A Mme…, Docs en Stocks, 79 rue du Temple – 75003 Paris
Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail. BP 108 – 75561 Paris cedex 12 – tél: 01 45 84 24 24 – contact@avft.org
Paris, le 29 août 2003
Madame,
Suite à la diffusion le 12 août 2003 du « Théma » intitulé « Tout ce que vous voulez savoir sur la drague », incluant deux documentaires produits par « Doc en Stock », « Vive la drague » et « Harcèlement : quand la drague dérape… », nous tenons à vous faire part de notre indignation.
Nous dénonçons votre malhonnêteté :
Vous nous aviez présenté lors de notre premier entretien (de plus de deux heures) le 6 mai, votre projet comme s’inscrivant dans un « Théma » dont le sujet était sans aucune ambiguïté «le harcèlement sexuel». Mme Y, journaliste, faisait également état dans un mail daté du 21 avril, « d’un documentaire sur le harcèlement sexuel ». Ce documentaire devait porter sur la définition du harcèlement sexuel, sur la difficulté de le dénoncer, sur le fonctionnement de la justice. Sur ces fondements, nous avons accepté d’y participer et de vous mettre en relation avec plusieurs victimes de harcèlement et d’agression sexuels dont Mmes Melendo et Montoya, auprès desquelles l’AVFT intervient.
Or à notre stupéfaction, nous avons découvert une émission sur « la drague », intégrant le documentaire que vous avez réalisé pour Arte sous le titre : « Harcèlement : quand la drague dérape… ».
Vous nous aviez garanti à plusieurs reprises que l’analyse de l’association serait présente dans le documentaire à travers l’interview que vous avez réalisée de moi, en tant que présidente de l’AVFT. Or, j’ai appris récemment que vous aviez informé Sofia Montoya, fin juin, que vous « ne tiendriez pas compte de mon témoignage », contrairement à ce que vous m’affirmiez lors des visionnages des interviews de Mmes Melendo et Montoya les10 et 18 juillet. Ces mensonges nous laissent penser que vous avez agi de la sorte afin d’obtenir les témoignages dont vous aviez besoin.
Vous n’avez même pas – en dépit là encore de votre engagement formel – fait figurer lisiblement les coordonnées de l’AVFT, privant ainsi les éventuelles victimes de la possibilité de nous contacter, et vidant ce documentaire de son utilité sociale. L’inscription de l’acronyme « AVFT » dans le générique de fin, défilant de surcroît très rapidement, ne saurait répondre à cet engagement.
Vous avez ajouté, postérieurement au visionnage de l’interview de Mme Montoya en présence de Maître Ovadia, son avocat, une séquence dont elle avait maintes fois et explicitement demandé la non-utilisation.
Par ailleurs,
Nous réprouvons votre attitude à l’égard de Maître Katz.
Vous avez été longuement reçue par ce dernier que vous deviez filmer mi-juin. Or, vous ne l’avez jamais recontacté et ne l’avez pas rappelé pour vous excuser comme vous vous y étiez engagée le 18 juillet.
Enfin,
Nous récusons la confusion entre « drague » et harcèlement sexuel.
Cet amalgame entre « drague » et harcèlement sexuel constitue une dangereuse régression en termes d’analyse. Si la « drague » approche du : « je propose, tu disposes », le harcèlement sexuel pourrait tenir dans l’expression utilisée par un agresseur : « tu te soumets ou tu te démets ». Le harcèlement sexuel nie l’humanité de la personne harcelée, en lui confiscant le droit de disposer d’elle-même.
Cette présentation réactionnaire a pour conséquences de présenter le harcèlement sexuel comme un avatar de la « drague », normalisant donc cette violenceetrendant plus difficile sa dénonciation par les éventuelles victimes.
Le titre de votre documentaire, « Harcèlement : quand la drague dérape… », s’inscrit dans cette approche. Or, le harcèlement sexuel ne saurait être qualifié de « dérapage » qui selon le Littré consiste à : « Evoluer de manière inattendue et incontrôlée ». Dix-huit années d’analyse du mode opératoire et des agissements des agresseurs nous ont au contraire enseigné qu’ils élaboraient une stratégie visant à imposer leur domination notamment sexuelle.
Les deux autres témoignages, cohérents avec vos présupposés, ne permettaient même pas de réfléchir à la nature d’une relation, réputée librement consentie, entre deux personnes quand préexistent des rapports de pouvoirs liés à la hiérarchie, à l’âge ou au sexe.
Vous nous avez trompées.
Vous avez délibérément choisi de taire la parole de l’AVFT, seule structure à se consacrer à la défense des droits des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles au travail. Cette censure atteint toutes les femmes que nous représentons.
Vous avez conforté les stéréotypes relatifs aux violences contre les femmes et aux relations entre les deux sexes.
Veuillez agréer, Madame, nos salutations.
Catherine Le Magueresse
Présidente