Dix minutes d’audience pour quatre ans de procédure

Dix minutes, c’est le temps que le Tribunal correctionnel de Rennes aura pris pour prononcer l’extinction de l’action publique suite au décès de M.C, médecin rhumatologue, poursuivi pour des agressions sexuelles sur Mme F. alors qu’elle était sa patiente et mineure de 13 ans.

«Nous avons reçu un avis de décès. Nous ne pouvons pas le juger aujourd’hui sauf meilleure explication des parties », a ironisé le président.

Depuis quatre ans -date du dépôt de la plainte- Mme F. attend l’ouverture de son procès.

Quatre ans pendant lesquels M.C a eu le temps d’être condamné deux fois pour agressions sexuelles aggravées sur d’autres patientes, tout en restant libre.

Sur invitation du tribunal, le procureur a requis l’extinction de l’action publique, sans un mot ni un regard pour la victime dont il connaissait pourtant la détresse, pour l’avoir vue s’effondrer lors de l’audience de renvoi le 31 janvier.

Deux minutes, c’est le temps que le président a accordé à l’avocate de la victime pour présenter ses observations sur le déroulement inique et catastrophique de cette procédure.

«Pas plus de deux minutes, car nous devons aussi juger des vivants», a dit le président.

Vivant, M.C l’était encore en janvier dernier lorsque le procès a été renvoyé pour un vice de procédure imputable au ministère public(1).

Le 31 janvier, la présidente avait de toute façon déclaré «qu’on ne juge pas les mourants», ce qui relève d’une appréciation tout à fait contestable du point de vue des victimes.

Vivant, mais pas assez pour être jugé.

Mort et définitivement hors de portée de la justice pénale.

Mme F. a demandé la parole et le président la lui a refusée.

«NON NON», a-t-il dit d’un mouvement de la main lui indiquant de partir, sans la regarder.

«S’il-vous-plait Monsieur», a-t-elle insisté.

«Affaire suivante» a ordonné l’huissier.

La victime est priée de partir et de disparaître aussi rapidement que possible. Une trappe sous ses pieds aurait été aussi efficace.

«Et si là je faisais un outrage à magistrat, la justice elle fonctionnerait ?» a lancé Mme F. au président.

Un «Justice patriarcale ! » a fusé dans la salle, venant des amies militantes féministes de Mme F. présentes pour la soutenir.

Quel message le Tribunal a-t-il envoyé aux collégiens et collégiennes présent-es dans la salle, venu-es «découvrir la justice», ainsi qu’à toutes les femmes ? Celui d’une justice où les femmes victimes sont non seulement privées de procès mais en plus sommées de se taire.

De se taire, d’être les plus invisibles possible, afin de ne pas troubler l’ordre public patriarcal dont l’institution judiciaire est l’un des gardiens.

Sophie Péchaud
Laure Ignace
Marilyn Baldeck

Notes

1. Au ministère public, donc à l’Etat.

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