Tribune de Sofia Montoya en réaction au reportage d’ARTE

Tribune libre de Madame Montoya

Mme Montoya, auteure de ces lignes, est actuellement en cours de procédure. L’AVFT la soutient et s’est constituée partie civile à ses côtés :

« Victime d’agressions sexuelles sur mon lieu de travail de décembre 2001 à mai 2002, ma vie a basculé dans le royaume de la peur et du dégoût des hommes. Plus d’un an après les faits, après un procès, une dépression, une thérapie et avec le soutien merveilleux de ma famille, de mes amis et des professionnelles de l’AVFT, le goût de la vie a repris ses droits cet été. C’est alors que j’ai eu le profond désir de vouloir m’impliquer dans la lutte contre le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles dont les femmes sont trop souvent les cibles. Cette implication, pour moi, passait par le témoignage. D’abord auprès de mes proches, amis et famille, puis auprès des collègues ou de personnes rencontrées. En voyant les diverses réactions: étonnement face au nombre de victimes, compassion face à la souffrance morale, psychologique, physique, indignation à l’égard de l’agresseur, révolte face aux faibles condamnations, j’ai eu envie de témoigner à un échelon supérieur: en écrivant mon histoire. C’est alors que l’AVFT m’a fait part du projet d’une réalisatrice/journaliste travaillant pour la boîte de production « Docs en Stock » qui souhaitait réaliser pour la chaîne ARTE un documentaire ayant pour thème: le Harcèlement sexuel.

J’ai rencontré cette journaliste et parlé longuement avec elle. Elle m’a paru acquise à la cause défendue par l’AVFT, compatissante mais surtout compréhensive face à la souffrance des victimes. Nous avons effectué le tournage et l’interview durant 2 jours. La 1ère journée s’est déroulée de façon normale malgré mon stress. J’ai accepté, lors de la 2ème journée, de parler de mon histoire. Le cameraman est alors sorti de ses fonctions et s’est mis à me poser des questions mettent en cause mon « rôle  » dans les agressions subies: pourquoi ne pas m’être défendue, avoir mis une claque….j’essayais de répondre au mieux, mais je me sentais attaquée, agressée par ces questions. Cherchant un appui auprès de la réalisatrice, je la voyais acquiescer de la tête aux questions insidieuses du cameraman. A aucun moment elle n’a tenté d’y mettre fin. J’ai alors craqué, pleuré et demandé d’arrêter là le reportage en précisant que je m’opposerais à l’utilisation de cette séquence.

Par la suite j’ai visionné en présence de mon avocat et de l’AVFT, le reportage qui devait être diffusé. Il devait s’intituler « Harcèlement sexuel » et comporter 5 témoignages de victimes. La journaliste qui m’avait d’abord confirmé l’intervention de l’AVFT et de sa représentante dans le reportage, est ensuite revenue sur ses dires en affirmant que les témoignages seraient suffisamment « parlants » à eux seuls excluant aussi l’association sans préavis. Or, lors de la diffusion du reportage, celui-ci ne contenait que 2 témoignages de victimes d’agression sexuelles dont le mien. La 2ème séquence avait été maintenue malgré ma demande de retrait, et en plus je découvris le soir même de sa diffusion à la télévision que le « Théma » de la soirée dans lequel s’inscrivait le documentaire, était intitulé: « Harcèlement sexuel: quand la drague dérape »!

Pour moi, cette soirée thématique devait permettre de comprendre la définition du harcèlement sexuel, la difficulté de le dénoncer et l’attitude de la justice face à ce problème. Je suis indignée de constater qu’hormis les 2 témoignages, l’ensemble de la soirée n’a pas permis de comprendre la problématique, ni permis d’éclairer le public sur un fait de société gravissime et méconnu. Je suis surprise qu’une journaliste qui m’a répondu à plusieurs reprises « connaître son métier » lorsque j’exprimais mes inquiétudes lors du visionnage, ait pu nous trahir ainsi. Etre si malhonnête et se servir d’une association et de victimes pour faire « de l’audience » voire de « l’argent » autour d’un sujet ainsi banalisé est décevant. Cette femme a trompé ma confiance mais le plus grave est l’amalgame que cette soirée a créé dans l’esprit des téléspectateurs. Est-il possible d’être inculte au point d’affirmer que le harcèlement sexuel découle d’un dérapage de la drague? Alors qu’il exprime un rapport de pouvoir d’une personne sura victime sans lui laisser la possibilité de se défendre, de disposer de son corps, de refuser tout net les pressions subies.

Je constate qu’il y a encore beaucoup de travail à accomplir pour dénoncer le harcèlement et les agressions sexuelles endurées par les femmes. Pour que se précise dans l’esprit du public la différence entre vouloir et subir. Pour reconnaître aux victimes leur statut de victimes.
La partie comprenant mon témoignage, malgré sa clarté, n’a pas permis de comprendre la GRAVITE et les CONSEQUENCES d’un harcèlement sexuel, en raison de la thématique et du débat bien pauvre et inutile qui s’en est suivi. J’ai, aujourd’hui, encore plus envie de me battre face à l’ignorance et à la désinformation. »

Sofia Montoya

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