénoncée par Virginie Ettel depuis plus de 10 ans. L’arrêt de la Cour de cassation met enfin un terme à une longue procédure. Pour Virginie, le chemin a été dur, au-delà de l’imaginable (2).
L’AVFT, qui a accompagné, soutenu, et défendu Virginie Ettel, était saisie depuis le 15 novembre 2010.
Retour sur une décennie de lutte, ayant abouti à une décision rare : la condamnation d’une importante personnalité politique (un ancien secrétaire d’Etat, député et maire, en fonction au moment où les plaintes été déposées), et de son adjointe.
Pas la « bonne victime »
Depuis des décennies, l’AVFT travaille auprès des victimes, mais aussi des employeurs, salarié∙es, agent∙es, ou encore magistrat∙es et juré∙es, pour déconstruire les stéréotypes qui pèsent sur les femmes victimes de violences sexuelles, obstacle majeur à la saisine de la justice, puis à son effectivité lorsqu’elle est saisie et, in fine, à la condamnation des agresseurs.
Les comportements des femmes qui dénoncent des violences sexuelles sont scrutés, et interprétés de manière suspicieuse : qui étaient-elles avant de porter plainte ? Qu’ont-elles fait pour que les agresseurs les touchent, les pénètrent ? Mais pourquoi ont-elles adopté tel comportement après les violences sexuelles ? Les violences qu’elles ont dénoncées sont très graves, pourquoi ont-elles survécu ?
Quand les violences sexuelles sont commises dans le cadre du travail, les victimes se voient reprocher de ne pas avoir crié pour alerter leurs collègues se trouvant dans le bureau d’à côté, de ne pas avoir immédiatement saisi leur employeur, d’être revenues travailler alors qu’elles sont en contact avec l’agresseur quotidiennement, de ne pas avoir démissionné… Pourtant, les raisons pour lesquelles elles ont des difficultés à dénoncer les agissements de leur supérieur hiérarchique (par exemple) peuvent être comprises par tout un chacun : elles sont communes à toutes les personnes qui ne souhaitent/ne peuvent pas risquer de perdre leur travail.
Les suspicions exprimées par leurs interlocuteur∙trices pèsent dans les procédures judiciaires : elles se traduisent soit par le transfert de la responsabilité des violences sur la victime (« si c’est arrivé, c’est de sa faute »), soit par la remise en cause de leur parole (puisque son comportement s’éloigne de l’image que l’on a de la « bonne victime » : elle ment).
Comme de nombreuses femmes auprès de qui l’AVFT intervient, Virginie Ettel s’éloignait dangereusement de ce qui était attendu d’une victime : elle était tout d’abord mariée, avec un homme qui avait une situation très confortable. Quelle idée alors de travailler ! Et de continuer à travailler plusieurs mois après les violences sexuelles, alors qu’elle n’avait pas le couteau d’un banquier sous la gorge ! Et puis, Virginie Ettel a eu une relation extra-conjugale, qui a commencé quelques jours après les agressions sexuelles commises par Georges Tron et Brigitte Gruel. Une femme violée qui continue à avoir une sexualité n’est plus crédible : elle est forcément déchue, dans l’incapacité de tisser des liens, y compris amoureux et sexuels. Et si elle a un amant, elle ne remplit pas la condition sine qua non pour être reconnue comme victime par la société : elle n’est pas moralement irréprochable.
Par ailleurs, Virginie Ettel a déposé plainte contre un homme puissant, décrit comme un « bel homme », éveillant des suspicions supplémentaires, basées sur une confusion entre sexualité et violences sexuelles. La crédibilité de ses dénonciations est en effet mise en cause, au regard de la capacité de séduction supposée du violeur, qui n’aurait ainsi « pas besoin » de commettre des violences sexuelles.
L’institution judiciaire n’est pas épargnée par tous ces stéréotypes. Virginie Ettel en a largement fait les frais.
Elle a déposé une plainte en mai 2011. La procédure démarre plutôt bien. Sa plainte est rapidement prise au sérieux et l’enquête préliminaire, qui permet d’entendre pas moins d’une cinquantaine de témoins en un mois (dont deux salariées de l’AVFT), conduit à désigner deux juges d’instruction, qui mettent immédiatement en examen Georges Tron et Brigitte Gruel, le 22 juin 2011. Jusqu’au début de l’année 2012, de nombreux actes d’instruction sont réalisés.
Mais le 15 mai 2013, le parquet rend un réquisitoire de non-lieu, pétri de préjugés sexistes, présentant Virginie Ettel comme une menteuse. Plus que son ignorance en matière de violences sexuelles, le parquet démontre une volonté claire de décrédibiliser ses dénonciations. L’ensemble de ses réactions est observé à la loupe, non pas pour identifier les indices des violences sexuelles et leurs conséquences, mais pour établir qu’elle est une affabulatrice. Florilège des reproches que fait le parquet dans son réquisitoire à Virginie Ettel pour décrédibiliser ses dénonciations :
- Avoir continué le processus de recrutement à un poste d’agente à la mairie de Draveil alors qu’au cours des deux rencontres avec Georges Tron, ce dernier lui avait saisi les pieds pour une séance improvisée de « réflexologie » : « On peut s’interroger à ce stade sur l’attitude de Virginie qui, si on en croit ses déclarations, était contrariée par le comportement de l’élu. Mais elle n’exprimait aucun refus. Après le premier rendez-vous, elle acceptait toutes les invitations qui lui étaient faites alors qu’elle pouvait se douter des intentions de Georges TRON à son égard. On comprend dès lors difficilement qu’ainsi alertée, elle n’ait pas mis fin au processus de recrutement ». Ainsi, le fait que Georges Tron se saisissent des pieds d’une future agente n’est absolument pas questionné : c’est la réaction de la victime qui est en cause. Les agissements du potentiel employeur sont alors décrits comme « une forme d’approche ou de jeu de séduction qui n’est pas en soi répréhensible ».
- Vouloir travailler alors qu’elle était mariée à un homme qui pourvoyait aux besoins du foyer : « On comprend difficilement (…) qu’elle n’ait pas mis fin au processus de recrutement (…) d’autant que la situation financière de sa famille ne lui imposait pas de prendre ce travail à tout prix ». En ne faisant du travail que ce qui satisfait des besoins économiques, le parquet a fait ainsi fi de plusieurs décennies de travaux de recherche sur la centralité du travail dans la vie des individus, son importance en termes de construction identitaire, d’estime personnelle, de place dans le monde, de sentiment d’accomplissement.
- Avoir fait une tentative de suicide le soir du viol mais l’avoir daté au mois d’après : « Les motifs de sa tentative de suicide restaient obscurs. Si elle mettait en avant, sans d’ailleurs vraiment l’expliciter, le traumatisme subi suite aux faits, son argumentation était affaiblie par le fait qu’en situant sa tentative de suicide en décembre 2009, elle n’avait pas fait d’elle-même la corrélation (qui pouvait pourtant paraître assez évidente) entre les faits et la tentative de suicide… qui s’étaient déroulés à la même date ». Alors que l’examen du dossier démontrait que ce soir-là, elle avait bien fait une tentative de suicide (intervention des pompiers), ce à quoi le parquet aurait dû s’attacher, plutôt que de rechercher des explications oiseuses à cette erreur de date.
- Avoir affirmé que Brigitte Gruel avait fermé à clé la salle dans laquelle elle avait été violée alors que « l’enquête établissait qu’il n’y avait pas de serrure à la porte mais un simple bouton rotatif » !
- Ne pas avoir réagi au cours du viol commis par le maire avec la complicité de son adjointe après un déjeuner professionnel au cours duquel elle avait déjà été victime de leurs agissements : « l’absence totale de réaction de Virginie (alors que c’était tout à fait possible) (…) sont autant d’éléments qui mettent en cause la fiabilité de son récit ». Alors que c’est justement la sincérité de son récit – elle n’invente pas l’expression explicite d’une absence de consentement qui n’a pas existé – qui aurait dû convaincre de la fiabilité de son récit.
- Ne pas avoir immédiatement quitté son poste : « elle ne prenait aucune mesure particulière, ne démissionnait pas, alors que la gravité des faits l’aurait pleinement justifié ». Cela se passe de commentaire.
- Ne pas avoir confronté Georges Tron et Brigitte Gruel quant aux violences sexuelles qu’ils lui avaient imposées : elle « ne demandait pas d’explication aux mis en cause ». Cela se passe (encore plus) de commentaire.
- Avoir souhaité pérenniser son emploi : « un mois après les faits (…) Virginie émettait le vœu d’être stagiairisée à la mairie, c’est-à-dire d’obtenir un statut ouvrant la voie à la titularisation. Cela pouvait interroger alors même qu’elle venait d’être agressée sexuellement ».
- Avoir eu un amant après avoir été victime de violences sexuelles : « Cette liaison avec PC ne peut qu’interroger alors que la partie civile faisait part d’un traumatisme important suite aux faits, au point de ne pouvoir supporter jusqu’au parfum de GT et d’exprimer une très forte gêne aux services enquêteurs, le 26 mai 2011 (soit seize mois après les faits) à être interrogée par un fonctionnaire homme ».
Le parquet s’attache ensuite, pour apprécier « la contrainte morale de manière concrète », à évaluer la « capacité de résistance de la victime », et si la résistance qu’elle a opposée « peut être considérée comme suffisante » face aux assauts de Georges Tron et de Brigitte Gruel. De manière classique, le parquet cherche à caractériser un élément (« si la résistance de la victime était suffisante ») absent de la définition légale du viol. Mais en plus, cette recherche est polluée par des biais sexistes ; pour le parquet il était donc possible pour Mme Ettel d’éviter le viol puisque plusieurs femmes « qui avaient pour certaines le même lien de subordination professionnelle que Virginie » avaient déjà opposé leurs refus de se faire masser les pieds et que leurs emplois n’avaient pas été menacés. Mais aussi, le parquet, entretenant l’idée selon laquelle les violences sexuelles appartiennent au registre de la sexualité, et non de la violence et de la domination, met en doute l’impossibilité de Virginie Ettel de réagir au regard de son âge et de sa vie intime – comme si les femmes (très) jeunes étaient les seules personnes susceptibles d’être victimes de viols : « Virginie était âgée de 32 ans au moment des faits. C’était donc une femme expérimentée, au demeurant mariée, et qui, ainsi que le démontrait l’instruction, n’était pas sans relations amicales voire sentimentales et même extraconjugales avec d’autres hommes ». Le parquet, cynique, affirme également que compte tenu du « déroulement progressif des faits », Virginie Ettel aurait pu réagir et même, qu’il lui était possible « de dire qu’elle ne souhaitait pas que les choses aillent plus loin, de le montrer par un geste de recul ou de dégagement, d’user de subterfuges pour quitter les lieux (prétendre avoir une urgence, passer un appel téléphonique…) ou encore, en dernière extrémité, de crier ou de se débattre » !
Virginie Ettel avait bien exprimé son absence de consentement : elle n’avait exprimé aucune adhésion à la situation, était restée inerte jusqu’à ce qu’elle puisse enfin rentrer chez elle. Elle a rappelé qu’elle n’avait pas participé aux faits, qu’elle était « tétanisée » et que son corps était « raide et passif ».
Ni Georges Tron, ni Brigitte Gruel ne pouvaient imaginer que Virginie Ettel était consentante ; il et elle ne s’en sont d’ailleurs jamais assuré∙es, alors même qu’aucune situation antérieure ne pouvait laisser penser à la victime qu’un tel évènement allait survenir. Et, face à l’absence de participation de Virginie Ettel à la scène qui se déroulait malgré elle, ni l’un ni l’autre ne se sont inquiété∙es de son inertie : c’est bien que son adhésion à ces actes sexuels était hors-sujet.
Le 9 décembre 2013, le non-lieu requis par le parquet était prononcé par les juges d’instruction en charge de l’affaire, sur des motifs comparables, teintés de culture du viol.
Les magistrats instructeurs ont par exemple retenu que les dénonciations de Virginie Ettel étaient décrédibilisées par ses imprécisions, non pas concernant les faits de violences sexuelles rapportés de manière constante, mais les circonstances les ayant entourées, suspectes au regard de son statut de « femme ayant une certaine expérience de la vie, mariée et mère de famille ».
Virginie Ettel a toujours décrit la raideur de son corps, son absence totale de réciprocité aux gestes imposés par Georges Tron et Brigitte Gruel. L’ordonnance préfère retenir son absence d’ « opposition physique » comme un élément à décharge, Virginie Ettel « ne criant ni ne disant même son opposition, ne tentant pas de quitter les lieux, qui n’étaient pas fermés à clé » mais fermés par un bouton rotatif… bien qu’elle ait fait état de « la soudaine crainte qu’elle avait ressentie et qui l’avait paralysée ».
Il lui est encore reproché de n’avoir pris « aucune disposition pour ne plus être en contact avec ses agresseurs : elle retournait travaillait, ne démissionnait pas malgré la gravité des faits dénoncés et alors que le niveau de revenus de son couple le lui permettait sans mettre en péril sa famille ».
La relation extra-conjugale qu’elle avait eue avec un agent de la mairie (et d’autres prétendues liaisons, inventées de toutes pièces) est également lu comme un élément à décharge, jetant « le trouble sur la sincérité du reste de ses déclarations ainsi que sur l’ampleur du traumatisme qu’elle disait avoir subi, alors même que les faits qu’elle dénonçait étaient contemporains à ces liaisons ».
Virginie Ettel avait fait circuler l’information selon laquelle elle était atteinte d’un cancer de l’utérus, information fausse, espérant qu’elle arrive jusqu’aux oreilles de Georges Tron, connu pour sa répulsion pour la maladie, afin de se protéger de ses attaques sexuelles. Plutôt que d’y voir une stratégie d’évitement, les magistrats l’ont analysé comme des « mensonges sur son état de santé que Virginie reconnaît avoir servi à nombre de personne sur la période », qui « tendent à amoindrir la force de sa parole ».
Les avocat.es des parties civiles et l’AVFT ont évidemment fait appel de cette ordonnance de non-lieu. L’AVFT a pointé les nombreux stéréotypes présents dans l’ordonnance, dénonçant l’idée reçue selon laquelle c’est aux victimes de prendre des mesures pour se protéger des agresseurs, et rappelant que ce renversement des responsabilités entre agresseurs et victimes ne pouvait prospérer juridiquement : Virginie Ettel n’aurait pas dû être violée et agressée sexuellement dans le cadre de ses relations de travail.
Le 14 décembre 2014, la Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, livrant une lecture beaucoup plus juste du dossier, renvoyait enfin Georges Tron et Brigitte Gruel devant une Cour d’assises.
Fin 2017, une première Cour d’assises, dépaysée à Bobigny, devait être renvoyée au bout de trois jours, tant le dispositif prévu par l’institution n’était pas adapté au procès (10 jours d’audience étant seulement prévus pour l’audition d’une quarantaine de témoins). L’AVFT est déjà revenue sur le naufrage qu’a été ce procès.
La justice avait vu plus large pour la deuxième Cour d’assises qui s’est tenue du 23 octobre au 15 novembre 2018. Elle a abouti à l’acquittement de Georges Tron et Brigitte Gruel, alors même que la motivation de l’arrêt retenait « que Georges Tron et Brigitte Gruel avaient bien participé à des ébats sexuels en présence de tiers et que les faits dénoncés par s’étaient inscrits dans un climat général hypersexualisé entre Georges TRON et plusieurs de ses collaboratrices» et qu’ «un tel contexte a conduit à estimer avérées les scènes à caractère sexuel dénoncées par les plaignantes ». Alors que les mensonges – utiles et défensifs des victimes – leur portent préjudice, les mensonges éhontés des accusés n’ont pas ébranlé la justice.
Face à une décision si incompréhensible, l’AVFT avait accueilli avec soulagement l’appel du parquet (nécessaire à la tenue d’une Cour d’assises d’appel).
La Cour d’assises d’appel s’est tenue du 19 janvier au 17 février 2021, à Paris. L’AVFT, partie civile, était représentée par Maître Elodie Tuaillon-Hibon.
Et la justice fût enfin rendue
Les débats devant la Cour d’assises d’appel de Paris auront duré quatre semaines. Ils ont été éprouvants pour les parties civiles, tant les journées étaient denses, les auditions poussées(3), et les mensonges de la partie adverse lourds .
Ces quatre semaines ont toutefois permis d’offrir l’image d’une justice digne, remplissant son office : faire jaillir la vérité d’une procédure orale. La Cour, et particulièrement sa présidente, a mené les débats avec rigueur, finesse, compétence et impartialité, et est systématiquement intervenue pour garantir la sérénité des débats, avec une autorité et une fermeté la dispensant d’autoritarisme. Pointant sans relâche les incohérences et les contradictions des témoins venus mentir à la barre, confrontant les co-accusé∙es aux déclarations que venaient de faire les témoins, la Cour et les jurés ont ainsi percé le « système Tron », mis en place pour sa défense.
Virginie Ettel a elle aussi été interrogée avec minutie, de sorte qu’aucune contradiction, réelle ou apparente et qu’aucun questionnement, ne sont restés dans l’ombre.
C’est donc la grande qualité des débats qui a permis d’aboutir à une condamnation partielle de Georges Tron et Brigitte Gruel pour les agissements dénoncés par Virginie Ettel.
En raison du caractère sérieux et méthodique de ces quatre semaines d’audience, la Cour d’assises ne peut par ailleurs pas être suspectée d’avoir cédé à une prétendue pression du mouvement « Metoo », refrain que nous avons à maintes reprises entendu pendant cette procédure, depuis 2017, jusque dans la bouche de l’épouse de Georges Tron :
« C’est très à la mode les accusations de viol. Ça devient ridicule. Aujourd’hui si on n’est pas accusé de viol en tant qu’homme politique c’est pas normal ».
Si cette décision est exemplaire, elle n’a pas été rendue « pour l’exemple ».
Cette condamnation est une victoire, parce qu’elle reconnaît Virginie Ettel comme victime de viol et d’agression sexuelle, et Georges Tron, homme politique puissant, et son adjointe Brigitte Gruel, comme coupables.
Mais aussi parce qu’en plus de livrer une compréhension fine des violences sexuelles commises dans le cadre du travail, elle est une illustration lumineuse de la règle de preuve au pénal, en matière de violences sexuelles : le faisceau d’indices concordants. En effet, et on ne le rappellera jamais assez, l’idée selon laquelle ce serait « parole contre parole » est une mystification patriarcale. Elle constitue un levier puissant pour les agresseurs, qui s’assurent ainsi du silence des victimes, conscientes de la faible valeur de leur parole dans notre société. Pourtant, non seulement les déclarations seules d’une plaignante ne suffisent pas à ce qu’un tribunal entre en voie de condamnation (et même, pour qu’une plaignante accède à un tribunal), mais surtout, un tribunal ne peut s’appuyer uniquement sur les dénégations du mis en cause pour ne pas reconnaître sa culpabilité : c’est l’appréciation des éléments révélés par la procédure qui permet aux magistrat∙es et jury populaire d’être éclairé∙es et de se forger une conviction.
La motivation de l’arrêt rendu par la Cour d’assises d’appel de Paris applique ainsi la règle :
Le récit de Virginie Ettel, s’il n’est pas suffisant pour établir ses dénonciations, est évidemment au centre de la démonstration, la Cour relevant que ses déclarations ont été « constantes et circonstanciées (…) depuis sa lettre plainte en date du 23 mai 2011, et réitérées à chaque étape de la procédure judiciaire devant les services de police, juges d’instruction et jusqu’en confrontation devant les deux accusés jusque devant la Cour d’assises d’appel ». La constance que la Cour a vérifié porte sur les faits en eux-mêmes, et les circonstances dans lesquelles ils sont survenus.
Ainsi, concernant le viol, Virginie Ettel l’avait initialement daté du 12 novembre 2009, décrivant un déjeuner avec des pêcheurs reçus par le maire, auquel elle avait été conviée sans vraiment savoir pourquoi. L’enquête a démontré que ce déjeuner avait en réalité eu lieu le 19 novembre 2009. Cette erreur de date a été reprochée à Virginie Ettel tout au long de la procédure, comme s’il s’agissait d’une preuve parfaite de ses mensonges.
La Cour et le jury ont en fait reconnu que cette erreur n’avait aucune incidence sur la constance et la cohérence de Virginie Ettel. Elle a toujours expliqué le même déroulement, les mêmes personnes présentes, et la même suite au déjeuner : le viol commis par Georges Tron avec la complicité de Brigitte Gruel après le départ des invités, « sans que l’erreur initiale quant au déroulement du ‘’déjeuner des pêcheurs’’ (…) ne suffise à remettre en cause ses déclarations précises et invariables quant à la nature des actes subis et protagonistes les ayants perpétrés et le lieu et circonstance de leur survenance ».
Concernant les agressions sexuelles, Virginie Ettel a, de la même manière, livré des détails précis sur les circonstances dans lesquelles elle a été victime d’agressions sexuelles commises par Georges Tron et Brigitte Gruel, au domicile de cette dernière. Ils ont pu être corroborés par une témoin directe de la convocation de Virginie Ettel au domicile de Mme Gruel, et de son état suite aux agressions sexuelles : « secrétaire de Georges TRON établissant le déplacement exceptionnel de Virginie ETTEL, pour la première fois, au domicile personnel de Brigitte GRUEL, à la demande expresse de Georges TRON pour y apporter un document de travail dont la nécessité demeure à ce jour inexpliquée, outre les confidences postérieures de Virginie ETTEL à manifestement contrariée d’y avoir subi une ‘’séance de réflexologie’’ ». La Cour et le jury soulignent par ailleurs que Virginie Ettel n’avait aucune raison de se rendre chez Brigitte Gruel « pour y apporter un document de travail dont la nécessité demeure à jour inexpliquée (…) sans que l’absence de souvenir de Brigitte GRUEL sur ces circonstances susvisées ‘’possibles’’, ni les dénégations de Georges TRON n’aient convaincu la cour et le jury quant à ce qui aurait pu le conduire à intervenir téléphoniquement aux fins de remise au domicile de son adjointe à la culture d’un document de travail, sans y être personnellement présent comme il le soutient devant la cour d’assises ».
Les confidences de Virginie Ettel à ses proches ont également convaincu la Cour et le jury de la réalité des violences sexuelles dénoncées, ayant relevé que ses déclarations « précises et circonstanciées » étaient « en totale concordance (…) avec ses premières révélations à ses proches, début 2010 à P. et N., mais aussi en juin/juillet 2010 à plusieurs de ses proches mais aussi collègues de travail ». Les témoignages des proches ne peuvent être négligés dans les procédures pénales, alors qu’ils permettent de démontrer, d’une part, la constance de la victime (elle a raconté la même chose à plusieurs personnes différentes qui en témoignent) ; mais ils sont aussi précieux parce qu’ils émanent de personnes connaissant intimement la victime, et donc de personnes particulièrement capables d’attester de la sincérité de leurs émotions lorsqu’elles leur relatent les faits par exemple, ou encore des changements qu’ils peuvent observer dans leur vie.
Les démarches cohérentes de Virginie Ettel ont également éclairé la Cour : elle a révélé les mêmes faits à des « institutionnels comme l’AVFT (4) consultée dès le 15 novembre 2010, puis le 15 décembre 2010, mais encore auprès du commissariat d’Evry le 3 décembre 2010 dans une démarche de dépôt de main courante (…) au cours de laquelle Virginie ETTEL dénoncera tant Georges TRON que son adjointe de lui avoir pratiqué les mêmes gestes à caractère sexuel ».
L’analyse, par la Cour et le jury, de l’expertise psychologique (qui relève « des symptômes post traumatiques en possible congruence avec les faits dénoncés ») balaye le stéréotype selon lequel les victimes ne peuvent pas continuer à vivre après les violences sexuelles – et ainsi à avoir une vie sexuelle – sous peine de voir leurs dénonciations décrédibilisées : « L’imputabilité de ces actes de viol par pénétration digitale et d’agressions sexuelles à Georges TRON et Brigitte GRUEL ressort des déclarations constantes de Virginie ETTEL (…) sans que les dénégations persistantes des deux accusés n’aient convaincu la Cour et le jury, au regard (…) des conclusions d’expertise psychologique (…) sans que l’absence de traumatisme sexuel relevé par les experts ne suffise à remettre ne cause les déclarations de Virginie Ettel ». Mme Ettel nous l’expliquait d’ailleurs très bien : elle n’assimilait pas le viol à une « relation sexuelle », et ne voyait donc pas en quoi il l’empêcherait d’avoir une vie sexuelle. Pour elle, ce n’était « pas la même chose ».
La dégradation de l’état de santé de Virginie Ettel a également permis d’éclairer la Cour d’assises, qui a retenu sa première tentative de suicide le soir du viol comme un élément soutenant évidemment ses déclarations. Sa consommation d’alcool a été retenue comme étant bien une conséquence des violences sexuelles, et non un facteur d’affaiblissement de sa crédibilité.
Le comportement des co-accusé∙es es au moment où Virginie Ettel « commençait à révéler publiquement des faits de ‘’harcèlement sexuel’’ » n’a pas échappé à la Cour et au jury, qui ont été « convaincus par la constitution d’un ‘’dossier’’ en défaveur de Virginie ETTEL dès le 1er juin 2010 (…) élément à rapprocher des actes de pression et intimidation réalisés à la demande de Georges TRON en réaction à ces révélations dont il était informé fin mai 2010 », sur Virginie Ettel mais également son amant, par l’intermédiaire d’agent∙es de la mairie. La Cour d’assises a également relevé que le contenu de ce dossier, tendant à décrédibiliser professionnellement la partie civile, était en contradiction avec les évaluations contenues dans son dossier administratif.
Si les scènes décrites par Virginie Ettel, paraissaient extraordinaires, tant par le nombre de personnes impliquées, que par les lieux où elles ont pu se dérouler, la Cour d’assises a également pu être convaincue de leur réalité grâce aux témoignages d’autres femmes travaillant à la mairie, qui n’ont pas été directement témoins des faits dénoncés par Virginie Ettel, mais qui ont décrit des scènes présentant de fortes similitudes.
La théorie de Georges Tron, selon laquelle sa maîtresse placée sur écoute jouait en réalité un rôle d’agent double, pour expliquer ses propos « explicites et sans aucune ambiguïté quant à la pratique du triolisme (…) et établissant l’existence au sein de la mairie de Draveil de relations sexuelles impliquant Georges TRON et plusieurs de ses collaboratrices » n’a pas convaincu la Cour et le jury, qui les ont retenus pour motiver leur décision.
Enfin, la théorie du complot politique ourdi par le front national, brandi par Georges Tron depuis dix ans pour sa défense, a été écartée par la Cour d’assises, aucun élément n’ayant permis de la fonder, et la procédure ayant démontré que les parties civiles avaient révélé les faits à d’autres personnes avant de se connaître.
Pour déclarer Georges Tron et Brigitte Gruel coupables des violences sexuelles qui leur sont reprochés par Virginie Ettel, la Cour et le jury, après avoir établi la matérialité des faits, ont caractérisé la surprise et la contrainte dont ils ont usé, particulièrement dans un contexte professionnel.
Ainsi, les « faits de viol et agression sexuelle ont été commis (…) par surprise s’agissant des premiers faits débutant par des gestes de réflexologie, auquel Virginie ETTEL ne s’est certes pas opposée lors de son entretien de recrutement, mais dérivant sur des gestes à caractère sexuel en présence de Brigitte GRUEL suite à un repas d’ordre professionnel ». Comment Virginie Ettel aurait-elle en effet pu imaginer que de telles scènes se produiraient, au sein de la mairie pour laquelle elle travaillait ?
Le fait que ces violences aient été commises dans le cadre professionnel a également été un élément déterminant pour la caractérisation de la contrainte morale – le travail étant le lieu de toutes les asymétries entre les individus en termes de pouvoir – ainsi que la personnalité de Georges Tron : « Ces faits de viol et agression sexuelle ont été commis (…) par contrainte morale au regard du lien de subordination de Virginie ETTEL à l’égard tant de Georges TRON, maire de Draveil depuis 1995 que son adjointe à la culture, exerçant nécessairement un ascendant sur leur collaboratrice outre la personnalité de Georges TRON unanimement décrit comme pouvant certes faire preuve de générosité à l’endroit de ces collaborateurs mais aussi d’autorité et d’exigence incontestable ».
La Cour d’assises a pu ainsi établir que les deux condamné∙es avaient conscience de la contrainte qu’ils exerçaient sur Virginie Ettel, et ainsi d’outrepasser son consentement.
La complicité de Brigitte Gruel « du crime de viol perpétré par Georges TRON » a pu être caractérisée au regard « des caresses » qu’elle a elle-même « pratiquées personnellement sur la poitrine et le sexe de Virginie ETTEL constitutives d’agressions sexuelles », mais également parce qu’elle est « en la seule présence de Georges TRON et Virginie ETTEL après le ‘’repas des pêcheurs’’ et le départ des convives dans un lieu clos », et a commencé « à pratiquer ‘’en vue de la détendre’’ des caresses sur le dos et la poitrine de Virginie ETTEL ».
Condamné, mais toujours élu, avant d’être suspendu et démissionnaire
Après avoir été condamné, Georges Tron a refusé de démissionner de sa fonction de maire, au motif qu’il s’était pourvu en cassation.
L’AVFT et Osez le féminisme ! avaient rappelé au gouvernement de M. Castex, ainsi qu’au président de la République que cette décision ne dépendait pas que de Georges Tron, évidemment déchu de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions, et demandé sa révocation à plusieurs reprises, les procédures pénale et disciplinaire étant indépendantes. A Draveil même, et sur les réseaux sociaux, les membres du collectif NADA (ni à Draveil, ni ailleurs!) organisaient une importante mobilisation pour que le maire condamné soit révoqué.
Georges Tron a finalement annoncé, le 25 mai 2021, avoir démissionné de ses fonctions de maire de Draveil notamment – mais pas de sa fonction de conseiller municipal.

C’est au détour de la procédure que nous avons appris que Georges Tron était en fait suspendu de ses fonctions par décision du préfet de l’Essonne depuis le… 15 avril 2021.
Trois demandes de mises en liberté refusées
En effet, au cours de l’année 2021, Georges Tron a fait trois demandes de mise en liberté. Mais, loin des partis pris du parquet et du siège en 2013, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris les a toutes refusées, rappelant systématiquement que le maintien en détention de Georges Tron restait le seul moyen « d’empêcher une pression sur les témoins et les victimes », et de « faire cesser le trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé » (5).
La Cour a ainsi souligné que les risques de pression sur les parties civiles et les témoins étaient encore d’actualité, au regard du comportement de Georges Tron qui « persiste à dénier toute réalité aux faits poursuivis, toute fiabilité des déclarations des parties civiles » et « ne fait montre d’aucune remise en cause alors que nombre de témoignages extérieurs à ceux des plaignantes ont décrit des comportements fréquents sexualisés de sa part envers de nombreuses femmes », et alors que l’affaire pouvait être renvoyée devant une nouvelle Cour d’assises si la Cour de cassation venait à casser l’arrêt du 17 février 2021.
Elle a par ailleurs précisé que la démission de Georges Tron de l’ensemble de ses fonctions, à l’exception de celui de conseiller municipal, « n’est pas suffisante à faire disparaître l’effet de plusieurs décennies de maintien sous contrôle de nombreuses personnes avec lesquelles il était en contact à l’époque des faits, susceptibles d’être réentendues », et qu’ainsi, son « effet doit (…) être relativisé », relevant par ailleurs que cette démission n’intervient « qu’après avoir reçu notification de sa suspension » (6).
Elle a retenu que les conséquences des agissements de Georges Tron sur les victimes, et particulièrement sur leur santé, participaient du trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public : « en dépit de l’ancienneté des faits, le traumatisme subi par les victimes a été décrit par voies d’expertises, qui ont signalé que les faits ont donné lieu à des épisodes dépressifs sévères, généré des dommages durables, dont la persistance actuelle ne peut qu’être entretenue et ravivée par la durée exceptionnelle de cette procédure et la persistance de négation de toute responsabilité de la part de Georges Tron ».
De même que la gravité de l’infraction, illustrée par « la peine encourue » (7) et par la peine prononcée en l’espèce, ainsi que par le contexte des faits, « décrit comme marqué d’abus d’autorité de la part de l’accusé, d’une forme de manifestation de toute puissance de sa part, au regard de ses fonctions, responsabilités et pouvoirs envers ses collaborateurs, subalternes, et ayant fait employer les deux plaignantes par la mairie de Draveil. Les valeurs sociales protégées par ces infractions sont essentielles s’agissant d’atteintes à l’intégrité physique, de violation de l’intimité, de mise en cause de la dignité de femmes. En outre, la qualité d’élu de l’accusé et la description de faits commis dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, dans les lieux de cet exercice, affectent les valeurs sociales et morales qu’un élu doit représenter ».
Enfin, la Cour a souligné que le contexte actuel ne pouvait être ignoré : « la réflexion actuelle sur ces problématiques d’atteintes sexuelles anime l’émoi populaire et sociétal qu’elles génèrent. Si les décisions judiciaires ne doivent être guidées ni par l’opinion publique, ni par le seul retentissement médiatique des faits, elles ne peuvent ignorer ni les valeurs sociales attachées aux infractions poursuivies, ni la contextualisation du sens des décisions judiciaires rendues et en cause ».
L’arrêt de rejet de la Cour de cassation clôt de manière définitive le volet pénal de la procédure. Il reste pour la justice à examiner le préjudice des parties civiles. Rendez-vous fin 2022.
Pour l’AVFT, Mathilde Valaize.
Notes
↑1 | L’AVFT, seule partie civile dans cette dernière partie de procédure, était représentée par Me Rocheteau, avocat aux conseils |
---|---|
↑2 | Le chemin a également été particulièrement difficile pour EL, deuxième plaignante, qui a dénoncé des faits pour lesquels ni Georges Tron ni Brigitte Gruel n’ont été reconnus coupables |
↑3 | Marilyn Baldeck aura été auditionnée (et même mitonnée !) à chacune des Cours d’assises. |
↑4 | Le caractère « institutionnel » de l’AVFT est en revanche discutable, mais c’est un détail ! |
↑5 | CA Paris, 22 mars 2021, n°01157 ; 21 juin 2021, n°02695 ; 18 octobre 2021, n°05121 |
↑6 | CA Paris, 21 juin 2021, n°02695 |
↑7 | Le crime de viol étant sanctionné de 15 ans d’emprisonnement, 20 ans lorsque des circonstances aggravantes sont retenues |