Harcèlement sexuel : une réforme restrictive qui n’est pas sans danger

Semaine Sociale Lamy – N° 599, 11 mai 1992.

Semaine Sociale Lamy – N° 599, 11 mai 1992.

Le 29 avril 1992, le Conseil des Ministres a examiné un projet de loi présenté par Madame Neiertz, Secrétaire d’Etat aux droits des femmes et à la consommation « relatif à l’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations du travail ». (Voir Semaine Sociale Lamy, N° 598)

Composé de quatre articles modifiant le code du travail et d’un article modifiant le code de procédure pénale, le texte est fondé sur le dispositif suivant : une définition, la protection des victimes et des témoins, la possibilité pour les organisations syndicales et les associations de se constituer partie civile, la possibilité donnée au CHSCT – Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – de proposer des actions de formation et de prévention.

Bien qu’en l’absence de réglementation, ce projet puisse apparaître comme une avancée, il est sur le fond insuffisant pour prévenir les situations de harcèlement sexuel au travail et de les sanctionner, par l’absence de responsabilité de l’employeur, par une prévention limitée.

I. Une approche réductrice 

Une nouvelle notion est introduite dans deux articles du Code du travail relatifs à l’égalité professionnelle et au droit disciplinaire, respectivement L.123-1 et L 122-46, ce dernier intégrant la définition suivante :  » […] les agissements d’un employeur ou d’un supérieur hiérarchique qui, abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, aura exercé des pressions sur salarié afin d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers ».

Il s’agit en fait de viser des pratiques de contrainte sexuelle, y compris de type prostitutionnel dans le cadre du travail. Considérer que ce projet est une loi contre le harcèlement sexuel – terme qui n’apparaît que dans l’article relatif à la prévention – serait méconnaître la réalité du harcèlement sexuel. En effet, certaines manifestations (attouchements, paroles et injures sexistes, usage de la pornographie, etc.) – dont la fonction n’est pas d’obtenir des relations sexuelles d’une personne précise, mais qui la plupart du temps relèvent des comportements sexistes et ont pour but d’humilier la personne harcelée – ne sont pas prises en compte.
Or, de telles manifestations sexuelles et sexistes répétées affectent gravement la personne dans sa santé, perturbent ses relations professionnelles et son travail et la conduisent plus généralement à démissionner.

De plus le harcèlement présente généralement plusieurs phases : après les propositions suivent souvent des brimades qui serviront à l’employeur de prétexte à une rupture du contrat de travail : ainsi entre le harcèlement sexuel et ses conséquences peuvent s’écouler plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
C’est pourquoi le harcèlement doit être réprimé en soi et non seulement dans ses conséquences, en conformité avec le code pénal qui a intégré le harcèlement sexuel dans la section : « Autres agressions sexuelles que le viol ».
Une seconde restriction est apportée, puisque la définition ne vise que l’abus d’autorité contrairement

  • À la recommandation du 27 novembre 1991 de la Commission économique européenne – C.E.E -(J.O.C..E. n° L 49 du 24 février 1992 :  » Tout comportement intempestif à connotation sexuelle ou tout autre comportement fondé sur le sexe, qui affecte la dignité de la femme et de l’homme au travail, que ce comportement soit le fait de supérieurs hiérarchiques ou de collègues, est inacceptable  »
  • Aux prises de position de Mme Neiertz de juin 1991 : « Il ne me semble pas qu’il faille limiter la définition du délit à un abus d’autorité. Il peut également y avoir un harcèlement de la part d’un collègue se trouvant au même niveau hiérarchique ». (Le Monde, 28 juin 1991).

Le sondage Louis Harris de décembre 1991, commandé par Mme Neiertz, en atteste : dans 22 % des cas, le harcèlement sexuel est commis par des collègues.
Se fonder sur la seule relation hiérarchique revient à dire qu’il y a des situations de harcèlement sur les lieux du travail qui en fait n’en sont pas.
Le 9 janvier 1992, Mme Neiertz expliquait son changement de position en précisant : « Je ne dis pas qu’il n’y a pas de harcèlement sexuel entre collègues, mais quand il n’y a pas de rapport de pouvoir et de dépendance, la femme ou l’homme harcelé peut se défendre. » (Le Monde, 9 janvier 1992).
N’est-ce pas signifier que le droit n’est pas le même pour tous et toutes puisqu’il n’est pas applicable à tous et toutes de la même manière ?
En outre, en intégrant cette notion sous l’angle de la discrimination et de la sanction, il est à craindre que ne soient visées que les manifestations qui entraînent des conséquences professionnelles: non-mutation, non-renouvellement de contrat, licenciement, etc., c’est-à-dire dans le cadre d’une situation conflictuelle.
Par conséquent, cette définition rend hypothétique son utilisation devant les tribunaux et inefficace la protection des témoins pourtant instituée.

II. Absence de responsabilité de l’employeur

Mme Neiertz déclarait au journal Le Monde le 28 juin 1991 : « Enfin nous devons rappeler la responsabilité des chefs d’entreprise dans ce genre de comportement. C’est à eux de veiller aux conditions de travail ». Cette demande de responsabilité au titre des conditions de travail n’a pas été reprise.
Une véritable responsabilité de l’employeur impliquerait qu’il ne suscite pas lui-même le harcèlement sexuel, qu’il soit tenu responsable des actes de harcèlement sexuel commis par lui-même ou ses salariés, qu’il soit dans l’obligation de mener une politique de prévention en accord avec les représentant-es du personnel. Faute d’une telle responsabilité, faute d’une responsabilisation des institutions représentatives du personnel, ce projet de loi aura pour conséquence de renforcer les pouvoirs propres du chef d’entreprise en matière disciplinaire (Cf., Proposition de réforme du Code du travail de l’AVFT, Projets féministes. N° 1, mars 1992)

III. Une prévention réduite 

Certes la possibilité de mettre en oeuvre des actions de prévention est prévue dans le cadre du C.H.S.C.T.
Néanmoins, cet article pose problème, puisque la définition est intégrée dans les dispositions relatives au droit disciplinaire. Si le C.H.S.C.T. a pour mission de contribuer à la protection de la santé et de sécurité des travailleurs-ses, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail, c’est bien à l’employeur qu’il revient de veiller à la discipline.

Il en découle que pour donner une compétence au C.H.S.C.T, en matière de prévention, il aurait fallu reconnaître explicitement que le harcèlement sexuel est en lien direct avec les conditions de travail.
Rappelons pour conclure que la jurisprudence considère que :

  • Le harcèlement sexuel constitue une faute grave justifiant un licenciement sans indemnité (Cour de cassation, Chambre sociale, 3 mai 1990)
  • « Des propos tels que :’J’ai envie de faire l’amour avec toi’ constituent à tout le moins dans un cadre professionnel des faits de harcèlement sexuel… Que de tels faits peuvent d’ailleurs parfaitement dans une même unité de travail ne mettre en cause que certaines personnes. » (C.A. Paris, 15 novembre 1991, Manpower).

Au-delà des limitations posées a priori qui rendent ce texte quasiment inopérant pour sanctionner les situations de harcèlement sexuel, il faut s’interroger sur un texte de loi qui est en deçà de l’évolution de la jurisprudence.

AUTEUR-ES : MIREILLE BEYNETOUT, MARIE-VICTOIRE LOUIS, SYLVIE CROMER

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