Les violences sexuelles devant les juges : une justice décadente. L’exemple de la procédure de Mme M.

Les violences sexuelles devant les juges : une justice décadente

L’exemple de la procédure de Mme M.

En octobre 2008, Mme J.M. est embauchée dans le cadre d’une formation en alternance. En janvier 2009, M. G. B., nommé directeur d’agence, la harcèle et l’agresse sexuellement pendant un mois.

Mme M. dénonce d’une part des propos : «Tu es belle, tu as un beau corps et de belles fesses ». « Pourquoi tu ne mets pas de décolleté ? ». « Tu as de grosses fesses et une forte poitrine». « Tu me plais beaucoup, je veux sortir avec toi ». « Dès la première fois que je t’ai vue, tu m’as plu. Je t’aime ». «J’ai envie de te bouffer les fesses, de te faire l’amour ». « Je fais un pari avec toi, je vais te baiser avant la fin du mois ». « Tu sais pourquoi je t’ai emmenée avec moi ? C’est parce que je vais te faire l’amour ». «Laisse-moi poser ma main sur la tienne, sinon on annule le rendez-vous ». « Embrasse-moi, sinon pas de rendez-vous ». « Si tu sors avec moi, je ferai de toi le meilleur contrat pro qui aura plus de salaires que son professeur ».

D’autre part des gestes sexuels : M. B. frotte souvent son sexe en érection contre les fesses Mme M., en lui bloquant le passage et en l’immobilisant de force contre le mur et lui touche par surprise les fesses quand il passe près d’elle.

Mme M. a toujours opposé un refus ferme et persistant à ses agissements, ce qui déclenche des représailles à son encontre. Ainsi l’humilie-t-il et la menace-t-il : « Je vais recruter des filles, comme ça, je vais te classer dans les archives ». « Tu ne vaux rien, tu es de la merde, t’as de la chance, si tu étais un mec, je te taperais, rentre chez toi, t’es virée, j’appelle ton école ». «N’essaie même pas de venir, tu vas me mettre hors de moi, tu vas voir ce que je vais te faire ». Il l’empêche de participer à une formation professionnelle obligatoire en retenant sa convocation.
Il la somme de signer une rupture conventionnelle de son contrat de professionnalisation, la menaçant d’une procédure de licenciement si elle refuse. Il modifie substantiellement ses horaires de travail, l’isole du reste de l’équipe, lui interdit de participer aux réunions d’agence et lui assigne des objectifs impossibles à atteindre avant de la licencier en alléguant une faute grave.

A bout d’un mois Mme M. dépose une main courante et consulte son médecin traitant; un arrêt de travail lui est prescrit pour une semaine.

Elle saisit l’inspection du travail, qui lui conseille de dénoncer les violences à son employeur qui organise une confrontation. Celui-ci dénie de manière autoritaire les déclarations de Mme M. : «Ce n’est pas du harcèlement sexuel». Lors de cette confrontation M. B. agresse verbalement sans que l’employeur ne le recadre : « tu t’es regardée ! Est-ce que je peux sortir avec toi ? Tu es ouf, tu vaux zéro ».

Après cet entretien, Mme M. est profondément choquée et déstabilisée. Son médecin traitant lui prescrira un arrêt maladie de plusieurs semaines.

Mme M. transforme ensuite sa main courante en plainte pour harcèlement sexuel et agression sexuelle. L’AVFT soutient sa plainte en adressant une lettre au procureur de la République.

Deux ans plus tard : le Tribunal correctionnel est saisi. Et juge à l’emporte-pièce

Deux ans plus tard, le parquet renvoie M. B devant le tribunal correctionnel de Paris, des chefs de harcèlement moral, harcèlement sexuel et agressions sexuelles en précisant exactement quels agissements relèvent de chaque infraction, ce qui est suffisamment rare pour le souligner.

M. B ne se présente pas et n’est pas représenté à l’audience, il est donc jugé par défaut. Le 13 mai 2011, il est condamné pour harcèlement moral et agressions sexuelles à l’exclusion du harcèlement sexuel, à 6 mois d’emprisonnement et à verser à Mme M. et à l’AVFT respectivement 6000 et 3050 euros à titre des dommages et intérêts.

Sur le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles le tribunal considère : « que les faits visés au titre du harcèlement pour obtention de faveurs sexuelles commis au préjudice de Mme M. sont constitutifs du délit d’agression sexuelle », au motif que :
« Pour les deux infractions, les agissements énoncés par la prévention couvrent la même période et sont illustrés par les mêmes gestes (mains aux fesses, caresse des cuisses et sexe en érection contre les fesses) et se sont déroulés dans un contexte général de contrainte et/ou de surprise illustré par les propos tenus par B. En droit, le tribunal observe que dans la mesure où un contact physique s’est produit entre les deux protagonistes, la qualification d’atteinte sexuelle pour l’ensemble des faits doit seule être retenue ».

Généralement les juges optent pour l’infraction la plus légèrement réprimée, c’est-à-dire le harcèlement sexuel plutôt que l’agression sexuelle, ce qui n’est pas le cas ici, où le juge condamne pour agression sexuelle. Il n’en reste pas moins qu’il « oublie » purement et simplement les agissements caractérisant le harcèlement sexuel et amalgame harcèlement sexuel et agressions sexuelles, ce que le parquet avait pourtant pour une fois pris le soin de distinguer.

Deux ans plus tard, les mêmes juges se déjugent : exit les violences à caractère sexuel

M. B. forme opposition(1) à ce jugement et le Tribunal le rejuge le 12 juillet 2013. Entre temps, le Conseil Constitutionnel a abrogé le délit de harcèlement sexuel pour lequel il ne pourra plus être condamné. Le Tribunal, composé des mêmes juges, déclare logiquement l’action publique éteinte pour le harcèlement sexuel, le condamne à nouveau pour harcèlement moral. Et le relaxe du chef d’agressions sexuelles :

«Aux termes des débats, il apparaît que seul D.M. (un collègue) a fait état de ces faits, et que selon la prévention ceux-ci se seraient déroulés dans un bureau, alors que la plaignante aurait été isolée. En ce cas, aucun témoignage ne peut être retenu».

Il est stupéfiant que des mêmes juges, sur la base du même dossier pénal, puisse rendre des décisions diamétralement opposées à quelques mois d’intervalle.

Le Tribunal balaie en outre les témoignages des autres collègues qui ont été témoins directs des attouchements sexuels ainsi que les certificats médicaux qui attestent des conséquences psychologiques pour Mme M.

Le parquet n’interjette pas appel. L’AVFT et Mme M. sont donc contraintes de limiter leur appel aux intérêts civils(2)

Plus d’une année plus tard, la Cour d’appel statuant sur intérêts civils, indemnise Mme M. pour les atteintes physiques à caractère sexuel, mais la déboute des demandes relatives au harcèlement sexuel sur la base d’une erreur de droit

Me Cittadini, avocate de Mme B, et G. Amoussou qui représente la constitution de partie civile de l’AVFT, plaident longuement les éléments de faits et de droit et demandent à la Cour de condamner M. B sur le fondement de dispositions civiles et non plus pénales(3)

Le parquet général s’associe à nos demandes et requiert que les faits de harcèlement sexuel soient examinés et jugés au visa de l’article 12 de la loi du 6 août 2012, relative au harcèlement sexuel qui dispose que :

« Lorsque, en raison de l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal résultant de la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, le tribunal correctionnel ou la chambre des appels correctionnels constate l’extinction de l’action publique, la juridiction demeure compétente, sur la demande de la partie civile formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ainsi que le paiement d’une somme qu’elle détermine au titre des frais exposés par la partie civile et non payés par l’État ».

Le 14 octobre 2014, la Cour fait droit à nos demandes de réparation liée aux atteintes physiques à caractère sexuel. Elle condamne M. B. à payer 2000 euros à Mme M. et 1000 euros à l’AVFT à titre de dommages et intérêts.

Contrairement aux premiers juges, elle prend en compte tous les éléments du dossier qui prouvent les agressions sexuelles : « Qu’il s’établit de la procédure que G. B. a eu des gestes explicitement sexuels à l’égard de Mme J. M. sans se cacher, notamment, de M. M., témoin direct à cet égard, que cette attitude exhibitionniste démontre que le prévenu a entendu s’affranchir du respect dû à l’intégrité d’autrui en adoptant un comportement sexué à l’égard de cette jeune employée qui soumise à son autorité, ne pouvait que le subir sous la contrainte, que les témoignages susvisés démontrent le harcèlement dont la plaignante a été victime et qui selon les expertises médicales réalisées a eu des répercussions sur son état de santé».

La Cour rejette en revanche nos demandes de réparation liée au harcèlement sexuel au motif que :

« L’enquête préliminaire n’a pu établir, faute de témoignage direct, de lien entre le harcèlement moral décrit et les agressions sexuelles établies ; qu’en effet, la procédure, en dehors des propos rapportés par Mme J. M., n’a pas établi que les avances insistantes subies par la victime s’étaient accompagnées de menace de renvoi, ni même que les brimades professionnelles ont été explicitement liées à leur refus ».

Ces considérations n’ont aucun sens :

  • Rechercher un lien de causalité entre harcèlement moral et agressions sexuelles est sans intérêt pour la caractérisation du harcèlement sexuel.
  • Rechercher l’existence de menaces pour établir une faute civile est hors-sujet, puisque les dispositions civiles ne l’exigent pas.
  • Exiger l’existence de témoin direct est absurde parce qu’il n’y en a pratiquement jamais et ce n’est pas une condition de la preuve du harcèlement sexuel.

Par ailleurs, M. B. n’ayant à nouveau pas été présent ou représenté, la loi lui offre encore le droit de faire opposition contre cet arrêt et de faire endurer un nouveau procès à Mme M. qui a déjà affronté six pénibles années de procédure.

En résumé : une procédure qui se clôt sur une condamnation du prévenu…

Mais qui est épargné d’une condamnation pour harcèlement sexuel, dans un premier temps au terme d’une analyse à l’emporte-pièce des juges ;
Mais qui est encore épargné d’une condamnation pour harcèlement sexuel, cette fois en raison de l’abrogation du délit de harcèlement sexuel ;
Mais qui est épargné d’une condamnation pénale pour agressions sexuelles d’une part parce que les juges ont recherché des témoignages directs des agressions sexuelles, qu’ils n’ont pas trouvé dans le dossier alors qu’ils existaient bien ;
Mais qui est épargné d’une condamnation civile pour harcèlement sexuel au terme de considérations hors-sujet ;
Mais qui n’est peut-être même pas définitive puisque l’agresseur peut une nouvelle fois faire opposition.

Quand n’y aura-t-il plus de « mais » ?

Gisèle Amoussou
Juriste chargée de mission

Notes

1. Lorsqu’un prévenu n’a pas été convoqué dans des formes légales d’une audience pénale, il peut « faire opposition » du jugement rendu en son absence, dit « jugement de défaut » (autrefois on disait « par contumace »). Cette opposition réduit le jugement à néant, un nouveau procès doit alors avoir lieu.

2. La Cour d’appel ne pourra donc pas statuer sur la peine, mais seulement modifier les dommages et intérêts. .

3. A venir : une analyse de l’AVFT des fondements civils des procédures pour des violences sexuelles. .

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