Cour d’appel de Paris, 14 septembre 2011

Mme P. a été victime d’agressions sexuelles dans le cadre de ses fonctions de coordinatrice « Groupes » dans un grand hôtel parisien de la part d’un directeur de service avec qui elle travaillait en étroite collaboration. Celui-ci lui avait à deux reprises imposé des baisers sur la bouche et des attouchements sur les seins, les fesses et le sexe, en l’empêchant de sortir de son bureau.
Il avait également tenté de lui imposer de nouveaux attouchements dans une des chambres de l’hôtel, notamment en s’allongeant sur elle alors qu’elle était couchée dans son lit.
Elle avait déposé plainte en juin 2009 et à la suite d’une enquête rapidement et sérieusement menée par le commissariat de police du premier arrondissement, le parquet avait décidé de poursuivre M. M. pour agressions sexuelles.
Lors de l’audience du 25 aout 2010 devant le tribunal correctionnel de Paris, M. M avait été condamné pour agressions sexuelles à 8 mois d’emprisonnement avec sursis. Il était également condamné à indemniser le préjudice de Mme P. à hauteur de 8000 euros et à 1500 euros au titre de l’article 475-1 CPP. Il est aussi condamné à verser 1000 euros de dommages et intérêts à l’AVFT qui était partie civile dans la procédure, ainsi que 500? € au titre de l’article 475-1 CPP.
M. M. a relevé appel de cette décision, les parties étaient convoquées le 14 septembre devant la Cour d’appel.

Après de longues déambulations dans les couloirs et escaliers du palais de justice, entre les cohortes de journalistes venu-e-s suivre le délibéré du procès « Clearstream », nous avons fini par trouver la chambre 9 du pôle 2 de la Cour d’appel, au détour de couloirs étroits et de minuscules escaliers en colimaçon, juste à l’heure…

La magistrate rapporteuse a présenté un rapport très complet du dossier en analysant toutes les auditions et les éléments de preuve. Elle s’est interrompue au moment du récit des violences pour poser des questions à Mme P et à M. M.
Une très grande majorité des questions posées à Mme P. étaient relatives à l’agression sexuelle qui a eu lieu dans la chambre d’hôtel et, selon le président, autour de la « grosse question » de ce dossier : « Pourquoi vous l’avez laissé entrer ? ».
Mme P. a eu droit à un florilège d’interrogations sur tout ce qu’elle aurait pu envisager de faire, un genre de « brainstorming » de la Cour :

« – Vous pouviez le recevoir sur le pas de la porte.

– On ne comprend pas très bien.

– Pourquoi vous ne lui avez pas donné une gifle ?

– Vous étiez tétanisée ?

– Pourquoi vous n’êtes pas partie de la chambre ?

– Pourquoi vous ne lui avez pas posé la question à travers la porte ? »

Mme P., éprouvée par ce renversement des questions, avec constance et courage, s’est efforcée de faire comprendre à la cour qu’elle n’avait à ce moment là aucune raison de ne pas ouvrir la porte car elle ne se sentait pas en danger.

M. M., quant à lui, n’a pas donné d’explication plus convaincante qu’en première instance de sa prétendue version des faits : il ne se serait rien passé dans la chambre, elle lui aurait simplement montré son piercing et ils auraient juste un peu parlé. Elle aurait ensuite tout « avoué » (?) à son compagnon, qui l’aurait ensuite poussée à déposer une plainte infondée par jalousie et parce qu’il est délégué du personnel, reprenant ainsi une rengaine souvent entendue quand le mis en cause est un syndicaliste : il s’agirait d’un complot syndical…

L’avocate de Mme P., Me Cittadini, a ensuite plaidé sur les éléments de preuve du dossier et s’est insurgée des questions orientées posées à sa cliente, ce à quoi le président a répondu : « Ne préjugez pas de ce que pense la Cour, Maître ».

Gwendoline Fizaine, pour l’AVFT, a ensuite présenté les stratégies de M. M. pour brouiller les repères de ses collègues et regagner la confiance de Mme P., après chaque agression. Elle a ensuite analysé les stéréotypes d’inversion des responsabilités vers les victimes et a pointé tout ce que Mme P. avait fait pour repousser les gestes de M. M. et lui faire comprendre qu’elle n’était pas consentante.

Le parquet, représentée par une procureure, a présenté un réquisitoire nuancé, qui commençait fermement et finissait tout en indulgence, en fin de compte un peu décevant pour les parties civiles.
Elle a présenté l’affaire comme « d’une banalité consternante » où c’est « toujours pareil, un homme un peu chaud contre une femme qui fait confiance, un peu fragile ». Elle a évoqué le contexte de travail, la dépendance économique, « le contexte culturel ancien qui peut laisser penser que rien n’est très grave », a indiqué que les relations hommes/femmes dans les relations de travail devaient évoluer. Elle a fait le parallèle avec les « femmes battues : nous savons que la victime peut ne pas avoir les bonnes réactions », a justement relevé que « le fait que Mme P s’expose conforte ses déclarations. Elle a toujours cherché à être au plus près de la vérité de ce qu’il s’est passé, à ne pas tromper la Cour, quitte à s’exposer. »
Mais elle a aussi dit qu’il n’y avait là ni préméditation ni stratégie, que le prévenu « n’avait rien compris à ce qui lui arrivait », que c’était des agressions sexuelles « relativement modestes, la Cour est saisie de dossiers incroyablement contrastés en terme de graduations. » Elle indique que M. M. n’aurait pas du se comporter comme ça, mais que la peine ne devait pas être disproportionnée. Elle a requis une peine de 4 à 5 mois d’emprisonnement avec sursis.

Me F., toujours grandiloquent, a présenté une plaidoirie plus mesurée dans sa longueur, en se questionnant sur la personnalité de Mme P, son passé, son « discours victimaire » (« sa souffrance renvoie à une douleur antérieure » ; « par un processus psychologique classique, la plaignante se convainc d’être victime » ) et a regretté que la Cour n’ait pas posé d’autres questions. Il a également protesté contre la garde à vue et les règles de l’enquête préliminaire, qui ne respecteraient pas les droits de la défense. Il a listé toutes les questions qui n’avaient pas été posées dans le dossier, puis, s’est opportunément rendu compte qu’il avait oublié ses lunettes et ne pouvait donc pas lire l’extrait de l’audition de M. X, ce qui aurait pourtant été très très important…
Il a finalement demandé la relaxe de son client « au bénéfice du doute ».

En fin d’audience, la magistrate rapporteuse a accepté avec une satisfaction non dissimulée l’ouvrage « Violences sexistes et sexuelles au travail, faire valoir vos droits », édité par l’AVFT.

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