Un délit « assimilé au harcèlement sexuel » qui vise une forme de « harcèlement sexuel » fictive, et qui peut servir à déqualifier des tentatives d’agression sexuelle et des tentatives de viol

Le 27 mai, la commission des lois du Sénat a publié le projet de loi sur le harcèlement sexuel – une version amendée du projet de loi gouvernemental – qui sera débattue à partir du mercredi 11 juillet au Sénat.

L’article 1er du projet de loi vise deux délits distincts : le délit de harcèlement sexuel proprement dit et un délit « assimilé au harcèlement sexuel », punis des mêmes peines (deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende).

Le délit de harcèlement sexuel est défini comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant ».

Le délit « assimilé au harcèlement sexuel » est défini comme « le fait, même non répété, d’user d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave, dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle, que celle-ci soit recherchée au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

11)Un délit qui vise des agissements quasi-inexistants dans la réalité du harcèlement sexuel1

Pour que l’infraction « assimilée au harcèlement sexuel » soit constituée, il faut que l’auteur ait eu pour objectif « une relation de nature sexuelle » et qu’il ait usé d’« ordres », de « menaces », de « contraintes » ou d’une « pression grave ».

Mais, que le mis en cause soit un supérieur hiérarchique, un collègue de travail (qui bénéficie de la protection de l’employeur ou d’un mandat syndical par exemple), ou un bailleur, il bénéficie d’une situation léonine – du fait de la contrainte professionnelle, économique ou liée à l’impérieuse nécessité de se loger – qui le dispense d’avoir à user d’« ordres », de « menaces », de « contraintes » ou d’une « pression grave ».

Au travail, les victimes de harcèlement sexuel ne peuvent protester trop vigoureusement (donner une gifle, menacer de dénoncer, de porter plainte), au risque de déclencher de mesures de rétorsion qui aboutissent (dans 98% des dossiers ouverts à l’AVFT) à la rupture du contrat de travail : changement d’horaires, refus de congés, critiques intempestives sur la qualité de leur travail, suppression du matériel de travail, retrait des projets sur lesquels elles travaillaient, ordres et contre-ordres, augmentation insupportable de la charge de travail, expression de mépris, organisation de son isolement du collectif de travail etc.

Les victimes cherchent donc par tous les moyens à éviter que le harceleur passe à une phase de représailles dans laquelle il usera d’« ordres », de « menaces », de « contraintes » ou d’une « pression grave ».

Il suffit de les écouter pour s’en convaincre :

Sabine : « Je pensais que si je protestais il ferait tout pour que le maire ne m’embauche pas (…) Je pensais qu’il allait arrêter, pour moi c’était clair, il devait voir que ce qu’il faisait ne me plaisait pas (…). Si j’en parlais, c’était la parole d’un directeur général des services contre celle d’une simple secrétaire stagiaire, ma place était en jeu, si j’avais osé parler on aurait pu m’écarter de la mairie en disant que je faisais des histoires, si je le rejetais fermement et ouvertement il pouvait influencer le maire pour ne pas me titulariser. Il a toujours fait comme s’il ne comprenait pas, comme si c’était normal qu’il fasse ainsi ».

A quoi bon en effet exercer une « pression grave », des « contraintes », donner des « ordres », menacer, dans le but « d’obtenir une relation de nature sexuelle », quand le lien contractuel qui lie un-e salari-ée à un employeur contraint la victime à ne pas protester et à subir, sans pour autant consentir ?

Laurence : « La salariée qui m’avait précédée au poste avait été mise au ban puis licenciée quand elle avait dénoncé les sollicitations sexuelles de notre collègue. Je savais donc ce qui risquait de m’arriver si je parlais…».

A quoi bon pour ce collègue exercer une « pression grave », des « contraintes », donner des « ordres », menacer, dans le but « d’obtenir une relation de nature sexuelle », alors qu’un « précédent » dans l’entreprise a déjà fait passer un message d’impunité aux autres salarié-es ?

Tania : « Je n’ai pas souhaité me plaindre de cela parce que j’ai préféré garder le travail et ne pas me mettre en difficulté. J’ai continué à travailler pour monsieur C. malgré ce qui s’était passé parce que j’ai une famille et que j’ai besoin d’argent ».

A quoi bon pour cet employeur exercer une « pression grave », des « contraintes », donner des « ordres », menacer, dans le but « d’obtenir une relation de nature sexuelle » alors qu’il lui suffit d’observer que sa salariée est totalement dépendante économiquement de son emploi et qu’elle n’aura d’autre choix que de subir sans protester, au mieux en mettant en place des « stratégies d’évitement » – changement d’habillement, d’apparence physique, tentatives de ne pas croiser le harceleur – qui ne sont quasiment jamais interprétées par les juges comme les indices d’une absence de consentement ?

Le fait que le mis en cause « profite » d’une situation de contrainte intrinsèque à la relation contractuelle ou à la relation locataire/bailleur et qu’il n’use donc pas d’« ordres », de « menaces », de « contraintes » ou d’une « pression grave » lui permettrait donc d’échapper à une condamnation sur le fondement du délit « assimilé au harcèlement sexuel ». Et si le mis en cause use d’« ordres », de « menaces », de « contraintes » ou d’une « pression grave », ce n’est pas, comme l’exige le projet de loi, « dans le but d’obtenir une relation de nature sexuelle », mais dans le but de punir celle (ou parfois, celui) qui n’a pas cédé. Là aussi, le mis en cause échapperait à une condamnation.

Ces « modes opératoires » sont ceux qui étaient présents dans la définition du harcèlement sexuel en 1992 (les « pressions graves » avaient été ajoutées en 1998). La jurisprudence du harcèlement sexuel s’appuyant sur cette définition parle d’elle-même. Ainsi, le Tribunal correctionnel d’Avignon, le 13 février 1997 (confirmé en appel) avait-il relaxé M. J. au motif que : « Si M. J. avait pour habitude de raconter des histoires salaces à son personnel, et s’il a fait des avances précises à Mme T. et a eu à son égard des gestes déplacés, l’usage de menaces, ordres ou contraintes et spécialement de chantage au licenciement dans le but d’obtenir des faveurs n’est pas établie« .

L’usage de menaces, d’ordres ou de contraintes n’est pas établie précisément parce que M.J, employeur (propriétaire-gérant d’un hôtel-restaurant) n’en avait aucunement besoin, la victime étant « femmes toutes mains », « à son service ». M. J bénéficie donc d’une relaxe alors même que le jugement établit l’existence des « avances précises » et des « gestes déplacés ».

Par conséquent,

  Si la plaignante a subi des agissements répétés « dans le but d’obtenir une relation de nature sexuelle », elle n’aurait aucun intérêt à porter plainte sur le fondement du délit « assimilé au harcèlement sexuel » et pourrait porter plainte pour harcèlement sexuel, délit constitué à l’aune des conséquences objectives pour la victime, et non en fonction de la « méthode » employée par l’auteur de l’infraction. Dans cette hypothèse, le délit « assimilé au harcèlement sexuel » est inutile.

  Si la plaignante porte plainte pour un acte unique « dans le but d’obtenir une relation de nature sexuelle » – que le gouvernement se félicite d’avoir inclus dans le projet de loi – il est prévisible que, faute de pouvoir démontrer des « ordres, menaces, contraintes ou pression grave » « dans le but d’obtenir une relation de nature sexuelle », l’infraction ne puisse être constituée, même quand cet acte aura eu des conséquences importantes sur la victime (les représailles). Dans cette hypothèse, le délit « assimilé au harcèlement sexuel » serait inopérant.

12) Au mieux, le délit « assimilé au harcèlement sexuel » va rester lettre morte, au pire, il pourra servir à déqualifier des violences sexuelles plus sévèrement réprimées. De fait, il offre stricto sensu une définition de la tentative de viol ou d’agression sexuelle.1

Pour que l’infraction soit constituée au visa du délit « assimilé au harcèlement sexuel », il faut que le harceleur ait eu pour but « d’obtenir une relation de nature sexuelle ».

L’expression « relation de nature sexuelle » peut inclure la pénétration sexuelle et les attouchements sexuels.
Pour que cette infraction soit constituée, il faut également que le harceleur ait « usé d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave ».
Parmi les « moyens » que le harceleur doit avoir utilisés pour parvenir à son but, deux se retrouvent dans la définition de l’agression sexuelle et du viol : les « menaces » et les « contraintes(1)». La notion « d’ordres » s’en rapproche.

La tentative de commettre une infraction est la volonté d’accomplir une infraction, qui échoue indépendamment de la volonté de l’auteur. Pour exemple, si un employeur, qui a baissé pantalon et caleçon, bloque physiquement une salariée contre un mur d’un bureau, lui soulève la jupe, baisse sa culotte tout en lui disant : « Si tu te laisses pas faire t’es virée », et qu’il n’est interrompu que parce qu’une tierce personne tente de rentrer dans le bureau, il aura bien tenté de commettre un « acte de pénétration de quelque nature qu’il soit(2)» commis par la menace et la contrainte (physique) et aura été empêché de réaliser l’infraction pour des motifs indépendants de sa volonté. L’infraction de tentative de viol serait donc en tous points caractérisée (15 ans de réclusion criminelle). Ainsi que l’infraction « assimilée au harcèlement sexuel » (2 ans d’emprisonnement) : le fait d’user de « menaces » et de « contraintes » dans le but « d’obtenir une relation de nature sexuelle ».

Si un collègue bloque physiquement sa collègue pour lui mettre une main entre les cuisses mais qu’elle se débat tant qu’il n’y parvient pas, il se rendra bien coupable d’une tentative d’agression sexuelle (5 ans d’emprisonnement). Et du délit « assimilé au harcèlement sexuel », puisqu’il aura bien usé de la contrainte physique, dans le but d’un attouchement sexuel (2 ans d’emprisonnement).

Ce sont potentiellement bien des tentatives d’agressions sexuelles ou de viol qui sont, au travers de ce délit, « assimilées au harcèlement sexuel« .

Il est donc prévisible, si le travail parlementaire ne supprime pas ce délit « assimilé au harcèlement sexuel » que les juges poursuivront sur son fondement des tentatives d’agression sexuelle ou des tentatives de viol, d’autant qu’ils ne se privaient déjà pas de déqualifier des agressions sexuelles, voire des viols, en harcèlement sexuel.

En 1991 déjà, pendant les débats parlementaires ayant conduit au vote de la première loi sur le harcèlement sexuel, avait été posé le risque de ces déqualifications en harcèlement sexuel. Michel Pezet, avocat, député socialiste, et rapporteur de la loi à l’Assemblée Nationale s’opposait à l’utilisation des expressions « ordres, menaces, contraintes« , préférant l’utilisation du seul terme de « pressions« , au motif que « l’utilisation de termes identiques à la caractérisation du viol et des autres agressions sexuelles (…) pourrait conduire à un affaiblissement de la répression, une tentative de viol ou d’agression sexuelle pourrait s’analyser comme un harcèlement sexuel« .

La jurisprudence du harcèlement sexuel ne l’a pas démenti.

Contact :
Marilyn Baldeck, déléguée générale
Tél : 01 45 84 24 24/06 09 42 80 21

Notes

1. A la différence significative que pour l’agression sexuelle et le viol, ces « moyens » sont au singulier. Outre le fait que cette différence de traitement ne s’explique pas, le maintien du pluriel ici alors que nous avons signalé que l’acte unique, visé par le délit, risquerait de ne pouvoir être constitué de ce fait, est questionnant.

2. Définition de l’élément matériel du viol, article 222-23 du Code pénal, qui dispose : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».

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