Il était poursuivi pour harcèlement moral. Isabelle lui demandera de l’indemniser (aussi) pour les agressions sexuelles

Tout commence en novembre 2011 lorsqu’Isabelle(1), installée dans la région de Toulouse et au chômage, rencontre M. B. au cours d’un repas de famille. Celui-ci lui fait part de sa difficulté à recruter de « bonnes assistantes » tandis qu’elle ne trouve pas d’emploi.

Il la recrute en CDI à compter du mois de février 2012 dans son entreprise MAYTOP dans le Maine-et-Loire et lui propose de lui louer un appartement dont il est propriétaire pour lui faciliter l’arrivée dans la région, ce qu’elle accepte, n’ayant aucune raison de se méfier de cet homme connu de sa famille.

Il commence à la harceler sexuellement début février 20121 lorsqu’elle est hébergée quelques jours chez M. B. dans l’attente des déménageurs qui doivent lui livrer tous ses meubles. Il entre dans sa chambre et prend une photo du décolleté d’Isabelle sous prétexte de faire plaisir à son fils, hospitalisé. Au fil des semaines, le harcèlement ira crescendo : réflexions à connotation sexuelle, remarques sur son physique, propositions sexuelles explicites, confidences imposées sur sa vie sexuelle, contacts physiques imposés puis attouchements sexuels.

Ses agissements sont facilités par la position professionnelle d’Isabelle puisqu’il lui annonce le 1er jour de son contrat qu’elle fera finalement tout son travail depuis chez elle (qui est en fait chez lui !) car il n’y a pas assez de lignes téléphoniques au bureau. Ainsi, il passe la voir sous n’importe quel prétexte, sans la prévenir, malgré les demandes récurrentes d’Isabelle pour qu’il cesse.

C’est dans ce contexte que le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles vont durer jusqu’à fin mai 2012. Le 30 mai, M. B. est surpris de trouver Isabelle dans les locaux de l’entreprise, qui insiste devant ses collègues pour obtenir un entretien avec lui.

M. B. se montre « très froid » et lorsqu’ils se retrouvent dans le bureau de ce dernier, Isabelle, à bout psychologiquement « explose », dénonce le harcèlement sexuel qu’il lui fait endurer et lui interdit de revenir à son domicile.

Il la traite de menteuse en hurlant et lui ordonne de sortir du bureau en la menaçant d’augmenter sa charge de travail et de démissionner si elle n’est pas contente. Les représailles sont donc immédiates.

Après la violence des propos tenus par M. B., Isabelle se rend chez son médecin traitant qui la met en arrêt-maladie sur le champ. Elle n’est plus jamais retourné travailler.

Le 1er juin 2012, elle dépose une plainte pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles à la gendarmerie de Beaufort-en-Vallée.

Le 8 juin, elle rencontre le médecin du travail et le contrôleur du travail qui, après enquête, fera le 14 décembre 2012 un signalement au parquet sur le fondement de l’art. 40 du Code de procédure pénale pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles.

Le 13 juillet, Isabelle saisit l’AVFT.

En janvier 2013 elle était déclarée inapte à tout poste dans l’entreprise par la médecine du travail.

Une procédure pénale vacillante

La plainte d’Isabelle a dans un premier temps été classée sans suite, en décembre 2012, sans qu’Isabelle en soit informée (nous l’apprendrons plus tard à la lecture du dossier pénal).

Devant l’inertie du parquet, l’AVFT a envoyé une lettre en août 2014 au procureur de la République d’Angers pour tenter de relancer l’enquête, indiquant que nous nous constituerions partie civile en cas de renvoi de M. B. devant le Tribunal correctionnel.

Cette lettre a du faire son effet puisque nous étions destinataires en janvier 2015 d’un avis à victime faisant état d’un renvoi de M. B. devant le Tribunal correctionnel mais pour… harcèlement moral.

En effet, le parquet n’a pas pu poursuivre M. B. pour harcèlement sexuel en raison de l’abrogation du délit de harcèlement sexuel par le Conseil constitutionnel le 4 mai 2012 et avait ainsi utilisé l’infraction de harcèlement moral comme repli. Mais Isabelle a également été victime d’agressions sexuelles pour lesquelles M. B. allait ainsi être jugé sous la qualification de harcèlement moral !

Isabelle a très mal vécu cette déqualification. L’AVFT lui a proposé de demander au Tribunal correctionnel d’Angers de requalifier en agressions sexuelles la partie suivante de la prévention(2): « en lui touchant les fesses, en essayant de l’embrasser sur les lèvres et en la poussant sur un lit ».

L’avocate d’Isabelle était contre, son seul objectif étant d’obtenir une condamnation, quelle qu’elle soit, faisant fi de la volonté de sa cliente. Nous avions donc deux positions différentes lors de l’audience, qui s’est tenue, après deux renvois demandés par M. B., le 9 septembre 2016.

L’AVFT faisait valoir qu’en poursuivant M. B. sous la qualification unique de harcèlement moral, le parquet avait escamoté encore davantage la vraie nature des violences qu’elle a subies, elle qui faisait déjà face à l’abrogation du délit de harcèlement sexuel. Le tribunal étant saisi in rem, il avait le devoir d’accéder à notre demande(3).

M. B. a été condamné par un jugement du 7 octobre 2016 à quatre mois de prison avec sursis, 4000 € de dommages-intérêts pour Isabelle et 500€ en réparation du préjudice moral de l’AVFT.

Mais le Tribunal a rejeté notre demande de requalification aux motifs qu’il n’y aurait pas de « preuve de contacts physiques » et que la matérialité des agressions sexuelles invoquées ne serait pas rapportée « en l’absence de témoins directs ».

M. B. a interjeté appel de sa condamnation.

Isabelle a décidé de changer d’avocate pour l’audience en appel afin de s’assurer que son avocate la soutiendrait dans sa demande de requalification en agressions sexuelles. Me Audrey Leguay a assuré sa défense pour l’audience devant la Cour d’appel d’Angers.

La manière dont le Tribunal correctionnel avait motivé son refus de requalifier était particulièrement inopérante alors qu’il avait bien retenu les faits d’agressions sexuelles…. Mais sans les qualifier comme tels.

En outre, le Tribunal faisait fi du mode de preuve en vigueur en matière de violences sexuelles, c’est à dire la réunion d’un faisceau d’indices graves et concordants, qui n’exige nullement l’existence de témoins directs. Il ne manquerait plus que ça.

L’audience s’est tenue devant la Cour d’appel d’Angers le 1er juin 2017.

Face à Isabelle, son avocate et l’AVFT, M. B., flanqué de son avocat, était présent alors qu’il ne s’était pas présenté devant le Tribunal correctionnel.

L’audience a été tendue, M. B. s’emportant à plusieurs reprises et niant, opportunément, tous les faits reprochés alors qu’il avait avoué, certes à demi-mot, un certain nombre d’éléments au cours de la procédure pénale. La plaidoirie de son avocat a consisté notamment à fustiger l’AVFT avec une haine incroyable arguant que nous aurions un intérêt personnel dans ce dossier, depuis notre première lettre au procureur, à ce que son client soit condamné pour agressions sexuelles… Raisonnement qui du reste est au fondement de la recevabilité des constitutions de partie civile associatives.

Me Audrey Leguay avait préalablement fait valoir les nombreux éléments du faisceau d’indices notamment les auditions de deux anciennes salariées qui ont fait part du comportement sexuel constant de M. B. à leur égard pendant leur contrat de travail. Elles relataient des agissements quasiment identiques à ceux décrits par Isabelle alors qu’elles ne se connaissent pas.

Du côté de l’AVFT, nous avons insisté sur les stratégies d’agresseur et la dépendance économique, morale et financière que M. B. avait installée : Isabelle avait déménagé à plus de 600 kilomètres de son ancienne région pour occuper ce poste, l’isolant de ses proches et donc de confident.es ; il était en outre son bailleur, ce qui la rendait dépendante de lui pour garder et son emploi, et son logement : le dénoncer c’était tout perdre et il le savait très bien. Elle n’avait d’ailleurs, pour ces raisons, aucun intérêt à dénoncer des faits faux.

La décision (que nous avons du attendre plus de six mois en raison de quatre reports du délibéré) de relaxer M. B. a été un coup de massue pour Isabelle et pour l’AVFT.

Cet arrêt de relaxe est surtout scandaleux dans sa motivation. Il balaie d’emblée la question de la requalification : « Comme l’ont justement relevé les premiers juges, la preuve n’est pas rapportée de ce qu’il y aurait eu des contacts physiques entre M. B. et  ».

Sur le reste, la Cour adoptait une toute autre analyse que celle du Tribunal correctionnel : « M. B. n’a pas formellement nié avoir parlé de droit de cuissage, en indiquant notamment devant les agents de l’inspection du travail que c’était possible, ce qui ne constitue pas pour autant un aveu », propos, note la Cour, qui n’ont été confortés par aucun autre témoignage de salariés, ce qui ne permet pas à la Cour de savoir si en tenant ce propos, M. B. la visait personnellement.

La cour poursuit : « les visites au domicile n’impliquent pas des actes ou propositions à caractère sexuel ». En effet, jusque là nous sommes d’accord : nous pourrions imaginer un monde où un employeur débarque chez sa salariée tous les matins, alors que ce n’est pas du tout nécessaire, uniquement pour lui parler boulot. Bien sûr.

Le meilleur est à venir : « Et l’évocation de problèmes personnels, même au niveau sexuel, et même répétée, si elle peut viser à susciter un intérêt ou une commisération, ne constitue pas plus un acte de harcèlement ».

Ainsi, imposer des confidences sur sa vie sexuelle, c’est tout à fait normal dans le cadre du travail, ou ailleurs. Nous plaignons les greffières de ces trois magistrats mâles.

La Cour poursuit sur sa lancée : « les témoignages de Mmes établissent que M. B. s’était déjà livré à des assiduités verbales, et même à des gestes, faisant apparaître qu’il avait l’intention de parvenir à une relation intime avec ces personnes il faut constater que lorsque des refus lui ont été clairement exposés, il n’a pas poursuivi et s’est même excusé à l’égard de Mme V. »

Nous apprécions toujours les euphémismes du type « assiduités » ou « gestes » surtout quand des magistrats s’en servent pour culpabiliser les victimes et inverser les responsabilités. Ils auraient dit à Isabelle : « vous n’avez pas du tout été claire avec lui, c’est de votre faute », c’était pareil.

Les magistrats de la Cour d’appel d’Angers ont par ailleurs volontairement omis de préciser que lorsque ces deux femmes se sont rebellées face au harcèlement sexuel de leur patron, elles ont fait l’objet de représailles de sa part : en effet, il n’a pas poursuivi le harcèlement sexuel après leur « refus », il est passé au harcèlement moral !

Victoire devant la Cour de cassation

Tenace, courageuse et déterminée, Isabelle a souhaité se pourvoir en cassation contre cet arrêt d’un autre temps. Nous l’avons orientée vers Me Colin. Devant le peu de chances de succès du pourvoi, l’AVFT ne s’était pas engagée dans cette procédure. A tort.

Le parquet général d’Angers n’ayant pas fait de pourvoi contre l’arrêt, ses dispositions pénales sont définitives : M. B. restera pour toujours relaxé pour harcèlement moral. Seules les dispositions civiles de l’arrêt, c’est-à-dire l’indemnisation d’Isabelle pour la faute civile commise, pouvaient éventuellement faire l’objet d’un nouveau procès.

C’est ce que la Cour de cassation, dans son arrêt du 19 février 2019, a décidé : « Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, d’une part, sans répondre aux conclusions de la partie civile soutenant qu’elle avait été isolée des autres salariés en raison de la demande de son employeur de travailler chez elle en télétravail, en contradiction avec sa fiche de poste, d’autre part, sans rechercher si les faits poursuivis, dont les juges avaient admis qu’ils constituaient un comportement inadapté, n’outrepassaient pas, qu’elle qu’ait été la manière de servir de la partie civile, les limites du pouvoir de direction du prévenu et ne caractérisait pas des agissements , la Cour d’appel n’a pas justifié sa décision ».

Cet arrêt est important sur le plan juridique car la Cour de cassation précise que le comportement de la victime importe peu (« qu’elle qu’ait été la manière de servir de la partie civile ») dès lors que le comportement adopté par le supérieur hiérarchique constitue une infraction.

Elle rappelle de ce fait une évidence mais c’est toujours bien de la lire : le harcèlement (sexuel ou moral) est constitué s’il est démontré, peu importe qu’il se soit arrêté à un moment donné, par le refus de la victime qu’il perdure ou par une autre circonstance.

M. B. sera donc jugé à nouveau, uniquement pour la faute civile commise, devant la Cour d’appel d’Orléans devant laquelle l’affaire est renvoyée. Nous serons aux côtés d’Isabelle pour cette nouvelle manche.

Laure Ignace

Notes

Notes
1Isabelle fait partie des femmes qui ont témoigné à visage découvert dans le documentaire d’Andrea Rawlins, « harcèlement sexuel au travail : l’affaire de tous », France 2, 11 octobre 2017.
2La prévention désigne les agissements, les faits, pour lesquels une personne est jugée.
3Cass. Crim., 11 mai 2006, 05-85637 : « Attendu que le juge correctionnel (…), a le droit et le devoir de restituer aux faits leur véritable qualification à la condition de ne rien y ajouter ».
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