Tribunal correctionnel de Paris, 12 novembre 2008

Violences sexuelles au travail : relaxe d’un prévenu par la 31ème chambre/2 du Tribunal Correctionnel de Paris.

Remarques sur le physique et propositions sexuelles ? « humour potache » répond le Tribunal, reprenant à son compte les « explications » du mis en cause. Main sur les fesses ? Les lieux étaient exigus !

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Le 12 novembre 2008, l’AVFT, représentée par Mme Amoussou, était partie civile aux côtés de Mme FG, victime de harcèlement sexuel et d’une agression sexuelle commis par son employeur, M. de R, propriétaire et gérant d’un magasin de friandises dans le 1er arrondissement de Paris.

Les violences dénoncées

La victime, qui avait saisi l’AVFT le 4 octobre 2007, dénonçait les faits suivants, entre janvier et septembre 2007 :

Commentaires continuels sur son physique : « Vous êtes plus belle en vrai que sur la photo, et c’est un bon point pour être recrutée » ; « Vous avez de beaux poumons » ; « Quelle belle poitrine ! ».

Questions à caractère sexuel : « Combien de fois vous faites l’amour avec votre copain ? » ; « je le déteste parce que vous êtes sa femme et non la mienne ».

Confidences imposées sur sa vie sexuelle : « Je ne fais pas l’amour avec ma femme, je ne l’aime pas, mais elle est gentille (…) »

Avances sexuelles : « Je peux vous toucher avec mes mains pleines de doigts ? » ; « Déshabillez-vous, on va faire l’amour dans la réserve ». « Tu me suces ma petite ? ». Ces propos et propositions sont quasiment quotidiens.

Un attouchement sexuel : il lui plaque une main sur les fesses alors qu’elle se dirige vers la réserve. Suite à cette agression, M. de R. lui remet 100 euros pour obtenir son silence, ce à quoi elle lui oppose un refus outragé : « Vous me prenez pour une prostituée ? Vous pensez pouvoir acheter le droit de me toucher ? ».

La victime n’a cessé d’exprimer sa réprobation : « Vous n’avez pas à me parler comme ça » « J’ai l’âge de votre petite fille » (elle a 21 ans et lui 62 ans) ; « Ne recommencez plus jamais ». En représailles, son employeur la dénigre et l’humilie constamment : « Conne », « débile », « fermez votre gueule » ; « chieuse » etc. Il lui donne des ordres contradictoires, comme par exemple de faire le ménage plusieurs fois de suite, puis lui interdit de le faire au motif que ça n’est pas le rôle d’une vendeuse.

Le 20 juin 2007, à bout de forces, Mme FG s’évanouit sur son lieu de travail, ce qui nécessite une intervention des pompiers et un transport à l’Hôtel-Dieu. Quand elle reprend le travail, cinq jours plus tard, son employeur, en présence de clients, la traite de « petite nature ». Ce même jour, elle s’évanouit à nouveau entraînant une nouvelle intervention des pompiers.

Mme FG compte sur l’embauche, en juillet 2007, d’une nouvelle responsable de magasin pour que le harcèlement sexuel cesse. M. de R. lui-même affirme que lorsqu’elle sera arrivée, il ne pourra plus « l’embêter ».

Mais la nouvelle recrue ne lui étant finalement d’aucun soutien et le harcèlement, aussi bien sexuel que psychologique, perdurant, Mme FG prend acte de la rupture de son contrat de travail le 30 septembre 2007 et dépose une plainte le 15 octobre suivant.

Le procureur de la République renvoie sa plainte devant le Tribunal correctionnel uniquement pour « harcèlement sexuel », alors que Mme FG a également dénoncé une agression sexuelle.

Deux lettres de l’AVFT au procureur, lui demandant de viser les faits d’agression sexuelle, resteront lettres mortes.

L’audience, 12 novembre 2008

Les parties civiles (l’AVFT et Me Cittadini, l’avocate de Mme FG) ont exposé au Tribunal le faisceau d’indices concordants établissant la culpabilité de M. de R. :

Le récit de Mme FG qui a toujours été cohérent, constant, précis et circonstancié.

Un dossier médical comprenant les rapports d’intervention des pompiers et la preuve de la dégradation de son état de santé physique et psychique (traitement anti-dépresseur et anxiolytique, arrêts de travail).

Des attestations de son entourage qui font état qu’elle s’était régulièrement confiée des agissements de M. de R.

Mais aussi les attestations de salariées produites par M. de R. lui-même. L’une d’elles témoigne qu’il avait un « humour lourd » et « des propos parfois déplacés ». et déclare « Je ne sais pas jusqu’où il a été avec Mme FG, mais je sais que c’est quelqu’un de tactile ». Deux autres attestent qu’il faisait des « blagues de mauvais goût plutôt potaches ». Une dernière reconnaissait que l’employeur avait « un humour spécial ».

Un rapport de l’inspection du travail au procureur de la République qui conclut :
« Les déclarations de Mme FG mentionnées ci-dessus démontrent une probabilité d’agissement de harcèlement sexuel, d’agression sexuelle, ayant contribué, suite à ses refus, à un harcèlement moral de la part de M. de R. Les conséquences sur sa santé, sur son emploi, par la rupture aux torts de l’employeur, les témoignages et les démarches auprès de l’inspection du travail, saisine de l’AVFT, plainte au commissariat et de la saisine du 26 mars 2008 au Conseil des Prud’hommmes, recoupent les faits rapportés par Mme FG. Les témoignages produits renforcent le faisceau d’indices ».

Les déclarations du prévenu, qui ne conteste pas toutes les accusations de Mme FG même s’il les minimise. A l’audience, il a notamment reconnu des commentaires sur le physique de la jeune femme et a tenté de les justifier : « Dans le milieu de la vente, c’est important et normal d’avoir de jolies vendeuses » . Ainsi qu’une « main sur les hanches » (à défaut de reconnaître lui avoir mis une main sur les fesses), suite à quoi il lui aurait donné 100 euros « pour s’excuser».

La présidente n’a pas cru bon relever ces faits et contester ces « explications ».
Elle a au contraire demandé à la victime : « En quoi ça vous dérange que votre employeur vous fasse des compliments sur votre physique ? ». « Qu’est-ce que vous avez imaginé ? ».

Mme FG, constatant l’incrédulité du Tribunal, était en larmes à la barre.

La procureure de la République, dans son réquisitoire, a affirmé « faire siennes » les analyses des parties civiles et a insisté sur les éléments de preuve présents au dossier. Elle a requis 4 mois d’emprisonnement avec sursis et 2000 euros d’amende.

La partie adverse s’est quant à elle défendue en prétendant que :

Mme FG ayant fait un stage de quatre mois dans un cabinet d’avocats avant d’être embauchée, elle avait pris « le goût des procédures » ;

Mme FG était fragilisée par des violences antérieures commises par son ex-compagnon, ce qui l’aurait conduite à mal interpréter le comportement de M.de R.

Aucune salariée ne s’était jamais plainte de M. de R.

Les « blagues lourdes » ne seraient pas interdites.

L’avocat de M. de R a demandé au Tribunal, dans l’hypothèse où son client serait condamné, « la plus grande indulgence car il est une personne respectable, venant d’une famille respectable ».

Le délibéré

Le 19 novembre 2008, M. de R. est relaxé. A l’appui de sa décision, le Tribunal relève :

Que les témoignages produits par Mme FG ne sont qu’indirects

Qu’en revanche, les témoignages produits par M. de R. sont des témoignages directs ; que ces témoins, « n’avaient jamais eu à se plaindre du comportement de l’intéressé tout en soulignant la lourdeur de ses blagues et son humour parfois déplacé » ou « potache » ou « spécial ».
Le Tribunal prend en outre pour argent comptant les justifications fournies par M. de R. et sa responsable de magasin nouvellement embauchée : Mme FG serait « quelqu’un de blessé qui ne juge plus de façon objective ». Quant à « la main aux fesses », le jugement reprend à son compte et ce sans aucune distance critique la version des faits donnée par M. de R :
« M. de R. explique que ce jour-là, la jeune femme s’était rendue dans les toilettes pour se laver les mains, elle était passée devant lui et les lieux étant exigus il lui avait cédé le passage et peut-être à cette occasion sa main l’avait-elle frôlée mais – au niveau de la hanche – et en tous cas sans intention de quelque nature que ce soit.
M. de R. avait été surpris par la violence de la réaction de la jeune fille et il avouait s’être violemment emporté et avoir crié ; pour s’excuser de son comportement il lui avait offert quelques billets (…)
».

Ce jugement traduit la méconnaissance du Tribunal de la technique de preuve en matière de violences sexuelles (La 31ème chambre/2 est d’ailleurs spécialisée en droit pénal du travail) : les témoignages directs ne sont en effet pas indispensables (les agresseurs agissant rarement en présence de témoins). Un faisceau d’indices concordants -lequel existait bien en l’espèce- permettant d’établir la culpabilité du prévenu.

Il charrie en outre des clichés sur les violences sexuelles – « Si les autres salariés n’avaient pas à se plaindre de leur employeur, il n’y a pas de raison qu’une salariée isolée s’en plaigne » – « Les femmes confondent harcèlement sexuel et blagues lourdes » – et se contente des dénégations du prévenu, donnant ainsi plus de crédit à sa parole qu’à celle de la victime, dans le droit fil d’une longue tradition judiciaire.

L’analyse de la contrainte économique qui pesait sur Mme FG -laquelle était dépendante financièrement de cet emploi- brille par son absence.

Mme FG et l’AVFT ont fait appel de cette décision. Nous regrettons que le parquet n’en ait pas fait autant, l’appel ne pouvant désormais porter que sur les intérêts civils à l’exclusion de la responsabilité pénale de M. de R. qui ne risque donc plus aucune peine ni inscription au casier judiciaire.

La Cour d’appel de Paris devra rechercher si M. de R. s’est comporté de manière fautive et le cas échéant, évaluer le préjudice de Mme FG.

Contact : AVFT, Gwendoline Fizaine / Marilyn Baldeck, 01 45 84 24 24 – contact@avft.org

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